• Aucun résultat trouvé

Crise adolescente et crise identitaire Les adolescents sont des jeunes gens qu

1. Le concept d’adolescent

1.1. Point de vue sociologique

Du point de vue de la sociologie, l’adolescence peut être perçue sous deux approches : celle où l’adolescence se résume en une période d’insertion dans la vie sociale adulte et celle où il appartient à un groupe social avec ses caractéristiques socio-culturelles particulières. Ainsi selon les époques, les cultures ou encore le milieu social, l’adolescence sera différente. L’adolescence n’est donc pas un phénomène universel et homogène. Pour le sociologue, la période adolescente désigne le passage, pour l’enfant, de sa dépendance à l’émancipation ou l’autonomie adulte. Dans la société moderne, l’adolescent représente une image désirée, convoitée parce qu’il renvoie le reflet de la vitalité, de la bonne santé, du sexe, de l’insouciance, du choix, etc.

C’est à la fin du 19e siècle que la notion d’adolescence va faire son apparition sous la

désignation de la jeunesse. Elle va dès lors prendre une place importante dans la production d’abord littéraire, puis devenir une préoccupation politique et morale (Claes, 1986). Huerre, Pagan-Reymond et Reymond (2003) nous informent du fait que c’est le dictionnaire Littré qui en 1854 va définir le premier l’adolescence comme l’« âge qui succède à l’enfance et qui commence avec les premiers signes de la puberté » (Huerre et al., 2003, p. 37). La fin du 19e

siècle est pour ainsi dire un moment important de la toute jeune histoire de l’adolescent. La société est en pleine mutation économique et culturelle. L’espérance de vie s’accroît rapidement et passe de 35 à 55 ans chez les hommes et de 41 à 60 ans chez les femmes entre 1850 et 1936. La croissance démographique, dans le même temps connaît un fort ralentissement, ce qui entraîne une baisse du pourcentage de jeunes de moins de 19 ans qui ne cesse de décroître dans les grandes villes. Cette situation, loin d’apporter le calme, rend les jeunes plus débordants. L’adolescent sera alors considéré comme « ingrat, gauche, indécis et immoral » (Cannard 2010, p. 24). Durkheim (1897) dira dans cette perspective que l’adolescent a le goût du viol et du sang. Pour ce dernier, l’appétit sexuel de l’adolescent le porte à la violence et à la brutalité.

De la connotation péjorative lâge bête, l’adolescence va devenir dans les années 1900 un âge des apprentissages. Cette évolution de la perception de l’adolescence, de l’âge d’ignorance à celui d’apprentissage est l’illustration de la reconnaissance de l’importance de

cette période dans les processus d’acquisition de la connaissance. Malgré l’existence antérieure de quelques écrits parus sur la question de l’adolescence à l’instar de The study of adolescence (Burnham, 1891), la première étude systématique sur l’adolescence est celle de Stanley Hall publiée en 1904 sons le titre Adolescence. Hall tente ici de déchiffrer les problèmes que soulève la période adolescente, aussi bien du point de vue de la psychologie, de la physiologie, de l’anthropologie, de la sociologie, du sexe, du crime que du point de vue de la religion. Par cet ouvrage, Hall, (1904) marque de son empreinte la conception psychiatrique et psychanalytique de l’adolescence à venir aux États-Unis.

Dans un ouvrage intitulé : L’adolescence n’existe pas, Huerre et al. (2003) s’appuient sur des travaux anthropologiques et ethnologiques pour affirmer que « l’adolescence n’est pas une période naturelle du développement de l’homme » (2003, p. 56). Pour ces auteurs, l’existence d’un âge de transition entre l’enfance et l’âge adulte reste une fabrication du monde moderne. C’est ainsi qu’ils notent l’absence ou la difficile appropriation de la période adolescente en Afrique et dans toute autre société ou peuple n’ayant pas connu le même degré d’évolution que l’Occident. L’approche culturelle semble la plus convaincante pour soutenir cette thèse qui conteste l’universalité du phénomène d’adolescence. Les travaux de Margaret Mead (1928 ; 1930) démontrent que non seulement l’adolescence n’est pas un phénomène universel, mais qu’il y a inévitablement un lien étroit entre la nature de l’adolescence et le degré de complexité de la société d’appartenance de l’adolescent. Il n’y a par exemple pas d’adolescence chez les habitants de Samoa. Cette idée sera ensuite soutenue par les travaux de Malinowski (1967b), de Ruth Benedict (1934), ou encore de Kardiner (1969). Il ressort de façon générale de tous ces travaux cités que plus la société est complexe, plus l’adolescence est longue et conflictuelle.

Ainsi, les caractéristiques de ce qu’est un adolescent varient selon les sociétés. Au niveau de la fin de l’adolescence par exemple, l’adolescent dans la Rome antique désignait un jeune susceptible d’être mariés dès l’âge de la puberté. Ce jeune devait avoir la citoyenneté romaine qu’il lui était possible d’acquérir à l’âge de 17 ans. Dans la société occidentale en général, des évènements comme : rejoindre un ordre religieux, s’engager dans l’armée ou dans le mariage marquaient de façon net le passage de l’enfance à l’âge adulte. En Afrique, la priorité était donnée aux rites d’initiation (rites de passage). Ce sont ces rites qui, sans être exclusivement une pratique africaine, avaient pour fonction d’introduire l’enfant désormais pubère au monde adulte.

Du point de vue de l’approche sociale, nous observons qu’une place prépondérante est accordée à l’enfant et à l’adolescent dans nos sociétés d’aujourd’hui. Cette place est si importante que l’adolescent a le pouvoir de proposer de nouveaux modèles de conduite. En effet, l’augmentation récente du nombre d’enfants dits « enfants rois ou même enfants tyrans est révélatrice des difficultés rencontrées par de plus en plus de parents pour poser des limites à leurs enfants, mettant ces derniers dans une position de toute-puissance » (Vesely-Lesourd, 2012, p. 101). Ce problème relève peut-être d’une perte de l’autorité parentale sur l’enfant. Une perte d’autorité « liée tout à la fois à l’évolution de la place des sexes dans la parentalité et aux nouveaux modèles de la société de consommation » (Vesely-Lesourd, 2012, p. 107). Or, la place du père est déterminante dans la structuration du sujet par l’exercice de l’autorité sur l’enfant et l’adolescent. C’est bien en s’enracinant dans le Complexe d’œdipe que la fonction paternelle permet à l’enfant d’accéder à la loi en intériorisant l’interdit. On est contraint d’observer que la modernité que connaît le monde et l’évolution des mœurs tout comme celle de la famille depuis le 18e siècle en Occident et depuis les années 1990 en Afrique s’est orientée

vers un déclin de la puissance paternelle. Un exemple parlant de ce déclin est la transformation à la fois des rapports hommes-femmes et des relations au sein des familles. Ces transformations provoquent une incapacité pour les parents à proposer aux enfants des modèles d’identification et un système de valeur pédagogique, professionnelle et morale stable lui-même hérité des générations antérieures. Dans de telles conditions de changement permanent, c’est l’adolescent qui va constituer le relais nécessaire entre le monde des enfants et le monde des adultes, car il propose de nouveaux styles de vie, mieux adaptés à ce qui est perçu comme des conditions nouvelles et changeantes. Des changements que l’adolescent affirme alors percevoir mieux que les parents qui apparaissent comme obsolètes. On va dès lors assister à une forme de renversement de perspective. C’est l’adolescent, par sa caractéristique propre d’être une période de changement, qui va devenir dans un monde où tout est en mouvement, une sorte de modèle social et culturel, tant pour les enfants que pour les adultes. (Bruner, 1998).

Les mêmes observations peuvent être faites en Afrique à des degrés différents. Les valeurs de la société africaine semblent se substituer peu à peu à ce que la jeunesse reconnaît et approuve comme telle. L’attention portée au corps en dehors des pratiques rituelles est observable. Le passage de l’enfance à l’âge adulte n’étant plus exclusivement consacré par le passage d’un rite notamment, dans les villes où est concentré le plus grand nombre, l’adolescence apparaît de moins en moins comme un passage, elle donne plus l’impression d’être, aujourd’hui, devenue un état. En effet, les changements anthropologiques qu’a connus

l’Afrique et que nous avons exposé plus haut ont sérieusement fragilisé le statut et l’autorité des aînés. Si le jeune dans la société africaine de l’heure symbolise l’ouverture à la modernité et donc le changement, les ainés ont plus tendance à symboliser cette Afrique statique, colonisée et pauvre soumise à toutes formes de pillages. Les parents sont en plus taxés de sorciers. Ainsi, le jeune de plus en plus populaire, le sujet va tendre à s’y identifier continuellement. C’est ainsi que va se prolonger la période adolescente en plus des autres éléments que le retard de plus en plus de l’âge du premier emploi et l’âge du mariage.

Outline

Documents relatifs