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B.6.2 Les rues et les places comme enjeux de pouvoir

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 94-97)

conceptions, représentations et usages de la ville à Bobo-Dioulasso

III. B.6.2 Les rues et les places comme enjeux de pouvoir

Contrairement à ce qui se passe dans l’espace privé de la cour ou dans les espaces communautaires, dans l’espace public, la communication n’est pas fondée sur le partage, mais sur l’échange. Les espaces publics sont des lieux d’appropriation collective constante mais conflictuelle et cette conflictualité est liée au fait que ce sont à la fois des lieux de travail, de circulation et d’échange.

« …Nous avons effectivement demandé au niveau des arrondissements de résoudre certains problèmes qui sont l’encombrement des voies, celui des ordures ménagères et surtout de sensibiliser les populations. Au niveau de la commune nous avons monté des spots et nous demandons à la presse de nous aider à expliquer à tout le monde la nécessité de tenir la ville de Bobo-Dioulasso propre. » (Koussoubé Célestin, Maire de la commune de Bobo-Dioulasso. Entretien faisant suite au conseil Municipal de la commune de Bobo du 23 juillet 2001).

Les conflits d’intérêts opposent les notables qui détiennent les pouvoirs économiques, techniques, politiques et religieux de la ville : industriels, commerçants du grand marché, maires et conseillers municipaux, directeurs des services déconcentrés de l’État, responsables de congrégations et d’associations religieuses, autorités coutumières des quartiers autochtones, etc. Mais aussi les responsables d’associations de quartier qui émergent comme représentants de la société civile. Toutes ces instances de pouvoir s’affrontent autour de l’emprise qu’ils exercent ou voudraient exercer sur les espaces publics à travers leur entretien, leur aménagement et leur usage ordinaire. Cette multiplicité d’intérêts contradictoires contribue au maintien de la diversité des usages et des pratiques actuelles de l’espace public urbain (Korosec-Serfaty P., 1991).

Mais c’est aussi parce qu’on y travaille, comme artisan, négociant ou colporteur et parfois comme agriculteur que l’espace limitrophe de la rue est fondamentalement et quotidiennement un lieu de sociabilité masculine, les grins se réunissent le soir en semaine et les après-midis du week-end pour bavarder et commenter l’actualité sous les petits hangars et les grands arbres qui bordent les concessions. Les appropriations économiques de l’espace limitrophe donnent plus souvent lieu à des marquages de l’espace. Il en va ainsi, des tables des « restaurants par terre » que l’on retourne à l’envers pour la nuit, de l’entrepôt de matériel de construction, de l’abandon d’une carcasse de véhicule ou de la construction d’un hangar pour abriter un petit commerce.

La foule des artisans et des petits marchands ambulants qui encombrent les trottoirs, les places et la voie elle-même, font de la rue un espace de sociabilité permanente étonnant pour l’étranger qui, en général, apprécie cet aspect particulièrement vivant et dynamique de la culture urbaine populaire à laquelle participent tous les citadins. Cette foule est constituée de toute une masse mouvante, bigarée, jeune et inventive dont les seuls moyens de survie sont l’exercice d’un grand nombre de petits métiers informels. Selon l’occasion ou le moment de la journée, la même personne peut exercer plusieurs professions dans un effort quotidien et constant pour s’assurer ce revenu minimum qui empêchera de

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tomber dans le vagabondage, la prostitution, le trafic de drogue et la mendicité. Toute cette activité productive et commerciale fait de la rue un territoire vital que cette foule s’approprie avec constance et obstination. « (…) obstination allant à l’encontre des nombreuses tentatives faites pour prohiber ou réglementer les petits métiers de la rue. » (Korosec-Serfaty, 1991 : 32). C’est en partie à cause de la prolifération des activités économiques du secteur informel que les espaces publics sont sales et dangereux.

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Cliché 18. L’avenue de la révolution, la grande avenue de Bobo-Dioulasso, n’est pas épargnée par les nuisances. Ici des teinturiers travaillent sur le trottoir, à l’extérieur de leur cour, et versent leurs eaux usées directement dans le canal d’évacuation des eaux pluviales (cliché

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

Cliché 19. Les produits détergents que les teinturiers utilisent attaquent la vieille maçonnerie du canal d’évacuation des eaux pluviales qui s’effondre progressivement (cliché Bouju, 2001)

Ce monde des petits métiers de la rue, souvent analphabète, est donc fait de gens qui survivent en ne respectant pas, bien sûr, les normes qui réglementent l’activité de production, d’échange ou de déplacement dans l’espace urbain. À Bobo, c’est évidemment la population pauvre, la plus nombreuse et la plus démunie, qui constitue leur clientèle et cette population urbaine reste solidaire de ces colporteurs et de ces artisans. Les modes d’usage de l’espace public par les femmes vendeuses de légumes, tenancières de « restaurants-par-terre » et de tabliers divers, les jeunes colporteurs et les pauvres risquent d’être plus étroitement contrôlés dans le sens du respect des règlements municipaux et des pouvoirs publiques. La question de la normalisation de leur activité par les autorités

communales est une question éminemment politique qui passe par leur enregistrement et leur soumission à la patente86. Ces différents usages de l’espace public sont autant d’enjeux économiques et politiques qui sont au cœur de l’évolution de l’espace social urbain ouagalais ou bobolais. Ils témoignent des transformations profondes du lien social qui ont cours actuellement.

Le sentiment général d’incertitude qui résulte de ces transformations induit une logique de séparation très forte, de quasi étanchéité, entre l’espace privé et l’espace public, qui permet de comprendre la valorisation des « espaces limitrophes » et les stratégies d’écartement et de mise à distance de l’ordure. Enfin, et contrairement au point de vue juridique qui dit que l’espace public est accessible à tous, par n’importe qui, n’importe quand (Rémy , 1991: 5), les usages effectifs de l’espace public témoignent de formes d’appropriations dominantes qui créent chez certains citadins « le sentiment d’être envahi », alors que d’autres ont « le sentiment d’être exclus ». Ainsi la sociabilité des « riches » à tendance à se développer dans des lieux fermés (hôtels, boîtes de nuit, clubs, etc.) qui sont situés dans un espace public discontinu et étendu qui nécessite des modes individuels de déplacements. Ces lieux de sociabilité sont des espaces exclusifs mis à la disposition de leur seul groupe social homogène et non de tous. Ce sont des espaces partagés qui ne sont pas publics. Inversement, l’espace public des « pauvres » à tendance à être continu et se développe principalement dans l’espace limitrophe du voisinage. Leur sociabilité s’effectue dans l’espace public ouvert et commun des rues et des places et des « maquis87 » où il est bien difficile de se cacher.

Ces vécus se traduisent en conflits d’appropriation de l’espace commun à tous, qui posent le problème de la transgression des règles d’hygiène et de propreté urbaine et celui de sa sanction.

III.C.

Une conception populaire originale de l’espace

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 94-97)

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