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Culture et construction psychique : un processus de symbolisation

4. Le concept d’identité en psychologie

4.9. Les échecs du processus de construction identitaire 1 Le rejet des modèles identificatoires

4.9.4. Les ratés de la transmission intergénérationnelle

Qu’il s’agisse de biens, de valeurs, de croyances, de connaissances, de traditions, la transmission confirme l’appartenance et le lien entre les membres d’un groupe. Dans le cadre culturel, la mise en partage d’un bien valorisé se fait par sa transmission, à travers, comme cela était jadis le cas en Afrique, d’un échange dans le cadre de la famille. Dans le processus de transmission, l’héritage se manifeste comme un don privilégié et celui qui hérite en acceptant ou en l’accueillant contracte une forme de dette. Cette dette se résorbe dans l’assistance apportée aux parents devenus dépendants. Ainsi, c’est bien par la transmission inter

générationnelle, et même transgénérationnelle que s’effectue la construction symbolique et culturelle des patrimoines, des groupes humains autant que des individus. La transmission est pour ainsi dire un vecteur de continuité et de renouvellement de tissu familial. Le lien peut être biologique, génétique, familial et social, mais c’est la transmission d’un héritage culturel qui lui donne tout son poids symbolique. Marcel Mauss, (1950), envisage dans ce sens le don comme un phénomène social total, qui se manifeste comme une triple obligation de donner, de recevoir et de rendre. Une triple obligation qui a la particularité d’être à la fois libre et contraignante. Elle couvre par ailleurs la totalité des domaines du symbolique et les diverses dimensions de l’action. À travers cet échange, donner-recevoir-rendre, la relation de réciprocité crée, entretient et régénère le lien social, elle fonde l’échange culturel et le pacte symbolique. La transmission de la culture reste cependant un procédé délicat qui va au-delà d’une simple connaissance des savoirs fondamentaux. Ces savoirs servent de socle à une maîtrise plus approfondie des connaissances plus complexes. Pour transmettre, il faut travailler sur la désirabilité de l’objet, ménager le passage et les acteurs du passage : s’assurer de la réception conjointe et de la poursuite au-delà du trajet. Il faut vouloir, pouvoir et savoir transposer et transmettre de façon efficiente. Ainsi, chaque étape de la transaction donner-recevoir-rendre est semée d’embûches qu’il convient de dépasser.

Les difficultés que rencontre l’acte de transmission se trouveront d’abord chez les parents qui font office de donateur. Il apparaît que les grands-parents au Cameroun et à un moment donné de l’évolution de la société, ne se sentaient plus tenus à ce que Mauss a nommé l’obligation de donner. Des multiples raisons peuvent être avancées. Les anciens avaient la crainte du colonisateur qui sévèrement, réprimait les pratiques ancestrales. Ils se sont trouvés obligés de renoncer à certaines pratiques ou rites pourtant utiles dans la façon qu’ils avaient de transmettre. Certains rites persistaient, mais n’étaient plus pratiqués que clandestinement. Il y a ici la peur d’être privé de leurs savoirs et de leur mystique. Les jeunes scolarisés adhèrent aux nouveaux modes de vie, éprouvent l’autorité des anciens et interrogent le bien-fondé de la tradition ; ce qui va créer aussi une autre forme de réticence des anciens à transmettre, la crainte d’une trahison par cette génération de jeunes soumis au modernisme et un manque de confiance vis-à-vis de ces derniers. Tous ces freins ont perturbé l’élan du don en Afrique. Dans cette volonté de conserver leur tradition, de retenir la dilution, et même de priver de leurs savoirs les étrangers comme les Autochtones devenus eux-mêmes étrangers à la tradition, les anciens ont, semble-t-il, fait obstruction à la passation du don.

Une autre obstruction à la transmission du don relève du récepteur. Les individus livrés à la vie telle qu’elle était présentée au lendemain des indépendances, c’est-à-dire prometteuse et pleine d’avenir radieux, le retour ou la conservation de toute chose pouvant les retenir à une vie traditionnelle qu’ils tenaient à abandonner était, de fait rejeté. Il y a ici un rejet, une impossibilité d’accueil et de réception du don qui s’érige et rend la transmission inenvisageable. Toute action allant dans le sens du legs est violemment réprimée. Il s’installe chez les jeunes des villes comme un désaveu du trésor culturel. La logique cartésienne qui fait son chemin dans l’esprit de ces jeunes Africains crée une incompréhension doublée de la méfiance vis-à-vis des ainés (les anciens sont taxés de sorciers) qui rendent impossible toute transmission.

Par ailleurs, il y a une confiance des Africains qui s’est effritée. Ils ont perdu confiance en leur culture et en leur capacité à résoudre les problèmes qui se posaient. C’est à ce titre que l’objet de transmission, c’est-à-dire la substance même du don perd de sa valeur. C’est là une étape importante de la mise en mal du processus de transmission. Prenons par exemple le cas de la langue maternelle. Les Africains étaient tellement encouragés à ne plus parler que les langues occidentales, au sein d’établissements scolaires qu’il fut mis en place un système organisé permettant de punir toute personne prise en flagrant délit d’utilisation de sa langue recevait une correction. Les langues maternelles, inévitablement, passaient donc comme possédant moins de valeur que celles parlées à l’école. On peut y voir ici la crainte que la langue que l’on enseigne à l’enfant à la maison ne lui soit préjudiciable. Un des principes de la transmission est cependant d’éviter que l’inestimable objet de la transmission ne se convertisse en cadeau empoisonné ou simplement en bagage vain et encombrant pour le récepteur. Le résultat est que de nos jours et particulièrement dans les grandes villes du Cameroun, les jeunes pour une grande majorité ne parlent que les langues occidentales. Le dénigrement des cultures africaines, son retard et sa difficulté à se renouveler à la vitesse des enjeux du monde actuel peuvent aussi être à l’origine des freins d’une transmission réussie. Dans le processus de transmission, le don ou la substance du don doit permettre à l’individu d’être libre et non- assujetti par l’objet de la transmission. Pourtant, justement en Afrique, l’objet de la transmission pour revenir à l’exemple de la langue maternelle était au contraire un handicap susceptible de causer des désagréments au destinataire du don. Ces blocages de la transmission ont créé des sujets vacillants, car les ratés du processus de transmission engendrent des défaillances dans la structuration du lien intersubjectif et social tout en privant le sujet d’une construction symboliquement inscrit dans une culture, différenciée, autonome et solidaire. Il est par conséquent impossible pour les jeunes de l’époque des indépendances, devenus eux-mêmes des

parents aujourd’hui de transmettre. N’ayant pas été inscrits dans l’ordre symbolique par le don de l’objet de transmission, ils sont incapables à leur tour de restituer et d’enrichir le legs qu’ils ne font qu’entrevoir de façon très floue l’objet. Il y a alors des difficultés dans la passation des savoirs, car les jeunes Africains peuvent acquérir le savoir scolaire dans les écoles, mais pas le patrimoine culturel conservé et renouvelé qui par le partage d’un lien pulsionnel fort, pourrait les regrouper au sein d’une communauté symboliquement structurée.

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