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La représentation symbolique des différences : les marqueurs d’identité

Culture et construction psychique : un processus de symbolisation

2. Le concept d’identité du point de vue de l’anthropologie culturelle

2.1. La représentation symbolique des différences : les marqueurs d’identité

Au fait du déploiement identitaire se trouvent des symboles qui, portés par la culture d’une communauté, soutiennent et raffermissent sa solidarité, mieux encore, sa cohésion en affirmant ses traits différenciateurs vis-à-vis des autres groupes. Sélectionnés par les membres du groupe, ces traits culturels constituent alors une marque de différence. Lesdits traits ne sont

cependant pas la « somme des différences objectives, mais seulement ceux que les acteurs eux- mêmes considèrent comme significatifs » (Barth, 1995, p. 211). Le choix des traits tout comme la valeur qu’ils portent peuvent varier selon le contexte de l’interaction et les stratégies employées. Citant Barth, Bouchard affirme dans ce sens que « certains traits culturels sont utilisés par les acteurs comme signaux et emblèmes de différences, alors que d’autres ne sont pas retenus, et que dans certaines relations, des différences radicales sont minimisées ou niées » (Bouchard, 2007, p. 14). De plus, il peut arriver qu’un même symbole n’ait pas la même signification chez tous les membres du groupe. C’est ici que l’on note alors toute la pertinence des travaux de Barth portant sur les raisons et le contexte social qui poussent les acteurs à mettre en avant ou de promouvoir certains traits de leur culture et pas d’autres. Les traits culturels significatifs ont une valeur discriminante en ce sens qu’ils contribuent à l’élaboration et au maintien de frontières sociales imaginaires entre les groupes dont les membres sont en interaction. L’anthropologue norvégien Barth (1995, p. 213) indiquera d’ailleurs que « si un groupe arrive à maintenir son identité et sa cohésion alors que ses membres interagissent avec d’autres, c’est qu’il doit y avoir des critères et des symboles qui déterminent l’appartenance ou la non-appartenance à tel ou tel groupe ». Autrement dit, le modèle de Barth déplace le foyer d’investigation en focalisant la recherche sur la frontière et l’entretien de celle-ci, grâce au concours des marqueurs identitaires, plutôt que sur la constitution interne et l’histoire des groupes considérés séparément.

Les travaux de Hensel en Alaska (1996) vont démontrer que ces marqueurs d’identité se dévoilent constamment dans les conversations et les situations informelles de la vie quotidienne. Pour lui, chaque conversation peut être envisagée comme une négociation où l’acteur use de stratégies afin de mettre en valeur des traits de son identité qu’il juge significatifs selon le contexte social. Certaines conditions s’appliquent afin que ces marqueurs identitaires jouent le rôle escompté. De tels marqueurs sont souvent l’écho de stéréotypes attribués par les membres des autres groupes. En ce sens, « un groupe ethnique pourra stratégiquement mettre en valeur des traits correspondant à des stéréotypes positifs dont il est l’objet » (Bouchard, p. 14). Au Cameroun, pays constitué justement d’une multitude d’ethnies, l’on reconnaîtra par exemple que le peuple bëti est caractérisé par sa liberté et son hospitalité ou encore que l’ethnie Bamilékée a un mode de vie porté à mettre l’accent sur les activités économiques qu’elle maîtrise avec doigté. Ces traits de caractère sont certains des aspects valorisés de la culture de ces deux ethnies faisant envie ou tout du moins, sont salués des autres ethnies du pays.

À l’échelle continentale en Afrique, la négritude est un marqueur identitaire. Il n’est pas forcément utile de rappeler que le caractère d’évidence que revêt aujourd’hui la référence à l’Afrique en tant qu’horizon identitaire est une construction sociale historiquement circonscrite par l’évidence du contact avec les cultures musulmanes arabes et chrétiennes d’Europe, qui avaient en commun un agenda d’exploitation et de domination. C’est bien par le trait commun qui était de s’opposer à cette invasion que les Africains se sont découverts comme « africains », relevant d’un même continent et partageant, de ce fait, un certain nombre de choses au-delà du combat contre l’envahisseur. Autrement dit, les Africains partagent symboliquement l’expérience traumatisante de l’esclavage et plus proche de nous, celle tout aussi traumatisante de la colonisation. Ces deux évènements ont valorisé la production ou l’émergence de cette identité africaine ou « panafricaine ». La consolidation de cette identité propre de l’Africain n’est cependant pas chose évidente dans la mesure où la colonisation avait aussi pour rôle de réduire les traits propres de la culture africaine tout en imposant des valeurs occidentales, faisant alors de l’identité des Africains une identité quelque peu paradoxale. Des auteurs devenus classiques tels Fanon (1952) et Memmi (2002) ont démontré comment, dans un contexte de colonisation, un groupe assujetti peut se voir imposer une image dépréciative associée au statut de « colonisé ». Dans de tels cas, les principaux marqueurs de l’identité collective se pensent exclusivement sous le regard du groupe dominant. Les membres d’un tel groupe peuvent difficilement s’affranchir sans abandonner cette image imposée de l’extérieur.

Revenons à ce qui pourrait être considéré comme identité paradoxale pour constater que le cœur de leur creuset est le cadre territorial des États africains contemporains, il faut en effet reconnaître que les frontières des États africains sont artificielles puisque le continent a été dépecé par les colons sans tenir compte des peuples qui y vivaient, de leurs cultures, de leurs relations de parenté, de proximité ou d’hostilité. De telles opérations ont aujourd’hui le regrettable dessein de laisser émerger des identités de pouvoir plus large que les identités ethniques, et ce, au détriment des identités nationales. Il serait plus efficient de parler alors d’identité régionale. Ce terme d’identité régionale nous est inspiré du cas du Cameroun. Nous reviendrons sur la spécificité de la culture traditionnelle du Cameroun plus tard, mais il est difficile de ne pas relever ici en exemple la désignation, dans ce pays de deux régions ayant été l’une sous la domination britannique et l’autre sous la tutelle française durant la période coloniale. Ainsi, la partie anglophone du pays ne se reconnaît pas dans les pratiques de la partie dite francophone qui concentre les pouvoirs politiques et économiques ; ce qui a abouti à une cristallisation des relations, allant jusqu’à une revendication violente de cessation. Il nous

semble que, aussi bien la partie francophone que la partie anglophone du pays aient, chacune en ce qui la concerne intégrée des traits culturels différenciateurs, assignés respectivement à ces groupes par la société occidentale dominante. L’administration coloniale française (administration directe) ayant quelque peu été différente de l’administration coloniale anglaise (indirect rule), les deux blocs, même s’ils partagent à la base les mêmes traditions ancestrales, ont le sentiment d’avoir une identité différente, d’un côté comme de l’autre. Ainsi, la colonisation en fonction de la puissance coloniale dominante a donc laissé des marques particulières qui aujourd’hui s’érigent en marqueurs d’identité.

Même si nous affirmons que l’élaboration de toute identité ne peut être une réalité que dans le cadre d’un dialogue avec l’altérité, il ne nous semble pas sans risque de définir son identité collective par rapport à un autre groupe. S’il ne fait pas de doute que les Occidentaux et les Arabes constituent des altérités privilégiées pour les Africains, le problème réside ici dans la négation d’un autre aspect fondamental de la construction des identités individuelles ou collectives, à savoir son caractère symbolique et dynamique. La réduction de l’identité des Africaines à quelques traits distinctifs ne représentant que l’envers du mode de vie « moderne » des Occidentaux rend difficile, voire impossible, la maîtrise et l’affirmation de leur destin collectif, en tant que groupe évoluant dans un environnement social changeant. De plus, « une telle situation néglige la pluralité intrinsèque à la notion d’identité. On limite ainsi l’expression de ces identités collectives complexes et multiformes à une seule de leurs composantes » (Bouchard, 2007, p. 17). En somme, si les marqueurs d’identité contribuent à la différenciation du groupe, à sa cohésion, et même à une certaine fierté parmi ses membres, ils peuvent également emprisonner dans des stéréotypes réducteurs, l’identité.

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