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La prise en compte du transfert et du contre transfert dans la recherche

Deuxième partie : Cadre de la recherche

I. Contexte et objectifs de l’étude

5. Présentation de la méthodologie de recherche

5.3. La prise en compte du transfert et du contre transfert dans la recherche

Le transfert consiste, pour le sujet interrogé, à réactiver des situations souvent refoulées, et les projeter sur le clinicien. La première apparition du terme contre-transfert dans l’œuvre de Freud se trouve dans une lettre adressée à Jung qui ayant informé Freud, par télégramme, qu’il avait eu des relations sexuelles avec sa patiente Sabina Spielrein. Denis (2006) indique que Freud s’est particulièrement montré indulgent vis-à-vis de Jung en faisant « porter la responsabilité de l’affaire sur le comportement séducteur féminin. Tout vient du patient, et singulièrement de la patiente, il reste à l’analyste de se cuirasser la peau pour « dominer son contre-transfert » » (Denis, 2006, p. 332). Le contre-transfert apparaît donc d’abord en 1910 dans le vocabulaire analytique comme relevant de la tentation érotique et amoureuse. Cette conception a beaucoup évolué et le terme est aujourd’hui posé comme l’ensemble de toutes les impressions qu’éprouve l’analyste par rapport à son patient, à la situation clinique (d’aide ou de recherche). Dans cette perspective, nous utilisons le terme de contre transfert dans ce travail de thèse, comme l’ensemble de tout ce qui s’établit chez le clinicien par suite de l’influence qu’exerce le patient sur les sentiments inconscients de son analyste.

5.3.1. Le transfert

Pour revenir au transfert, il faut d’emblée dire que l’entretien clinique à visée de recherche que nous avons utilisé comme technique de recueil des données, peut en effet avoir une valeur d’intervention chez l’interviewé même si la demande provient du chercheur et non du sujet ou de sa famille. Ainsi, les sujets qui acceptent de participer à une enquête s’attendent,

plus ou moins consciemment à des bénéfices. Par exemple pour notre recherche exploratoire, le recrutement des participants a été particulièrement difficile. Nous avons remarqué que les sujets rencontrés aussi bien en zone rurale qu’en zone urbaine présentaient une motivation implicite autre que la simple participation à la recherche. Une des motivations était celle de la situation festive qu’impliquait la réception d’un hôte dans la famille. Il s’agit de ce rituel donc nous avons exposé les mécanismes plus hauts et implique que la réception d’un hôte donne souvent lieu en Afrique, à une forme de célébration de ce dernier. C’est ce qui, chez les Bëtis du Cameroun s’appelle akàb et qui peut être rendu en français par le terme de générosité et d’hospitalité. On dira donc Mán béti ane akab pour mentionner cette qualité inhérente à l’homme bëti.

Bebye (2001) parlant du mariage chez les Sawa17, fait longuement référence à ce rituel

africain qui n’est pas restrictif aux Bëtis. L’auteur, dans le fils dAgatha Moudio, raconte l’histoire de Mbenda, jeune homme d’un village de pêcheurs allant prendre pour épouse la fille

que son père lui a destinée. Les rencontres entre les deux familles dans le cadre du mariage sont toujours rythmées de ce rituel festif avant toute évocation de l’objet même de la rencontre. Cette situation festive constitue donc un bénéfice supplémentaire non-négligeable d’autant plus qu’un tel rituel, en fonction des présents que l’hôte apporte, dans une optique de don et de contre don symbolique, contribue à favoriser les échanges qui se déroulent alors sous un climat favorable pour l’enquête. Nous avons ainsi vu certains jeunes exposer les problèmes qu’ils ont vis-à-vis des parents avec le désir manifeste d’être rassurés. Les parents cherchant de leur côté une approbation allant dans le sens de leurs affirmations selon lesquels la jeunesse d’aujourd’hui bafouait l’ensemble des règles qui faisait la solidité de la famille africaine traditionnelle. Un autre élément a été de nous apercevoir que certains des membres de ces familles rencontrés aussi bien en ville qu’en campagne, nous percevaient comme simple médiateur entre eux et le monde scientifique que nous représentons alors à leurs yeux. Pour elles, nous n’étions rien d’autre qu’un colporteur de leurs témoignages, colporteur des témoignages de l’histoire de leur vie familiale. Et ce, malgré la bonne ambiance qui régnait pendant l’enquête. Cette attitude ne faisait cependant pas ombrage au déploiement de la parole, mais était accompagnée d’expressions comme : « Allez leur dire que… » ou encore « Il faut que vous leur fassiez

comprendre que… ». « Eux » étant le monde scientifique, les intellectuels, et même les blancs que je représentais aussi du fait de l’accomplissement d’une partie de mes recherches en France.

Au-delà des éléments inconscients émanant des deux familles, celle rencontrée à Yaoundé donnait en plus, l’impression de représenter la famille modèle où c’est plutôt la tradition et le monde traditionnel qui était indexé avec une réelle volonté de protéger les enfants contre certaines pratiques traditionnelles et contre la sorcellerie. La famille vivant en ville passait ainsi un message qu’elle estimait d’ailleurs connu de nous. Par ailleurs, il fallait laisser entendre l’idée que les Camerounais n’étaient pas des barbares et que les enfants avaient de très bonnes notes à l’école. Nous étions donc également interpellés sur la situation économique du pays qui, désastreuse, suffit à expliquer les manquements des jeunes.

La famille résidant à Yaoundé ayant été plus complexe à rencontrer, car les membres étaient toujours occupés à d’autres tâches, il n’était pas toujours facile d’aménager un espace de temps qui corresponde à tous. Les différences constatées entre les sujets résidants en zone rurale et ceux résidants à Yaoundé, quant à la motivation de la participation nous a amené à comprendre que la dimension groupale de la rencontre joue un rôle dans l’acceptation ou le refus de l’entretien. Il s’agit premièrement de la distance entre les participants et le chercheur. C’est-à-dire que l’extériorité du chercheur, marquée par des paramètres socioculturels constitue une assurance d’expressivité chez les interviewés. Il se trouve en effet que nous sommes ressortissants du même groupe ethnique et parlons la même langue que la famille vivant en zone rurale rencontrée ; ce qui semble entre autres choses avoir favorisé une proximité alors que la famille interrogée à Yaoundé était d’une origine ethnique différente. Ce qui a très certainement établi une forme de distance. Seul le cadre institutionnel a permis dans cette dernière famille de recueillir le matériel de recherche.

Outre les familles, nous avions les adolescents comme population. Les conditions nécessaires à la pratique de l’entretien au-delà des règles de déontologie liées à toute méthode de sciences sociales sont de pouvoir créer un climat de confiance. C’est pour aller dans ce sens que nous avons établi une forme d’alliance avec les institutions où avait lieu les entretiens et particulièrement avec les conseillers d’orientation qui se sont occupés des réalités pratiques. Pour « briser la glace » lors des entretiens avec les jeunes, nous avons d’emblée introduit le tutoiement. Pour les adolescents, le vouvoiement est une marque de politesse, mais aussi d’éloignement. Ainsi, il ne s’aurait être question pour l’adolescent camerounais de vouvoiement

entre amis, entre camarades ou dans toutes autres formes de relations cordiales. Le tutoiement nous a ainsi permis de dissiper le premier a priori. Les adolescents qui n’ont pas l’habitude d’être tutoyé dans l’enceinte de l’établissement scolaire par leurs enseignants. Nous étions donc plus à considérer comme proche d’eux, comme des alter égos. Et les explications en préludes aux entretiens venaient soutenir cette première appréhension. Les adolescents intégraient l’idée qu’ils avaient le choix de participer ou pas et que les réponses, quelles qu’elles soient ne pouvaient faire l’objet de sanction. Un pouvoir de sanctions que nous ne possédions pas. Nous étions donc définitivement similaires à eux d’autant plus que comme eux, nous faisons des études. Le tutoiement a donc amené une forme d’alliance entre les interlocuteurs ados et nous. Malgré ces multiples précautions, le démarrage de l’entretien avec certains adolescents restant difficile, en termes d’échanges, nous insistions sur leur parcours, les gadgets et autres loisirs qui les intéressaient. L’idée était de faciliter la mise en confiance.

Même si la présente recherche n’a pas été réalisée dans un cadre thérapeutique, la dimension du transfert et du contre-transfert s’est imposée au déroulé de la recherche dans la mesure où elle nous a permis à la fois de saisir l’enjeu de la rencontre avec l’autre dans sa globalité (Cano, 2006) et de mieux orienter l’analyse.

5.3.2. Contre transfert du chercheur à son objet de recherche

Dans langoisse à la méthode dans les sciences du comportement (1967b), Devereux rend compte du mécanisme du contre transfert. Devereux propose alors au chercher des repères pour l’analyse de son contre transfert. Autrement dit, Devereux livre au chercheur, des outils nécessaires lui permettant de déterminer ce qui, dans sa perception, provient de l’objet observé ou de ses propres projections, de ses propres à priori et de ses propres fantasmes. D’après Devereux (1967b), le chercheur se doit, pour objectiver son objet de recherche, de mettre au point, des techniques visant à définir, classer, hiérarchiser les arguments et systématiser les informations à recueillir. Cette attitude d’objectivation est un préalable important dans toute recherche. Ce que Devereux démontre ici est que la personnalité du chercheur, son appartenance culturelle, vont déterminer sa démarche d’objectivation de l’objet de recherche. C’est aussi ce que Barus-Michel (1986) affirme lorsqu’il relève que le chercheur est le premier objet de recherche. Kim et Derivois vont quant à eux, parler d’une dimension projective du chercheur. Pour eux et notamment dans le cadre de la recherche en sciences humaines et sociales, « le chercheur ne peut nier le fait que son objet de recherche passe d’abord par lui-

p. 364). Dans cette recherche que nous menons, le questionnement sur la structuration identitaire au Cameroun soumis aux effets de la modernité et de l’interculturel, l’objet semble en effet consister avant tout, en une tentative de lecture sur ce que vit le chercheur lui-même, sur ce que nous vivons de façon très particulière. La relation de proximité que nous avons vis- à-vis de notre objet de recherche est de nature à mettre à mal l’objectivité dans ce travail, le risque étant alors de répondre à nos propres questions.

Un travail analytique sur la position du chercheur et son implication subjective constitue alors une étape indispensable qui va nous permettre de conserver la pertinence de la démarche et de l’objet de recherche. Il est ainsi nécessaire de mener une réflexion sur la « bonne distance » à avoir avec l’objet de recherche. L’identification plus ou moins claire, de la frontière du dedans/dehors de l’objet par apport à nos convictions personnelles permet de repérer différents moments et circonstances auxquels les interviewés nous identifient comme chercheur, comme camerounais, comme chercheur camerounais, et/ou comme chercheur camerounais effectuant une partie de sa recherche en France. Dans le cadre de cette thèse, il nous a alors semblé important, de prendre en compte le fait que nous avons passé la totalité de notre enfance dans la ville de Yaoundé et avons vu la ville se moderniser et se renforcer le mélange de cultures qui était déjà perceptible, mais pas aussi imprégné qu’aujourd’hui. Nous avons pour ainsi dire vécu le processus de mutation anthropologique que nous interrogeons et suivi le processus des modifications psychiques et comportementales qui l’accompagnent dans une perspective interculturelle. Se questionner alors sur les réactions du dedans/dehors du chercheur est un exercice qui accompagne tout le parcours de cette recherche. La souplesse nécessaire pour une telle réflexion n’est jamais complètement acquise, mais elle se construit dans un processus constant de remise en question, d’échange et d’analyse. Il faut être en mesure de reconnaître et de comprendre, par le travail analytique de l’après-coup, que certaines questions qui paraissaient centrées sur les adolescents camerounais répondaient aussi à notre curiosité personnelle concernant diverses stratégies face à des situations interculturelles. C’est ici que le matériel récolté vient surprendre le chercheur qui doit accepter d’être étonné malgré les a priori qu’il se faisait de l’objet interrogé. Il y a alors un réexamen de ce qu’on croyait être la réalité des choses. C’est ici que le clinicien va taire son opinion et suspendre son jugement pour laisser parler la réalité des faits. Garantissant par-là, aussi bien la très grande implication du chercheur que la validité même de la recherche.

Outre la neutralité obligatoire qu’il fallait à tout moment rechercher, afin de dissimuler au maximum, les possibles doutes, désaccords ou approbations vis-à-vis du discours des sujets, il fallait par ailleurs aussi faire particulièrement attention au fait que les personnes interviewées étaient autant à l’écoute de toutes expressions venant de nous, que nous pouvions l’être vis-à- vis d’eux. C’est là la réalité du transfert et du contre transfert. Des réalités que certaines interpellations venant des interviewés n’ont eu de cesse de nous interpeller. Prendre donc en compte les mécanismes du transfert et du contre transfert est une réalité de la recherche donc il faut prendre conscience. Cette dimension de la recherche est devenue dans ce travail, une véritable source de créativité ; les enjeux de la rencontre prenant alors une dimension qui dépasse les seules informations communiquées par l’interviewé.

6. La Méthode

Outre le récit de vie utilisé lors de la recherche exploratoire, les outils utilisés ici pour le recueil des données sont l’entretien clinique à visée de recherche et le test du dessin de Louis Corman.

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