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La parole de la société sur l’individu : la question de la nomination

Culture et construction psychique : un processus de symbolisation

2. Le concept d’identité du point de vue de l’anthropologie culturelle

2.3. La parole de la société sur l’individu : la question de la nomination

Dans l’activité sociale de construction du monde et de la place des individus, celle de la nomination des êtres est d’une grande importance. Nommer un individu, c’est lui donner une place dans la société et dans le lien générationnel. C’est par ailleurs aussi, donner du sens à sa venue au monde. Dans les sociétés camerounaises et plus généralement africaines d’autrefois, l’attribution d’un patronyme à un enfant répondait à des canons précis. En Afrique, l’enfant reçoit le nom patronymique de son père. S’il est illégitime, il lui est très généralement donné le

nom du père de sa mère. Le nom est donc un support à la mémoire communautaire et joue un rôle de « signe d’identification à l’espace de référence du groupe, de marque d’appartenance à une lignée et d’inscription de cette lignée dans un espace de référence » (Zonabend, 2007, p. 263). En somme, le nom de famille inscrit l’individu dans une chaîne générationnelle qui le précède et dont il assurera la continuité en le transmettant à son tour à ses descendants.

Les Africains font preuve d’un soin particulier et d’une grande créativité lorsqu’il s’agit de trouver un patronyme à un des leurs. On peut ainsi regrouper les noms patronymiques de naissance en trois grandes catégories : le nom reprenant celui d’une autre personne, décédée ou vivante ; le nom de circonstance où l’on se réfère pour l’attribuer, à une « donnée » de la naissance ; le nom-messages, adressé à un destinataire invisible et/ou à l’entourage.

Le patronyme d’un enfant est donc la révélation de la totalité de ce qu’il est, de ce qu’il va accomplir ou de ce que quelqu’un d’autre a déjà accompli. C’est la personne dans ses dimensions multiples. On entendra donc facilement dire en Afrique parlant du patronyme : « Mon nom, tout comme mon corps, c’est moi » ou encore « Le nom, c’est l’homme ». Le nom, c’est en effet le moi social, le moi relationnel : l’être reconnu, appelé, désigné, cité, loué ou dénigré, béni ou maudit, célébré et chanté. Jacques Fédry remarque qu’« il est significatif de noter que dans plusieurs langues du Tchad, un même terme de la langue exprime à la fois le moi visible, globalement manifesté, très approximativement rendu en français par le terme « corps », et le moi social qu’est le « nom » : en kenga (langue du groupe sar-bongo-baguirmi parlée au centre du Tchad), röö-ma (« Être manifesté, moi » signifie à la fois « mon corps » et « mon nom » (Fédry, 2009, p. 78). Nous remarquons qu’il y a d’autres cas curieux relevant d’une concordance sémantique posant deux éléments comme relevant d’une même réalité. Il s’agit de correspondances entre les termes désignant le nom et une partie du corps, principalement du visage (et non plus le « corps » dans son ensemble). Fédry fera dans ce sens une investigation qui permet de noter que dans la langue banganté, au Cameroun, zezai signifie « mon nom » et « mon œil » ; chez les Étons et les Éwondos, zue dama signifie : « mon nom » et « mon nez ». On découvrira avec étonnement dans d’autres langues le même phénomène. En langue banen (centre du Cameroun), niñ : « mon nom » renvoie à « ma dent », Slime en ma’da et mounyang (langues du Nord Cameroun), en mafa signifie « oreille ». Ces constats montrent comment il s’agit non d’une homonymie fortuite, mais bien d’une relation essentielle du nom au corps.

On comprend alors comment « abîmer le nom » de quelqu’un, en le dénigrant ou en le calomniant renvoie à porter atteinte à sa personne, autant qu’à son être corporel : le patronyme, ou la réputation, est l’extension sociale de la personne. Inversement, la gloire, l’honneur, la réussite sont perçus comme renommée. La nomination représente à elle toute seule, un fait qui confère une identité à la fois sociale, de corps et de réputation. Autrement dit, le nom par lequel on appelle une personne remplit de multiples fonctions. Imposer un patronyme à une personne, l’interpeller par son nom patronymique, parler de quelqu’un en indiquant son nom de famille sont des actes qui correspondent à des fonctions différentes que peut remplir son nom patronymique. Le patronyme par lequel une personne est appelée peut avoir plusieurs fonctions. Le nom peut avoir une fonction d’intégration sociale. Reçu de ses parents, il marque ici, une reconnaissance sociale, mieux encore, une renaissance. De fait, le nom attribué à une personne l’introduit ou l’intègre dans l’histoire de la communauté. Le nom sert aussi d’opérateur de relations. Il remplit dans ce cas une fonction interpellative. Par le biais du nom, on peut « interpeller autrui, l’appeler, l’interroger, l’invoquer, l’intimer, le héler ou le saluer » ou même le bénir ou le maudire (Bonvini, cité par Motte-Florac et Guarisma, 2004, p. 282). Fédry (2009) dira qu’appeler quelqu’un dans ce contexte, c’est s’introduire au cœur de son être. Le nom peut également remplir une autre fonction qui est celle dite référentielle. Lorsque l’on parle de quelqu’un en le désignant par son nom, c’est la fonction utilitaire de référence qui prime. L’emploi du nom des personnes rejoint ici celui du nom des choses. Une dernière fonction du nom est celle de porteur de message. La personne nommée devient un messager vivant. Cette personne sera alors totalement ou partiellement, mais toujours influencée par le message imposé sur lui, sans pour autant y être enfermé. C’est dire malgré tout que la personne garde la possibilité de réorienter le sens de son patronyme.

L’individu est par ailleurs souvent porteur, en Afrique, d’une multitude d’appellations qui varient en fonction de certaines circonstances. En effet, loin de se limiter au patronyme officiel inscrit à l’état-civil, les individus sont souvent porteurs de nominations multiples. Ainsi, chaque individu dispose d’une série de noms susceptibles de changer en fonction du lieu et des évènements de sa vie. En fait, cette plasticité sociale du nom se réfère avant tout aux relations entre les individus. En effet, un individu appellera un sujet d’une façon et d’autres individus appelleront le même sujet par d’autres noms. La multiplicité des noms est donc très souvent liée à la variabilité des interlocuteurs, mais aussi à l’étendue des relations sociales de l’individu. Cela signifie que le patronyme est plus à entendre comme un signifiant du rapport que l’individu entretient avec les autres que comme une appellation définie. En tant que signifiant de l’identité,

le nom patronymique est donc révélateur de l’interaction et de l’étendue des relations sociales de l’individu. Dès lors, cela suppose que le nom est aussi pris dans l’histoire sociale de l’individu. Il est par conséquent fort probable que pour nombre de sujets adolescents camerounais, soumis à l’inter culturalisme dû à la modernité galopante, le nom sera modifié, transformé, recomposé, voire même ignoré au profit du prénom. Ces modifications pouvant, au final, être mises au compte, de l’acculturation négative subie ici et d’une perte d’identité. Elles peuvent aussi être un signe manifeste des recompositions de l’identité amorcées par l’histoire des mélanges de cultures.

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