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C.2.2 La conception de la propriété

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 99-101)

conceptions, représentations et usages de la ville à Bobo-Dioulasso

III. C.2.2 La conception de la propriété

L’espace n’est pas conçu comme appropriable par un propriétaire ; il est, ou non, approprié à un usage, quel qu’en soit l’usager. En Afrique de l’Ouest, l’appropriation en général, et l’appropriation de l’espace en particulier, est fondée sur l’usage, pas sur l’usager (Bouju, ) : tout espace non utilisé est donc potentiellement utilisable par n’importe qui, quel qu’en soit le propriétaire! Au village, mis à part quelques lieux sacrés frappés d’interdits, l’espace extérieur à la concession a toujours, et partout, été appropriable en fonction de l’utilité : tout espace non utilisé par quelqu’un est donc éventuellement « propre » à accueillir les déchets.

C.2.2.1 Le syndrome du “défricheur”

Ceci est cohérent avec l’idéologie paysanne « traditionnelle » qui s’exprime dans les récits de fondation de village. Toujours et partout en Afrique de l’Ouest, c’est le premier défrichage d’une brousse qui constitue l’acte fondamental d’appropriation de l’espace par les défricheurs. C’est cette même idéologie paysanne qui prévaut en milieu populaire urbain qui pose que l’usage fait par le

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Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

premier occupant d’un espace « non approprié » vaut appropriation effective et reconnue ensuite par tout nouveau venu94 dans cet espace. L’espace public immédiatement au-delà du mur d’enceinte de la cour est considéré comme un domaine libre où s’impose l’individu-défricheur qui traite le territoire commun de la rue comme le lieu d’exercice et d’affirmation de sa liberté d’agir.

« Comme il y a cette mentalité que les ordures, tu dois les jeter là où tu veux, la place n’appartient à personne, pour un paysan pourquoi ne pas jeter tes ordures dans les rues ? Il ne comprend pas pourquoi la rue, c’est pas pour lui. Pour eux les ordures, on peut les jeter partout, on peut les mettre sur la rue, n’importe où. » Fabrice (cité par Wyngaerden (2001 : 127)

La logique qui prévaut ici est de construire la bonne distance entre les lieux de la vie domestique et les ordures qu’elle rejette et qui provoquent la répulsion. Les lieux des dépotoirs d’ordures sont des lieux à l’écart des lieux de vie, des lieux dont personne ne se soucie et dont personne n’a besoin : « si personne n’utilise l’espace, ce qui s’y trouve n’a aucune espèce d’importance. » (Wyngaerden (2001 : 101). Si ce n’est dans le cas des occupations ludiques temporaires (fêtes, match de football) nous n’avons rencontré aucun exemple d’appropriation de l’espace public en indivision. Par contre, il est apparu des formes d’appropriation collective où l’espace public est détourné de sa fonction initiale, dans le but de produire un espace commun à usage public ! Il en va ainsi des « gendarmes couchés » qui se multiplient dans les quartiers non goudronnés, mais le cas le plus commun est la transformation d’un carrefour ou d’une voie de communication en marché, « La route n’appartient à personne, donc je peux m’y installer ! ».

L’idée qu’une route serve à circuler est une idée étrangère au petit commerçant qui vous répondra de manière agressive en demandant « est-ce que la route est pour ton père ? ». (Deverain-Kouanda, 1991 : 98)

À Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, la réponse à toute objection concernant ces débordements sur l’espace public est toujours la même : « ce n’est pas la cour de ton père ! ».

« Pour une large frange de la population, l’espace collectif est donc inexistant d’autant qu’en dehors du yiri, qu’il soit acquis par tradition ou par décret communal, il y a les autres yiri et puis la brousse, espace de réserve à conquérir, et non espace collectif. » (Wyngaerden, 2001 : 105)

Une autre forme d’appropriation, saisonnière, est celle des bouts de terrain cultivés en bordure de rue, et surtout, les grands espaces non bâtis à l’intérieur des périmètres des institutions publiques qui sont appropriés et mis en culture chaque année par les gardiens d’immeubles qui y pratiquent en hivernage la culture « intra-urbaines » du mil, du sorgho, du gombo ou de l’arachide.

Plus grave, à Bobo-Dioulasso, est la mise en culture des espaces verts normalement réservés dans le plan d’aménagement urbain de la ville et, surtout, le défrichage « sauvage » de la forêt classée de Dendéresso. Le laisser-faire par les autorités communales semble indiquer que ces pratiques, qui relèvent d’appropriations de terre cultivable par les paysans péri-urbains, risquent de n’être que le premier niveau d’un processus relevant d’une stratégie complexe ayant comme objectif final le détournement de cette portion d’espace urbain pour un futur lotissement.

« Le fait que quelqu’un soit propriétaire légal de l’endroit où j’installe mon hangar, mon tampuure, ou mon champ m’importe peu. S’il ne fait rien de son espace, rien ne m’empêche d’y prendre place, a fortiori si le propriétaire de l’espace est l’État lui- même. » (Wyngaerden, 2001 : 105).

C’est ce qui se produit dans les quartiers périphériques (secteurs 12, 17, 21) où pratiquement aucun investissement en infrastructures urbaines n’a été réalisé. La commune laisse le champ libre aux « défricheurs » et chacun fait à peu près ce qu’il veut dans l’espace public de la ville.

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C.2.2.2 Où défrichage vaut appropriation

L’individu s’approprie donc des portions d’espace public à travers un usage individuel qui, en général, a pour corollaire l’exclusion d’autres usagers potentiels tant que dure l’utilisation de la portion d’espace. Si quelqu’un objecte aux tentatives d’appropriation de l’espace limitrophe (Cf supra), la réponse est toujours la même : « ce n’est pas la route de ton père ! ». Cette petite phrase, maintes fois entendue, pose une relation importante : elle rapporte le droit de « dire » quelque chose sur l’état d’un objet (un espace, une personne ou une chose) à l’exercice d’un droit de propriété fondé sur l’usage de ce même objet.

La conception qui prévaut en matière de propriété est l’absence de respect a priori pour le droit. Car il ne suffit pas d’affirmer un droit sur quelque chose (terre, bétail, maison) ou quelqu’un (épouse ou mari) pour qu’il soit reconnu. Pour être reconnu par autrui, un droit doit être défendu contre toute tentative de subversion. Une propriété (un bien : terre, bétail, femme, matériel) qu’on respecte est une propriété interdite et donc défendue. Sinon, l’Autre peut toujours tenter de s’en emparer. Cette conception est à la base des rapports « prédateurs » qu’on observe quotidiennement vis-à-vis des choses « prêtées ».

Pour savoir si une propriété est bien défendue, l’Autre va tenter de l’entamer pour voir ! L’absence de réaction immédiate est perçue comme un encouragement à aller de l’avant et à pousser son avantage, ainsi de suite jusqu’à ce que l’espace soit approprié sauvagement ou « privatisé », jusqu’à ce que la femme courtisée cède aux avances, jusqu’à ce que le bétail soit volé, ce que l’accès à la mare soit envahi par les cultures, etc.

On admire celui qui arrive à s’emparer du bien d’autrui et à en profiter sans se faire prendre et l’on méprise celui qui se fait déposséder de son bien : « il ne vaut rien, il n’est même pas capable de défendre son bien ! ». Le seul principe qui vaille toujours et partout est que ce qui n’est pas défendu (interdit) est disponible.

Il en va ainsi pour le véhicule de service, la moto du grand-frère ou la Yamaha-dame de la petite sœur qui ne font pas l’objet d’attention ou d’entretien. Le prestige n’est pas accordé à celui qui est économe ou respectueux du bien d’autrui, mais à celui qui, au contraire, peut étaler sa jouissance, sans limites, d’un bien prestigieux.

Pour cette même raison, les « autochtones » vont jusqu’à considérer l’exercice de l’autorité municipale sur l’espace public comme un abus de pouvoir : « la ville n’appartient pas au maire ! pourquoi cherche-t-il à y faire régner son ordre ? Ce n’est pas pour lui, ni pour sa famille! ». Par contre, les mêmes personnes s’appuient sur la prétention de l’autorité municipale à faire régner son ordre sur l’espace public, pour justifier leur irresponsabilité en matière de propreté urbaine : « ce n’est pas à moi de faire ! » (Deverain-Kouanda, 1991 : 100). La responsabilité de la prise en charge des espaces publics est rejetée sur la mairie ou les services de l’État.

Ces remarques renvoient à une représentation de la propriété selon laquelle, la légitimité d’un droit exercé sur les gens, l’espace ou les choses est directement fonction de la capacité de l’autorité propriétaire à le défendre95.

Le corollaire est qu’une autorité n’est reconnue que dans la mesure où elle se montre capable de défendre ses droits dans son domaine. Mais comment défendre son droit lorsque la protection d’un bien n’est pas assurée par l’État, mais par l’honneur de son propriétaire ?

III.C.3

Une certaine conception du droit : Code civil versus

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 99-101)

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