• Aucun résultat trouvé

Le Cameroun : un pays caractérisé par sa diversité culturelle

5. Particularité de la clinique traditionnelle au Cameroun

Dans son œuvre : psychiatrie dynamique africaine (1977) Ibrahim Sow pense que la maladie mentale est en général et de façon certaine très étroitement liée à la dynamique et à l’organisation de la personnalité. Cette organisation est elle-même variable d’une culture à l’autre. Le cadre intellectuel, le langage et les conceptions anthropologiques justifient et impliquent obligatoirement une conception particulière de la maladie mentale selon l’endroit où l’on se trouve. Sow va alors formuler une hypothèse de travail selon laquelle : la violence subie par le sujet africain est la résultante d’un désordre qui vient troubler l’harmonie fonctionnelle de la triple relation polaire que représentent : la relation verticale (dimension phylogénétique en rapport avec l’être ancestral), la relation horizontale (dimension socio- culturelle, c’est-à-dire l’alliance à la communauté élargie), et la relation ontogénétique (dimension de l’existant, c’est-à-dire l’Être biologique ou la famille nucléaire). De façon schématique, le trouble psychique se pose dans la culture traditionnelle africaine en générale et camerounaise en particulier comme une violence exercée sur « l’individu par la perturbation ou la rupture provoquée par une altérité agressive de l’un ou l’autre de ces liens. La tradition et le traditionnel n’étant cependant pas des données figées, l’on constate l’instauration de nouveaux types de rapports sociaux qui actuellement pourraient être l’occasion de développements nouveaux. Il y a là une possibilité d’élaboration de modèles psychologiques

de la personnalité camerounaise s’appuyant sur les lois, les interdits, les règles et attitudes propres à la culture en tenant par ailleurs compte aussi de l’inter culturalisme.

En milieu traditionnel, le patient participe lui-même à sa prise en charge thérapeutique par le groupe et ceci dans des circonstances bien déterminées ayant une signification dans les réseaux culturels de relations. La notion de conflit dynamique de relation avec un tiers persécuteur est le thème central de l’étiologie des troubles mentaux ici. Dans sa pratique clinique, Lamessi (2014) expose, après une recherche menée en République Centrafricaine, pays limitrophe du Cameroun et partageant en partie la même culture, que tous les sujets observés, analphabètes ou cultivés, paysans ou fonctionnaires ont toujours recours au même schéma explicatif pour rationaliser la situation traumatique vécue : « Je suis ensorcelé », « on m’a envoûté ». Dans « ces propos teintés de plaintes transparaît une certitude que rien, ni personne ne peut ébranler. Le sujet sait et il est convaincu qu’il est l’objet ou la victime d’une agression ou d’une attaque dirigée contre sa personne par un tiers qui peut être aussi bien un homme qu’un esprit, un sorcier ou un marabout. » (Lamessi, 2014, p. 126).

La thématique de la persécution est ainsi quasi permanente dans toutes les formes d’états dépressifs en milieu traditionnel camerounais. Cette interprétation systématisée est en réalité l’instrument d’une projection déformée du sujet dans le monde. Dans le délire persécutif, le recours à la projection comme mécanisme de défense, permet au sujet de projeter à l’extérieur de lui-même son conflit, en lui attribuant une signification qui ne vaut pas seulement pour le sujet, mais aussi pour l’entourage. Anna Freud dans le Moi et les mécanismes de défense (2001) avait déjà laissé entendre que tout individu qui projetait largement sur autrui, ses pulsions intellectuelles cessait de ressentir de la peur même au moment du danger. Son Moi ne se souciant plus de sa propre vie. Ceci d’autant plus qu’au Cameroun, ce mal que le sujet projette à l’extérieur est connu de l’entourage, aussi bien ses causes que les mécanismes de sa résolution. Le Moi dans cette configuration n’est pas déstructuré et le principe de réalité n’est absolument pas évité. Au contraire, le sujet va dire haut et fort, sa pensée d’être attaqué et celle-ci a une signification aussi bien pour lui que pour le groupe tout entier. Il extériorise non pas une idée vague, mais la conviction d’être victime et objet d’agression. Ce discours « loin d’être incohérent, est compris et accepté par la famille qui en propose l’interprétation adéquate. « Ainsi impute-t-on à un rival, un ennemi, à un sorcier ou aux esprits ancestraux tout sentiment d’impuissance, d’échec ou de faiblesse » (Lamessi, 2014, p. 135).

Malgré certaines variantes que l’on peut noter çà et là dans la culture africaine, Sow (1978) schématise les dimensions constituantes de la personnalité selon la conception traditionnelle. C’est ainsi qu’il propose le schéma suivant :

- Le corps : c’est l’enveloppe en relation avec le pôle communautaire (terrain du fétichisme et/ou du maraboutisme) ;

- Les principes vitaux en relation avec le pôle familial, l’être biologique. C’est le pôle de la sorcellerie ;

- Le principe spirituel en relation avec le pôle ancestral et qui serait la source du type de troubles les plus graves parce que procédant du désordre le plus important et le plus fondamental avec l’être, le verbe, la loi de l’ancêtre.

Ainsi, chez l’Africain en général et chez les Camerounais en particulier, la bouffée délirante, quelle que soit sa forme serait en rapport avec l’ancêtre. (C’est la dimension verticale.). Les phénomènes d’arrêt, de blocage, de ralentissement social, physique, sexuel évoqueraient des problèmes avec la synchronie, c’est-à-dire le système des alliances et signifiants culturels en général (C’est la dimension horizontale.). Les causes organiques de la maladie, si elles ne sont pas méconnues, apparaissent comme secondaires, le pourquoi de votre malheur étant l’élément fondamental aussi bien pour le malade que pour le praticien. Il est à noter que le hasard est une donnée méconnue. On sait bien que l’on meurt par blessure, empoisonnement, brûlure, noyade ; que la morsure d’un serpent venimeux ou d’une bête féroce peut être fatale, mais même dans des cas de cette espèce, l’on parle en Afrique d’envoûtement, pour signifier que ce n’est pas par hasard qu’un tel malheur est arrivé à un tel plutôt qu’à un autre, que l’on se soit trouvé à la portée d’une vipère ou d’un léopard, ou qu’un arbre soit tombé juste au moment où quelqu’un de précis passait dessous. Il faut « qu’une volonté malveillante ait arrangé les circonstances aux dépens de quelqu’un » (Hebga, 1991, p. 62).

De fait, des notions comme la sorcellerie, les ancêtres, la culture, la famille et la société passent pour incontournables dans le projet vital de la société camerounaise qui est celui du maintien du bien-être de sa population. C’est ainsi que l’on peut affirmer que la médecine traditionnelle africaine relève d’une dynamique de l’existence de l’être en rapport avec son environnement. La pathologie apparaît dès lors comme déterminée par la façon dont certains membres de la société refusent ou marquent leur inadaptation, leur incapacité à intégrer les valeurs culturelles que porte la famille ou le clan. Il est utile de préciser que ces refus,

généralisation. C’est ici que l’on va alors interroger les changements que subit la famille africaine prise dans le tourbillon de la mutation sociale.

Dans la clinique traditionnelle africaine, à la place de la culpabilité observée chez le patient en Occident et de plus en plus dans l’Afrique d’aujourd’hui, on y trouve en général (en fonction des conceptions suscitées), un très violent sentiment de honte qui marque une exigence de l’idéal du Moi rappelant sans cesse au sujet son infériorité vis-à-vis du sacré. Le sujet est en Afrique toujours acculé au dépassement de soi dans la perspective heureuse de son acceptation par le groupe et les ancêtres. La non-satisfaction d’une telle ambition favorise le sentiment de persécution qui se révèle comme une arme efficace pour la défense du Moi et contre la montée de l’angoisse. Cette persécution est d’autant plus courante qu’elle s’érige comme mode d’explication, comme cause à ce qui trouble l’ordre, à ce qui désorganise les relations et atteint l’individu dans son être physique, psychique ou spirituel. La persécution est éprouvée par l’individu malade, proposée par sa famille ou son entourage et mise en forme par le guérisseur. Toute psychopathologie est ainsi révélatrice d’une rupture entre l’individu et sa culture.

À l’origine de l’organisation de la société chez les Bantous, on trouve donc le nsem (bris d’interdit). Des interdits donc les plus importants sont ceux de l’inceste et du meurtre (notamment du meurtre de consanguinité). Autrement dit, la culture chez les Bëtis, et très généralement au Cameroun joue un rôle important dans la répression des pulsions des individus (essentiellement des pulsions sexuelles et d’agressivité) tout comme elle tente d’imposer un ensemble de valeur morale ; c’est-à-dire un idéal de vie en groupe. Ainsi, le respect des ainés et l’attachement à l’ancêtre fondateur, porteurs de ces interdits sont des données irréductibles pour le peuple camerounais. Une irréductibilité que la situation interculturelle vient relativiser, modifiant de fait, le processus de construction des identités.

Chapitre IV :

L’interculturel et son influence dans la construction

Outline

Documents relatifs