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B.3.1 « Sous le soleil du blanc »

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 80-83)

conceptions, représentations et usages de la ville à Bobo-Dioulasso

III. B.3.1 « Sous le soleil du blanc »

Ainsi, pour les responsables des services techniques municipaux, le quartier de Dioulassoba n’est qu’une partie du secteur 1 de la ville qu’ils considèrent comme attardé, désordonné et sous- développé73.

« Les allochtones se plaisent aujourd'hui à qualifier les Bobos de gens sales. Notre organisation sociale traditionnelle est mal connue de l'administration. Pendant le conseil municipal, les conseillers municipaux bobo ne donnent aucune information là-dessus. Un chef coutumier d'un village bobo madarè (Millogo, 2002 : 75).

Mais du point de vue des autochtones du « village » de Kibidwé (secteur 1) à Dioulassoba, leur quartier est un ensemble de « villages autochtones » bobo, bobo-dioula et dioula qui sont à l’origine de la fondation de la ville la ville de Bobo-Dioulasso. Pour eux, la mairie « des blancs » incarne un univers discontinu, multipolaire, hétérogène et mobile avec lequel les interactions sont souvent conflictuelles. Par contre, l’espace communautaire bobo est fondé sur le principe d’identité ; il tend à être socio-culturellement homogène et constitue un domaine de partage, un « chez soi», sur lequel chacun peut se replier. Les Bobo traitent donc l’espace urbain comme un patrimoine hérité des ancêtres, comme un espace de vie et de travail commun à la communauté des « autochtones » Madarê, Zara et Dioula, mais qui exclut, bien sûr, les « étrangers » : Samara.

On doit donc considérer que la résistance au développement urbain des villages bobo autochtones absorbés par la ville (refus du lotissement, de la créations d’infrastructures d’assainissement, etc.) est autre chose qu’un simple blocage contre le « progrès » ; ces refus, rejets et oppositions diverses tentent de faire en sorte que l’espace et la forme d’occupation du territoire communautaire restent adéquats à la reproduction d’une identité historique constitutive de la société bobo74. Pourtant, ils constatent amèrement que les formes « traditionnelles » de solidarité n’arrivent pas à se maintenir dans le contexte contemporain :

« On a presque l'impression que rien n’a existé avant. Nous sommes « sous le soleil du blanc ». C'est chacun pour soi. L'unité du village a disparu. La réorganisation n'est plus possible. Ceci a contribué à affaiblir le peuple Madarè ». Un chef coutumier d'un village bobo madarè (Millogo, 2002 : 75).

« Bobo-Dioulasso ne nous appartient plus ; tout ce qui est beau, ce sont les Samara ; tout ce qui est laid, ce sont les Kpéné kuma. Nous sommes fatigués ! » madame S.O. (Millogo, 2002 : 76)

Le refus des autorités coutumières bobo de prendre des mesures de lotissement, de propreté ou d’assainissement du quartier fondateur Dioulassoba, est une forme de démonstration publique où ils testent leur capacité de maintenir les distances nécessaires à la co-présence des Autres, ces « étrangers » qui sont venus avec le pouvoir des « blancs » et qui prétendent gérer tout l’espace :

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Le Bris souligne à juste titre que la question de l’appartenance et de l’identité « s’impose décidément comme condition de la gouvernabilité » municipale (Le Bris, 1999 : 10).

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L’affirmation d’une identité culturelle est en soi une source de conflit. En effet, une culture imaginée comme authentique se définit par opposition aux cultures voisines en les appréhendant comme radicalement différentes; cette supposition d’altérité permet ensuite de poser des principes d’exclusions : l’échange interculturel est alors vécu comme une menace pour l’authenticité. (Dominique Schnapper, 1994, La communauté des citoyens, sur

« Le village avait sa police traditionnelle kodugo (composée d’adulte des différentes classes d’âge) qui faisait respecter l’ordre bobo. Certaines sanctions infligées à une classe d’âge étaient éxécutées là-bas. Maintenant, avec la cohabitation avec des étrangers, l’organisation devient difficile. Notre police ne peut les sanctionner, ni les Zara, ni les Dioula, car ils vont aller se plaindre à l’administration et on va se faire convoquer à la police. Et nous nous ne voulons pas avoir affaire avec l’administration. Notre « police traditionnelle » ne peut s’exercer que contre nous- mêmes. Aujourd’hui les Bobo ont perdu leur autorité ; la réorganisation du village est impossible, on ne peut plus parler d’unité du village. » Chef coutumier du quartier bobo de Tounouma (Timina) avec son fils (enquête 2001).

Quoi qu’il en soit, l’espace communautaire bobo ne reste pas identique à lui-même, il est contraint de s’ajuster et de se recomposer sans cesse75. D'une part, la population des quartiers « autochtones » est soucieuse de perpétuer sa coutume, de la faire respecter par l'administration municipale et de préserver sa légitimité rituelle sur la rivière et la terre, mais d'autre part, elle est aussi désireuse de profiter des avantages de la modernisation76.

« C'est ainsi que lors de l'aménagement des rives du marigot Houet, en 1998, par la Direction des Services Techniques Municipaux, la « mairie » a donné un mouton, deux poulets, du dolo et une somme de 2500 FCFA aux chefs coutumiers, afin qu’ils procèdent , avant les travaux, aux cérémonies pour l’enlèvement du fétiche du lieu de culte. Les mêmes cérémonies précédant la réinstallation du fétiche. » (Millogo, 2002)

Dioulassoba est aussi devenu le haut-lieu touristique de la ville, et les « enfants du village » qui ont la maîtrise confidentielle de l’espace commun sont devenus des guides pour touristes tandis que le reste de la population reste repliée sur soi, sur son quant à soi, dans une cohabitation close.

B.3.1.1 Chefs coutumiers et courtiers politiques

Les chefs des villages bobo de la ville ont joué un rôle très important lors des dernières élections municipales (2001). Courtisés et manipulés par tous les partis politiques qui cherchaient par là une légitimation « traditionnelle », ils se sont profondément déchirés et divisés à l’occasion des élections municipales qui ont donné lieu aux événements que l’on sait.

« Politiquement à Wo, les Zara sont alliés avec les Bobo. Mais à Danana, la moitié est avec les Bobo et la moitié avec le chef de canton. Mais les Dioula de Kongbougou sont avec les Bobo. » B.S. (enquête 2001).

« Le problème est que les Zara servent toujours de relais avec l’administration en prétendant représenter la chefferie traditionnelle bobo. Alors qu’ils ne sont que des commerçants musulmans qui nous ont trahi plusieurs fois. En favorisant la conquête du pays bobo par les Dioulas de kong (pendant le Gwirisso, une partie du pays bobo fut administré par les Dioulas de Kong) puis en mystifiant l’envahisseur français qui leur confia la chefferie de canton. Leur domination fut despotique. On était devenu leurs esclaves, d’ailleurs aujourd’hui encore, ils nous considèrent ainsi. On ne s’entend pas avec les Zara, ni bien sûr avec les descendants des Dioulas de Kong ; Mais eux ils s’entendent entre eux. Et comme ce sont eux que la mairie écoute, nos intérêts ne sont pas défendus. Par contre, comme les Zara ont envoyé leurs esclaves bobo et nous-mêmes à l’école à la place de leurs fils, aujourd’hui, c’est chez nous qu’il y a des intellectuels, tandis que chez la Zara qui ont préféré l’école coranique on peut compter les intellectuels

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Ainsi, les silures sacrés tués par la pollution sont remboursés soit par la mairie soit les pollueurs quand ils sont identifiés ! Par ailleurs, les autochtones bobo ont réussi à imposer au pouvoir communal l’imaginaire de leurs valeurs traditionnelles à travers la dénomination des trois arrondissements Dô, Konsa et Dafra qui composent la commune de Bobo-Dioulasso.

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Puisque le statut social vaut aussi par ce qu’il permet de montrer et d’affirmer à travers un rôle effectif, le rôle politique que veulent continuer à jouer les chefs coutumiers dépend étroitement de leur relation au pouvoir politique moderne.

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

sur les doigts d’une main. » Chef coutumier Sanou sogosira (Kibidwé, « village » de Dioulassoba) secteur 1, Bobo-Dioulasso (enquête 2001).

Les rancœurs sont aujourd’hui encore très vives et une fraction importante des « autochtones » n’accorde aucun crédit au maire actuel qui n’est pas un « autochtone »:

« Le chef suprême des Bobo a été intronisé en mai, il réside à Koko. Aujourd’hui tous les Bobo sont entrés en résistance contre la mairie. La chefferie de canton reste un acteur important de la politique locale (chaque année, elle reçoit de la présidence du Faso des billets d’avion pour aller à la Mecque), mais les Dioula de Kongbougou sont avec les Bobo. » B.S. (enquête 2001).

III.B.3.2 L’habitus communautaire des Kpéné kuma, les « autochtones », de

Dioulassoba (Bobo-Dioulasso)

Les autorités coutumières bobo tentent de résister à l’emprise et au contrôle des autorités publiques et communales sur « leur » espace en exigeant de ces mêmes autorités qu’elle « ne touchent pas » aux espaces sacrés bobo :

« On a refusé que des voies soient percées pour lotir le village ; il y a des lieux de culte au niveau du village. Si on ne garde pas ce qui doit l’être, beaucoup de choses peuvent arriver. C’est un patrimoine qui doit rester authentique, aussi il ne doit pas changer. » Chef coutumier Sanou sogosira (Kibidwé, « village » de Dioulassoba) secteur 1, Bobo- Dioulasso (enquête 2001).

Cliché 8. L’autel de Dwo et le bois sacré sogo du « village » de Tounouma, près des berges du Houet, au secteur 1 (centre-ville) de Bobo-Dioulasso (cliché Bouju, 2001)

« Sur le lieu de culte au bord du marigot, il y a une petite forêt sacrée sogo et le dwo. Il est interdit de profaner ce lieu sous peine de sanction. Ce sont les Kodugo (police du village) qui font exécuter les sanctions. Ce qui est tenu secret77 ne se discute pas chez le chef, mais en ce lieu. L'accès en est, bien sûr, interdit aux femmes » Chef coutumier du village de Tounouma (Millogo, 2002 :72-73).

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Cette exigence de respect des valeurs fondamentales de la culture bobo demeure le seul moyen d’affirmer une tradition « autochtone » qui vise à maintenir un semblant d’unité communautaire autour des autorités coutumières :

« Nous ne devons pas abandonner la coutume à cause des religions importées. Nous devons perpétuer les coutumes comme l'ont fait nos parents. Seules quelques personnes négligeantes ne s'y intéressent plus ». Un notable de Tounouma. (Millogo, 2002 : 73)

L’invocation de la tradition et le conservatisme apparaissent comme une protection contre tout changement ou innovation imposés de l’extérieur qui pourrait aggraver la dégradation de la situation économique et la précarité de l’ordre domestique. Une des conséquences de cette posture est qu’il est impossible de lotir les villages fondateurs des quartiers centraux ni d’y implanter des infrastructures modernes d’assainissement.

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 80-83)

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