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A.5.2 Élargissement des cercles de proximité et construction de l’espace public

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 31-33)

La prise en charge collective de la gestion de l’espace est une dynamique qui procède par regroupements progressifs d’individus autour d’intérêts reconnus communs. L’action publique commence alors par un élargissement des cercles de proximités qui part du voisinage pour s’étendre au quartier par mécanisme de reconnaissance opérant à travers des liens construits à d’autres occasions et susceptibles d’être mis au service d’un problème spécifique. La recherche collective de solutions emprunte alors des voies diverses qui peuvent alors, à partir de l’émergence d’une identité nouvelle, se cristalliser en revendications politiques exportables dans le champ de la lutte du pouvoir.

A.5.2.1 L’esprit de voisinage

Le partage de l’espace d’habitation crée des liens qui se consolident avec le temps et constituent souvent des opérateurs privilégiés des modes d’action collective. Le voisinage est en cela une occasion de contraction de liens sociaux qui rend possible le partage de préoccupations quotidiennes dont justement les questions relatives à la vie du quartier:

« Bon, voyez ce matin, j’étais là avec un voisin, on parlait de ces ordures-là (...) voyez, si une personne jette, une deuxième personne vient jeter, ça devient la poubelle publique; ce matin j’ai été brûler quelques points là(...) j’ai dit c’était bon si par exemple chaque dimanche comme ça ou bien même si c’était une fois par mois, on se réunissait comme ça et puis on brûlait les ordures là, pour repartir à zéro quoi (...)bon, il n’y a pas d’endroit pour jeter les ordures...c’est compliqué chacun se débrouille, il jette là où il peut » (Jean, agent du trésor, précité)

L’idée, certes non étrangère à une conception moderne de la gestion du cadre de vie, la bonne volonté, lorsqu’il n’y a pas d’autre recours perceptible et qu’on ne peut compter que sur soi-même et l’entente pour une tâche qui demande une nécessaire mise en commun des forces. Voici l’action collective en gestation, qui, si elle trouve les conditions de son épanouissement étend son emprise:

« À propos des ordures, les gens du quartier avaient fait un effort, ils ont fait sortir beaucoup de femmes qui balayaient même les rues et ramassaient avec des charrettes; à la fin du mois tu pouvais leur donner ce que tu as comme somme, souvent 500f ou 300f, pour qu’on ramasse les ordures aller jeter. » (Charles, mécanicien, précité)

Procédure hésitante, non encore consolidée et pérennisée en raison des incertitudes liées aux conditions mêmes de son institutionnalisation :

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

« Les habitants du quartier, comme eux ils ont de l’argent, nous voyons souvent la machine (charrette tractée) passer pour ramasser les ordures parce que chez eux ils ont leur moyen... eux ils payent » (Marie, précitée)

Limites objectives de l’action collective, la participation contributive entraîne une fracture de l’espace social qui se diversifie en couches superposées définies par les capacités différentielles de prétention à la modernité. L’initiative locale reste alors fragile sans une ressource capable de suppléer les défaillances particulières :

« Pour que le quartier soit propre...à moins qu’il y ait de l’aide, c’est difficile; parce que même le balayage, quand c’est de la terre, vous ne pouvez pas rendre le quartier totalement propre; la terre même constitue déjà des saletés, c’est de la poussière, c’est toutes sortes de choses; là où nous voyons que qu’il y a totalement de la propreté, c’est là où il y a par exemple du bitume »(Charles, précité)

« Si l’État ou les arrondissements pouvaient trouver un moyen, déterminer un endroit, déposer des bacs et sensibiliser petit à petit, les gens allaient jeter les ordures là-bas, ça pouvait être bien! »(Ali, infirmier, précité)

L’ancrage infrastructurel de la propreté s’impose lorsque tout effort consenti est vain ou voué à plus ou moins long terme à l’échec. Le sentiment d’impuissance ne peut être levé que par une intervention supérieure, c’est-à-dire un niveau de concentration plus élevée de la puissance d’action donc le pouvoir public. L’appel peut être d’abord souhait, puis critique et enfin franche revendication politique reposant sur la formation d’une identité commune nouvelle.

A.5.2.2 Prolongation de l’action publique comme début de la revendication politique

Le questionnement sur les modes d’évacuation des déchets domestiques renvoient en fait au problème de la construction de l’espace public à travers les définitions concurrentes des procédures et des lieux légitimes d’élimination des parts inactives domestiques, qui rencontrent l’injonction institutionnelle de l’assainissement moderne.

La normalisation institutionnelle de l’espace se heurte d’une part à des perceptions de l’espace partagé, constituées par des relations spécifiques au cadre de vie, et d’autre part à une légitimité problématique, dont le résultat est, qu’en dehors de l’exercice de la contrainte, le pouvoir public n’arrive pas toujours à administrer la preuve de l’« intérêt général » qui serait en son principe:

« Ils (les pouvoirs publics) perçoivent les...comment on appelle ça...les taxes de résidence et dans ça je crois que le ramassage des ordures est inclus dedans...Mais en tout cas à ma connaissance au niveau du secteur 23, je ne pense pas que la mairie ait développé des initiatives pour alléger la charge des résidents(...) Je vois des camions qui passent, qui ramassent les ordures chez ceux qui sont nantis, chez ceux qu’on pense que...la pourriture, l’odeur des pourritures ne doit pas déranger...Mais les restes tant pis! Voilà je crois que c’est la raison du plus fort quoi ! on voit en ville, on dépose des bacs !... » (Ali, infirmier, précité)

Se percevant hors de la « ville », ou plus généralement exclus des investissements collectifs pour la modernisation, il naît un sentiment de marginalisation impuissant à s’exprimer chez cet habitant du quartier. Relégué à la périphérie qui n’est pas seulement géographique mais plus globalement sociale « le secteur 23 » (Tanghin) tombe dans l’inexistence, confondu avec la pourriture qui ne le dérange pas puisque, de ce point de vue, il devient une partie de ces ordures, résultat d’une déchéance dans un paradigme parallèle. La réponse en est, subséquemment, une conception et actualisation spécifique de l’identité citoyenne qui peuvent être désabusées et défiantes ou résignées quant aux bénéfices incertains attendus.

« C’est au centre ville qu’il y a des bacs, mais à Tanghin, ici il n’y a pas de bacs..., et comme il n’y a pas de bacs comment nous allons faire ? Nous aussi nous jetons là où nous voulons seulement, pourvu qu’il n’y ait pas de déchets chez nous dans notre concession. Nous pensons qu’il n’y a pas un lieu pour jeter, si on avait déposé des bacs, nous on allait jeter dans les bacs; ils déposent les bacs mais nous ils nous donnent pas de bacs, nous aussi nous allons jeter là où nous pouvons jeter seulement! » (Didier, 28 ans, agent d’entretien au Bureau de Poste, précité)

« Moi je ne les condamne pas, parce que la population est vaste donc peut-être un jour viendra, on va penser à nous aussi... » (Zénabou, 40 ans, ménagère, précitée)

La logique et la force revendicative de la participation au bien collectif dépendent à la fois des modes d’inscription sociale pendant la formation de l’identité citoyenne où l’âge et l’attribut social sont des modeleurs, et de la conception d’une justice sociale du partage. On comprend alors que les jeunes soient la frange sociale plus encline à la revendication politique du bénéfice public, étant les principaux animateurs de l’ordre naissant d’une part, et d’autre part ressentant avec plus d’acuité la différence de mondes contiguës, du fait d’une socialisation qui n’est plus celles de leurs pères et donc ne trouve pas de lieu de déploiement.

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 31-33)

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