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B.2.1 La proximité des excrétions corporelles est une abomination

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 39-42)

L’excretum assure une fonction physiologique essentielle d’élimination, c’est-à-dire d’évacuation des substances nuisibles du corps ; au sens figuré, il assure donc une fonction de purification. Du fait de son impact sur l’environnement et l’homme, il ne peut a priori être considéré comme inoffensif et son devenir doit être maîtrisé24.

B.2.1.1 Les miasmes choquent la vue …

« La Belle-mère de la vieille là qui est malade, puisqu’elle est vieille, elle ne peut pas se lever, elle est assise sur place et ne peut faire quoi que ce soit par elle-même ; elle fait tous ses besoins sous elle et reste là-dedans. Est-ce que cela n’est pas une source de maladie ? » Téné, infirmière à la retraite, 56 ans, 23 ans de résidence dans le secteur 12 (Niénéta) Bobo-Dioulasso , 12 personnes dans la cour

L’excrément est le modèle original du sale, il est le sale par excellence, « le dégoutant objet auquel est associé tout ce que les individus, comme le corps social dans son ensemble, évacue compulsivement. » (Knaebel, 1991:25)

« Le service d’hygiène existe, j’ai eu recours à eux. Voilà mon problème : la latrine de mon voisin est contiguë à la chambre à coucher de quelqu’un; maintenant, son eau mousseuse s’infiltre, rentre dans notre maison et se dépose dans la chambre du monsieur. Je l’ai signalé en vain au service d’hygiène, je leur ai donné le prix de l’essence (deux fois 2000 FCFA) pour qu’ils aillent voir l’eau mousseuse qui est blanche, blanche sur le ciment dans la chambre du monsieur. Est-ce que ça c’est bien ? Depuis, il n’y a pas eu de changement et jusqu’à aujourd’hui l’eau s’écoule dans la chambre du monsieur. » Téné, infirmière à la retraite, 56 ans, 23 ans de résidence dans le secteur 12 (Niénéta) Bobo-Dioulasso , 12 personnes dans la cour

B.2.1.2 …et offensent les narines!

« La saleté, c’est quand les enfants défèquent dans la cour et les mouches se posent dessus et vous vous mangez à côté de tout ça ; c’est quand il y a un malade qu’on ne lave pas, pourtant il vomit, il défèque sur sa natte et quand tu rentres tu ne peux même pas respirer. N’est-ce pas une saleté ? » Téné, infirmière à la retraite, 56 ans, 23 ans de résidence dans le secteur 12 (Niénéta) Bobo-Dioulasso , 12 personnes dans la cour

« Je sais que quelqu’un est sale à son odeur (sa « chaleur »). Si son odeur me dérange, je sais que si l’odeur qui émane de son corps tape mon nez et que je la respire alors c’est la maladie. Si tu sues un peu et que je respire ton odeur, je sais que tu es sale. » Ali : 25 ans vendeur d’eau à la barrique (fils du propriétaire d’une cour comprenant 20 personnes. Ils boivent l’eau du puits) (enquête 2002)

Avec cette conception de la saleté pestilentielle, on quitte le registre du désordre pour entrer dans celui de la souillure, cette forme de saleté-souillure est particulièrement dangereuse car elle « attache la chance » et donc attire le malheur.

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L’excretum est aussi réutilisé pour la fumure des champs, ce qui pose au Burkina Faso des sérieux problèmes car son réemploi n’est pas contrôlé et il peut devenir polluant et contaminant.

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

Comme dans beaucoup d’autres sociétés, l’excrétion fait peur. Sa présence évoque le danger de pollution, la mort, la putréfaction et la dissolution de la matière : bref ! l’envers de la vie. Elle suscite la répulsion et l’expulsion. Aussi, faut-il la dissimuler et l’éloigner.

« Une des canalisations de la borne-fontaine que je gère est coincée près du puisard des latrines du voisin d’en face. Tu sais si la « chaleur » de la latrine tape le tuyau, elle y laisse une trace (quelle que soit la durée de l’os dans l’eau, tu penses que l’eau ne le pénètre pas !) la chaleur le tape et ça sort à son milieu. De la manière dont ça a été fait, la chaleur ne peut pas ne pas le taper ; alors quel que soit le produit que tu mettras dans l’eau, si tu la bois tu vas sentir son odeur. » Ali : 25 ans vendeur d’eau à la barrique, fils du propriétaire d’une cour comprenant 20 personnes (enquête 2002)

Les miasmes sont des résidus d’une autre nature que les déchets produits par le travail humain sur des objets. Ils sont produits par le travail du corps sur lui-même qui suinte de sécrétions diverses : pellicules, larmes, cire, morve, sueur, peau morte, salive, urine, sperme, règles, sécrétions vaginales. De tous, l’excretum est le plus commun et le plus envahissant. Il concentre sur lui tous les caractères de la classe méprisée : il coule, il s’infiltre, se décompose, sent, colle, menace ; informe et gluant, il se répand et il entoure, indifférencié. Les excrétas sont éloignées pour leur nocivité25 : risque de maculation, danger de souillure de contamination et de pourrissement intérieur, mais au Burkina, il ne sont pas considéré comme l’excrétion la plus dangereuse.

II.B.2.2 Les excrétions les plus dangereuses : « tout ce qui vient de l’appareil

génital de la femme! »

La souillure la plus redoutée est celle occasionnée par les sécrétions et excrétions corporelles de la femme: le sang menstruel, les sécrétions vaginales (Jolé Michèle, 1991). Elles représentent, ici comme ailleurs, l’archétype du miasme et de la souillure. Cette forme de saleté-souillure ne suscite pas seulement la répulsion, elle est considérée comme très dangereuse pour l’homme car non seulement, elle peut provoquer des maladies mais en plus, « elle attache la chance », elle anéantit les bénédictions : elle porte malheur !

B.2.2.1 La femme est intrinsèquement impure :

« Si nous disons que la religion musulmane est une religion de propreté, c’est plus profond que la propreté extérieure. La femme a beaucoup d’exigences. Elle doit toujours être pure. Toute femme, après des rapports sexuels ne doit ni mettre de l’eau dans la bouilloire de son mari, ni lui faire à manger. Avant une toilette profonde, elle est impure, j’insiste là-dessus elle est impure. De même pendant les règles, il interdit à la femme de prier parce que Dieu n’exauce pas sa prière. Pendant le jeûne, elle suspend le carême. Après les menstrues, elle subit une toilette spéciale pour retrouver sa pureté. » Une hadja, membre du Cercle d’Etude et de Recherche en Formation Islamique (CERFI) « Une femme en règle gâte les fétiches si elle prépare à manger pour un homme ! » « Il y a plusieurs sortes de propreté. Chez nous, la propreté entre l’homme et la femme, il faut faire très attention. La femme, elle sort de chez l’homme, la saleté avec laquelle elle est sortie, toi tu ne le sais pas, la saleté qu’elle a prise tu ne connais pas son genre. Elle

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En Europe, au XVIIIè faire ses besoins pouvait se concevoir dans l’espace public et à peu près n’importe où dans l’habitation. L’inconvenance d’un tel étalage commence à se faire sentir dès le XVIII ème et se concrétise avec les tabous du corps qu’impose la bourgeoisie triomphante au XIXème siècle. « L’effet majeur de cette technicisation grandissante est surtout d’imposer à tous les membres du corps social le respect plus ou moins spontanément consenti de la séparation entre un espace privé où la bienséance veut que les pratiques consistant à uriner et à déféquer soient pudiquement reléguées dans des lieux appropriés et gardés propres, et un espace public confié aux bons soins des pouvoirs du même nom où les déchets en tout genre sont refoulés pour y être évacués, canalisés et recyclés. » (Frey, Le génie du propre,1991 : 61).

arrive ici te prendre, tourner et te « l’étaler » aussi ; Donc toi aussi, tu sautes et tu tombes sur cette saleté dont tu ne sais pas d’où elle est sortie.

Avec ce qu’elle a sur son corps, elle ne s’est même pas lavée ; elle vient de son adultère et se promène et comme toi aussi tu as envie d’une femme, tu vois. Ce modèle de saleté attache la chance si tu n’y prends pas garde. On peut même attraper toutes sortes de maladies. Pas seulement leur mauvaise maladie d’aujourd’hui dite sida, ce n’est pas ça seulement.

De nos jours si ta chance est attachée par la saleté, aucune de tes affaires ne s’arrange, même le repas devient difficile dans ta bouche. La propreté de l’homme et de la femme est identique. Nous les adultes, on prend la maladie par la fornication. La saleté pour l’islam, est liée aux rapports sexuels. La saleté de l’homme et de la femme sont les mêmes. Si tu t’unis à une femme, tu coules, la femme coule, tout ça c’est une saleté, le sexe de la femme est sale et celui de l’homme aussi. Le problème avec la femme c’est qu’on ne sait pas d’où elle vient avec sa saleté, je ne sais pas quelle saleté elle a sur elle et elle vient me rentrer dedans aussi. Moi aussi je me lève pour lui faire l’amour, alors que là d’où elle vient on lui a aussi fait l’amour ! c’est toute sale qu’elle est venue chez moi. Voilà ! » Dougouri, secteur 12 Bobo-Dioulasso, chauffeur, enquête 2001.

« Il semblerait aussi qu’il y a des génies qu’un homme ne doit pas rencontrer s’il a eu un contact avec les sécrétions vaginales de la femme au risque de faire un accident ou de se retrouver dans une détresse matérielle. » (Millogo, 2002 : 81)

Elles sont effrayantes car elles signifient l’envers de l’ordre social, des règles et des bonnes manières : elles figurent le chaos (Knaebel, 1991: 25).

« Tu es musulman, tu dis que tu vas te joindre à la prière et tu vas pisser sans apporter de bouilloire. Tu vas pisser comme ça, seulement, aïe !, et secouer seulement le « zakaria », te lever et partir (rires), c’est ça la saleté. (…) La saleté de l’homme et la saleté de la femme ne sont pas les mêmes car leurs façons de faire ne sont pas égales. La femme est plus compliquée car il y a des périodes où elle ne prie pas. Après l’accouchement, une femme n’est pas pure. Selon les marabouts, une femme qui tombe enceinte est considérée comme quelqu’un qui est prêt à mourir pour la terre (jihad) jusqu’à son accouchement. Si elle accouche et fait quarante jours, maintenant sa tombe se referme, elle quitte les morts pour revenir chez les vivants. Si elle meurt avant les quarante jours, c’est « une mort pour la terre » avec effusion de sang. C’est comme quelqu’un qui tombe d’un rocher ou d’un arbre, quelqu’un qui se noie ou qui est foudroyé. La saleté des hommes n’est pas la même que pour la femme. Si tu as fait tes ablutions, si tu n’as pas pissé, ni pété, tu peux prier. Tandis qu’une femme ne peut pas tenir ses ablutions plus de deux heures. Tout ce qui est haram est saleté (impur), tout ce qui est proscrit est saleté (impur). Si tu fais ce qui est proscrit tu es entré dans la saleté et tu n’as pas de bénédiction. » O., depuis 33 ans au secteur 12 (Niénéta) Bobo-Dioulasso, peintre à la retraite, propriétaire d’une cour de 21 personnes (enquête 2001).

« Une femme musulmane doit se laver correctement le matin après les rapports ; avant de préparer le petit déjeuner pour la famille. Sinon, la prière de son mari pourrait ne pas être exaucée, et sa « chance » baraka pourrait diminuer ; il peut même avoir un accident. » Or cette même femme qui parlait, n’a pas pris soin de se laver les mains au sortir des latrines avant de continuer à découper son gombo. » Enquête Malimata Millogo, secteur 6 (Bolomakoté) Bobo-Dioulasso (enquête 2001).

Avec les sécrétions féminines, la souillure risque d’amener la corruption du corps et la déchéance de la vie (« détresse matérielle », « attache la chance ») qui peuvent conduire à la mort (« faire un accident »). Ici, ce ne sont plus les déchets qui sont déchus, c’est l’être humain lui-même qui déchoît et risque de devenir un « déchet humain », un cadavre.

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 39-42)

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