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B.3.3 Toujours la même obsession : écarter les ordures et la fange !

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 83-86)

conceptions, représentations et usages de la ville à Bobo-Dioulasso

III. B.3.3 Toujours la même obsession : écarter les ordures et la fange !

Toutes les pratiques de propreté tendent vers le même but : écarter les ordures et éloigner la fange. Non seulement les activités domestiques sales et les eaux usées sont rejetées au-dehors de la cour, mais il en va de même des infrastructures qui concentrent la saleté (puits perdus, puisards et fosses septiques). Un signe évident qu’on se trouve en-dehors de l’espace habité est la présence de puisard ou de fosse septique à l’extérieur de la cour, dans l’espace limitrophe, juste devant le mur d’enceinte. Par souci d’éloigner la fange de l’espace de vie, on ne conçoit pas de les creuser à l’intérieur de la cour. Mais comme c’est « dehors », on ne prête guère attention à la solidité du dispositif et il n’est pas rare d’entendre que l'effondrement de latrines mal construites et de puisards à ciel ouvert ou mal couverts a entraîné un accident ou même une mort par noyade78.

Cliché 9. Secteur 12 (Niénéta). Les puisards, mal couverts, constituent de véritables gîtes larvaires. On les place de préférence en-dehors de la cour, dans l’espace limitrophe (cliché

Bouju, 2001

Parmi les marques d’appropriation, les diguettes de protection du seuil contre la saleté et la boue, ou les petits canaux d’écoulement des eaux usées occupent une place à part. Contrairement aux puisards

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Pendant notre recherche au mois de septembre 2001, un enfant de quatre ans environ a trouvé la mort dans un puisard au secteur 17. L'enfant, qui était sorti pour s'amuser, a marché sur la demie-feuille de tôle qui couvrait le puisard et s'est noyé. Ce n'est que le lendemain qu'il y a été retrouvé mort (Millogo, 2002 : 109).

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

dangereux, ces dernières ne suscitent jamais d’opposition car le code de bon voisinage veut que chacun soit responsable de la propreté de l’espace devant chez lui.

III.B.3.4 Le six-mètres

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, « la rue »

La voie de circulation pratiquée par les gens dans la rue est souvent moins large que le six-mètres, elle forme alors un sentier emprunté par les cyclistes et les véhicules qui zigzaguent entre les trous d’eau, les dépotoirs et les arbres :

« L’espace hors de la parcelle d’habitation est perçu comme un endroit utilisable en rapport avec l’idée que le yiri, l’espace de vie en général, ne se limite pas à la zaka la cour. Chacun occupe l’espace, étend son yiri en fonction de ses besoins et bien sûr de la présence effective de ses voisins. Chacun est juge de qu’il peut occuper : « oui ça prend un grand espace sur la rue. Comme ils ont jugé que l’espace restant là suffisait pour faire circuler la circulation. Donc ils ont préféré cultiver là, pour éviter l’herbe, sinon même que le maire avait interdit ça. » Dieudonné cité par Wyngaerden (2001 : 106)

Elle est beaucoup plus large parfois quand elle emprunte les terrains vagues. Les déplacements se font en fonction des sentiers pédestres et cyclistes tracés par l’usage en fonction des traces laissées par l’écoulement des eaux pendant l’hivernage et en fonction des parcelles et des espaces non mis en valeur.

B.3.4.1 Les déchets dans le six-mètres

Certaines activités domestiques liées au nettoyage et à l’entretien de la cour débordent sur « l’espace limitrophe » : sortie de mobilier ou d’ustensiles, installation pure et simple d’une activité de nettoyage dehors : lessive, vaisselle, décorticage ou épluchage de denrées.

« Quant aux ordures, elles sont rassemblées non loin de la cuisine et les enfants sont chargés de les déposer une fois par semaine sur le tas d’ordure situé à une centaine de mètres de la cour. Ce serait dégradant pour un adulte d’aller jeter des ordures. Quand un adulte le fait, c’est signe de solitude. Une mère explique qu’à chaque fois qu’elle sort avec des ordures, il y a toujours un enfant de la rue qui la décharge. Par contre, le fait de jeter les eaux sales de lessive et de vaisselle devant la concession n’est pas une activité déshonorante pour une ménagère. » Téné, Niénéta (secteur 12) Bobo-Dioulasso.

B.3.4.1.a) Le dépotoir d’ordures tampuure (en mooré)

Traditionnellement en milieu mossi, le tampuure est le lieu où l’on accumule les déchets, à côté de la cour, avant de les porter aux champs pour servir de fumier. Chaque cour mossi a un dépotoir, il est la poubelle du ménage. Le dépotoir est un symbole de fertilité agricole et de fécondité humaine (Wyngaerden, 2001: 64). Surtout, il marque la limite entre la propriété familiale et l’extérieur, et il marque aussi la limite entre le monde des hommes et le monde invisible, car des génies y résident. Le dépotoir domestique sert à la fumure des champs de case (kamanse) dont il marque la limite. Avant les pluies, le monticule de déchets est raclé et transporté sur le champ. Mais le dépotoir était aussi symbole de richesse et de puissance :

« chaque famille devait en effet reverser une partie de ses déchets au chef qui disposait ainsi de très gros tampuure. Le chef assurait par là son pouvoir, les ordures lui assurant fertilité pour ses terres — et symboliquement pour lui — et de bonnes récoltes. » (Wyngaerden, 2001 : 65).

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Six mètres est la distance réglementaire des voies de circulation séparant des concessions ou des parcelles d’habitation. Les autorités communales concèdent à chaque propriétaire de parcelle l’usage d’un mètre devant le mur de sa cour, qui constitue sa devanture.

En ville, il se retrouve donc à l’extérieur de la cour, n’importe où mais le plus souvent près de l’entrée : « à partir du tampuure, c’est chez moi » Yveline Déverin-Kouanda (1993 :7). Ainsi, les anciens dépotoirs des familles nobles, qui existaient avant le lotissement de l’espace urbain, sont conservés, même quand ils se trouvent au milieu d’un carrefour. Á bobo-Dioulasso, c’est chaque quartier d’un « village » bobo qui avait son « dépotoir » kuru

« Dans le passé, chaque grande famille de Tounouma avait son tas d’ordure kuru situé à un coin précis du village. Toutes les ordures étaient déversées à cet endroit. C’était un lieu respecté car certains rites funéraires s’y déroulaient. Le cadavre est devenu une « ordure » c’est pourquoi la cérémonie des funérailles se fait en ce lieu. C’était le travail des vieilles femmes que de balayer le sol de la cour intérieure et extérieure, les ordures étaient ensuite déposées au tas. Le village avait sa police traditionnelle kodugo (composée d’adulte des différentes classes d’âge) qui faisait respecter l’ordre bobo. Dans le temps, si une femme transgressait les règles (jeter ses ordures ailleurs que le tas du quartier) c’est toute la classe d’âge de cette femme qui était sanctionnée (toutes devaient payer une amende pour la faute d’une seule). Aujourd’hui cette pratique a disparu, les ordures sont jetées dans les bacs, les fossés ou le marigot. Les femmes « sales » duma étaient sanctionnées par des amendes (popolo, su, pikini), les hommes étaient sanctionnés par les masques. » Chef coutumier du village bobo de Tounouma (Timina) avec son fils (enquête 2001).

Au Burkina Faso, nous sommes dans un contexte idéologique où les déchets ont toujours été gérés de manière personnelle, interne à la famille, et considérés comme une richesse importante :

« En pays mossi, le tampuure est le signe extérieur de la richesse. Il n’est pas nécessaire de l’éloigner régulièrement. » Un homme mossi. (Millogo, 2002 : 76)

Kuru (en bobo madarè)

Dans tout village bobo, chaque quartier a son kuru situé dans un coin précis du village. Toutes les ordures étaient déversées à cet endroit :

« Dans la société traditionnelle Bobo madarè, le tas d'ordures, le Kuru est un lieu sacré, respecté où se déroulent certains rites funéraires. Cette exposition du défunt sur le tas d’ordures signifie que le mort a perdu toute son utilité sociale sur terre sur le plan physique. Il est redevenu poussière comme on le dit couramment. Mais son âme et son esprit qui demeurent font l’objet d’attention à travers les funérailles.Traditionnellement, pendant la saison sèche, c'était le travail des vieilles femmes de balayer et déposer les ordures sur le kuru. Celles qui ne le faisaient pas étaient sanctionnées avec toute leur classe d’âge. L'extension de la ville a englouti cette pratique villageoise ancestrale. Par contre, les selles n'étaient pas autorisées sur le tas d'ordures, il y avait de la végétation autour du village et c’est là que les adultes déféquaient. » (Millogo, 2002 :71-72)

On retrouve ici la conception topocentrique de l’espace habité, décrite plus bas. Ainsi que la responsabilité féminine dans le travail d’assainissement domestique. Par contre, les pratiques coutumières concernant la collecte de l’ordure et la fonction sociale du tas d’ordures sont différentes des pratiques urbaines aujourd’hui dominantes.

« Autrefois, on ne jetait pas les ordures n’importe où, n’importe comment. Nous sommes devenus nombreux donc les gens ne savent plus. Les femmes et les hommes se lavaient à la rivière. Nous faisions les selles dans la brousse où sur les tas d’ordures. Maintenant, il y a les W C parce que nous sommes nombreux, on ne peut plus aller en brousse, les gens te regardent. Autrefois, c’était la brousse ici, il y avait des hyènes. Il n’y avait pas de puits, l’eau était puisée à la source. On faisait tout à la main, le maïs était lavé à la rivière.» Une vieille femme bobo de Dioulassoba (enquête 2001)

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

Cliché 10. Tas d’ordures sur les berges du Houet (en amont du pont) au « village » de Tounouma, centre-ville de Bobo-Dioulasso (cliché Bouju, 2001)

Cliché 11. Tas d’ordures sur les berges du Houet (en aval du pont) au « village » de Tounouma, centre-ville de Bobo-Dioulasso (cliché Bouju, 2001)

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 83-86)

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