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Le soro , rituel d ’initiation de l’adolescent chez les Foulbés

Le Cameroun : un pays caractérisé par sa diversité culturelle

3. L’adolescent dans la pensée traditionnelle

3.2. Le soro , rituel d ’initiation de l’adolescent chez les Foulbés

Les Foulbés consacrent habituellement une séparation stricte entre les hommes et les femmes dans leurs activités et cérémonies liées à la culture. Une des très rares cérémonies

13 Les Foulbés sont un peuple localisé dans le Diamaré (extrême nord du Cameroun). Ce peuple est présent dans toute l’Afrique de l’Ouest, au Cameroun, au Tchad, au Soudan, et un peu en Centrafrique, au Congo et plus rarement au Congo RDC. En effet,

mettant ensemble le mari et sa femme n’est autre chose que le rituel du soro. Ce rituel est généralement connu comme une épreuve de flagellation marquant le passage de l’enfance à l’âge adulte chez les Foulbés. La cérémonie a lieu le soir du troisième jour après que la mariée ait intégré le domicile conjugal. Le mariage ne sera pas consommé avant la fin de la cérémonie et souvent les mariés ont jusqu’ici été absents des autres cérémonies du mariage. Pour garantir l’abstinence entre les deux époux, le jeune garçon ira séjourner pendant les trois jours précédant le rite chez un de ses camarades de même âge et la jeune fille restera recluse au domicile conjugal en compagnie des demoiselles d’honneur. Le jeune garçon qui a généralement entre 16 et 18 ans et la jeune femme entre 13 et 15 ans environ est à son premier mariage. Peuvent prendre part au rite, les deux époux, leurs parrains respectifs que sont les deux hommes les plus anciennement initiés du village, mais aussi tous les autres hommes tout comme ceux des villages voisins et d’autres invités formés pour la circonstance des représentants des différentes fractions du groupement des Foulbés.

À la tombée de la nuit, un repas est offert par les parents du marié. Les époux ne participent pas à ce repas, car ne faisant pas encore partie du monde des adultes. Tous les autres participants à la cérémonie y prennent part tout comme les parrains qui auront pour tâche de faire naître, de conduire ou d’accompagner les époux dans le passage à la qualité d’adulte, à une naissance sociale. Le soro commence à la tombée de la nuit. Tout se passe à la seule lueur de la lune. Aucun autre moyen d’éclairage n’est autorisé. Les parrains vont chercher les époux et vont s’enfuir avec ces derniers vers un lieu choisi à l’avance. Les autres participants au rite tentent de les rattraper et chaque fois qu’ils se rapprochent d’un des feuillards, ce dernier ploie sous des coups de fouet. L’objectif est de mettre en branle la marque d’une hiérarchie entre cadets et ainés. C’est la règle d’ancienneté qui marque les rapports anciens/cadets ou pères/fils dans cette tribu. Les femmes ne jouent pas de rôle dans cette règle si ce n’est celui d’être associées au cadet qui est son époux. Cette règle a choisi de se manifester dans le soro par une distribution de coups de bâton. Les coups de bâton étant ici le symbole du pouvoir fixé par la règle d’un aîné sur ses cadets, d’un père sur ses fils. Dognin, cité par Oumarou Dalil (1991), pense que ces coups de bâton sont symboliques, et la force plus ou moins grande avec laquelle chacun les administre n’est pas fixée par la règle, qui n’est donc pas transgressée par les vengeances personnelles assouvies sous ce couvert. Ce qui compte en réalité, c’est la soumission et l’indifférence avec laquelle ces coups sont supportés aussi bien par les anciens

parrains que par le nouveau cadet et son épouse ; s’écarter de cette attitude reviendrait à s’écarter de la loi.

Une fois que l’ensemble des participants est arrivé au lieu prévu pour la circonstance, les jeunes époux adolescents sont invités par leurs ainés et « pères » à se mettre entièrement nus. Ce qui n’est pas sans rappeler le jour de leur naissance physique ; cette nudité marque par ailleurs le symbole d’un état de vie organique qu’ils vont bientôt dépasser pour accéder à la vie sociale. Les deux époux sont appelés à s’asseoir faces tournées en direction de l’Est. L’Est marque le lever du soleil et par conséquent le début de toute chose. Leur position assise, alors même que tous les autres participants sont debout, est aussi la marque d’un symbole, celui de la position inférieure qu’ils vont abandonner. La tête baissée est le signe de la soumission totale à leurs « pères », les bras ramassés et les mains coincées entre les cuisses sont une défense contre les gestes réflexes qu’ils ne pourraient maîtriser. La danse des hommes « commence, sans instruments, sans voix concertées. Les émissions gutturales qui en tiennent lieu miment- elles les gémissements et les plaintes rythmées d’une femme en train de mettre au monde un enfant ? On peut le supposer, d’autant que les hommes vont vers le couple auquel ils portent des coups. Des coups que le couple reçoit alors sans broncher. L’accouchement social a commencé. Il va durer une demi-heure. Puis les parrains tendent entre eux le pagne qui vêtait la jeune épouse. Cette étoffe féminine figure ainsi les portes qu’il va falloir franchir pour accéder au monde des adultes pleinement responsables à l’ordre social. » (Oumarou Dalil, 1991, p. 218)

Tous les participants, à l’exception des parrains qui retiennent l’étoffe, vont alors en passant sous le pagne, affirmer symboliquement leur place dans la hiérarchie du soro qui est aussi celle des anciens : la capacité à recevoir le moins de coups possible, mais d’en donner beaucoup plus est le signe d’un statut très élevé. À contrario, le fait de subir une avalanche de coups et de ne pouvoir en donner qu’un tout petit nombre est la preuve d’une intégration récente dans la hiérarchie du soro. Vient enfin le tour pour les jeunes époux de franchir le pagne et de prendre place dans la hiérarchie du soro. La longueur de la traversée du pagne dépend alors du nombre de participants. On peut atteindre une longueur de trentaine de mètres si les participants sont une centaine. Les participants donnent toujours des coups de bâton. Cependant, ces coûts ont changé « de nature : l’ordre rigoureux qui préside maintenant à leur distribution s’oppose au désordre dans lequel ils ont été précédemment assénés. La brimade s’est muée en distinction. Ces derniers coups assignent au jeune homme et à sa femme dans la hiérarchie du soro un grade

qui, pour être le plus bas, n’en est pas moins le signe de leur intégration (Oumarou Dalil, 1991, p. 218).

Avec l’âge, le jeune époux remontera ce tunnel d’honneur palier par palier pour finir par être un jour le plus ancien et l’un des parrains d’un autre couple. En attendant, il doit avec sa femme le parcourir trois fois, Contrairement aux autres participants du soro qui ont déjà leur place et n’y passent qu’une fois, le jeune marié passera trois fois : cette répétition est par elle- même, le signe de l’accès à un nouveau statut, et le nombre trois, souvent employé dans la culturepeulepour marquer des changements d’état, n’intervient ici qu’en renfort. Après quoi, les parrains font asseoir les jeunes gens à l’autre bout du tunnel, mais face à l’Ouest, orientation masculine qui contraste avec celle du début de l’épreuve. Ils sont nés au social et le tunnel se défait, tous les participants, les parrains exceptés, venant devant le jeune couple lui interpréter une dernière fois la hiérarchie du soro en se donnant des coups selon la règle. Maintenant qu’ils appartiennent au soro, ils peuvent comprendre la parole et ce n’est plus de mauvais coups, mais de bonnes paroles dont chacun, à son tour, va les abreuver, les paroles de la loi peule. Puis leurs parrains les autorisent à se rhabiller. Tout le monde rentre chez soi, mais une dernière épreuve attend les jeunes mariés ; ils doivent rentrer en se portant l’un l’autre, la jeune femme d’abord, et ensuite le mari parce qu’il est plus fort et sa charge plus légère. Les parrains disent : debbo, waawu gorko ma (femme, porte ton mari), et réciproquement. C’est la table des matières du devoir conjugal, maintenant, il s’agit d’engendrer. Après, dans la case, chacun fait les gestes symboliques qui disent que l’épouse est la maîtresse du foyer et la responsable du bien-être de son mari, lui-même responsable du saré. On est alors au tout début de la journée ; la nuit s’est achevée sur la deuxième partie, masculine, de la première moitié, féminine, du jour. (Oumarou Dalil, 1991).

En conclusion à ce chapitre, nous devons reconnaître que la culture est d’une grande importance pour le jeune camerounais. Elle l’accompagne dès sa naissance jusqu’à la fin de sa vie. Elle lui procure un ancrage, une niche, un moule hors duquel il perd ses moyens. Au vu cependant du phénomène, de plus en plus présent du mélange de cultures, de la dilution des valeurs, nous sommes en droit de nous demander comment l’adolescent camerounais accueille- t-il les injonctions culturelles désormais métissées. C’est à ce niveau que nous allons examiner la notion d’interculturalité.

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