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D.3 Le jeu de la dénonciation réciproque

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 150-152)

conceptions, représentations et usages de la ville à Bobo-Dioulasso

IV. D.3 Le jeu de la dénonciation réciproque

IV.D.3.1 D’un côté, l’homme de la rue critique l’indifférence des responsables

à la pollution de la ville…

« Le poisson pourrit d’abord par la tête » proverbe bobolais

« Il n’y a pas de notion de service public. Les responsables ne connaissent pas les besoins de la société qu’ils dirigent. On prend seulement l’exemple qui vient d’en haut : on dit que les canards se suivent en regardant la tête de ceux qui sont devant : l‘exemple vient d’en haut ! car le poisson pourrit par la tête. » Sébastien, agent de la RAN à la retraite, porte-parole des riverains du canal « Brakina », membre du parti d’opposition PDP, candidat aux législatives en 98 (enquête 2001).

La propreté urbaine n’est manifestement pas au centre des préoccupations des puissants et des notables influents de la ville, sinon ça se verrait ! Cette indifférence est particulièrement stigmatisée chez les industriels bobolais qui, depuis des lustres, déchargent tous leurs rejets bruts dans le canal « Brakina » qui traverse une partie de la ville en dégageant une puanteur immonde.

« On ne sait même plus à qui reprocher la faute, la mairie nous reproche, nous on reproche à la mairie, c’est la mairie l’autorité, c’est eux qui doivent aiguillonner tout le monde. Le maire actuel était notre maire de quartier avant d’être maire central. Il venait ici régulièrement, on longeait le canal, il parlait. Et maintenant qu’il est élu en haut, il n’en parle plus. » Entretien groupé avec M. Guigui (militaire à la retraite), M. Poda (infirmier à la retraite) » D. (magistrat à la retraite), trois voisins du quartier Accart-Ville, le 23 août 2001.

« Par rapport aux comportements des populations, ils sont liés à leur mentalité et au relâchement de l’administration. Il est nécessaire de dégager des stratégies adaptées, donner de l’information sur la mise en œuvre et les sanctions encourues pour ceux qui enfreignent les règles. Les populations ont intégré la corruption à tous les niveaux. Dès que quelqu’un est pris pour un pour un manquement aux règles d’hygiène, il sait tout de suite qui contacter pour résoudre son problème à l’amiable. De même des autorités interviennent parfois en faveur de certaines personnes. » Un responsable des services techniques municipaux (Millogo, 2002 : 99).

« Ils (les conseillers municipaux) ne sont pas sur le terrain, ils se désintéressent de ce qui se passe dans l’arrondissement, ils ne se déplacent pas pour voir les problèmes qu’on leur signale. Ici on ne peut pas être candidat aux élections municipales si on ne fait pas partie d’un parti politique ; ils ont refusé d’instaurer des candidatures indépendantes : « L’appétit vient en mangeant, dès qu’il goûte, il ne veut plus laisser la place car en occupant cette place on trouve d’autres moyens de s’enrichir. Si on instaurait la candidature indépendante, aucun conseiller n’aurait été élu. » Sidiki, un habitant de Sarfalao, militant actif du parti ADF-RDA (enquête 2001).

Par ailleurs, les citadins considèrent que les autres notables urbains, les grands commerçants, les hommes politiques et les élus locaux, s’intéressent avant tout à tirer de leur fonction ou de leur mandat des bénéfices immédiats pour leurs affaires personnelles : « La propreté urbaine et le cadre de vie importent peu » (P. Cadène, 1991 :16).

« Les conseillers municipaux ne sont pas nos portes-paroles ; c’est dommage. Ce sont des gens du quartier, mais dès qu’ils sont élus, ils ne demandent même pas quels sont les problèmes des gens. Ils ne viennent jamais. Le mot conseiller, c’est rencontrer de temps en temps les gens et discuter. Ce sont des analphabètes ; qu’est-ce qu’ils peuvent comprendre dans leur rôle ? La plupart des conseillers sont illettrés. On ne les connaît même pas les conseillers, on sait qu’il y a 3 conseillers, mais on ne sait pas qui est qui. Il n’y a qu’un seul qu’on connaît ; c’est Sanou Soungalo, c’est un ancien militaire, il représente les autochtones, il est plus âgé que nous, il n’a pas été à l’école. » M. Guigui (militaire à la retraite), M. Poda (infirmier à la retraite), M. Diallo (magistrait à la retraite), trois voisins du quartier Accart-Ville, le 23 août 2001.

Les citadins aiment à souligner que la préoccupation principale des maires et des conseillers municipaux pendant leur mandat consiste à se préoccuper activement de faire fructifier leurs affaires privées avec l’argent public.

On reproche aux employés de la DSTM d’avoir des comportements de négligence :

On dit ainsi que les camions bennes de la municipalité servent parfois à d’autres usages que celui consistant à relever les bennes à ordure dans les secteurs. « En effet, souvent, ils ne peuvent rouler faute de carburant ; il est alors aisé pour un particulier de « s’entendre » avec le chauffeur du camion pour que celui-ci transporte, par exemple, des matériaux de construction sur sa parcelle moyennant finance. » (enquête 2001).

Les reproches portent sur les inégalités du service de propreté, sur une gestion à deux poids deux mesures entre quartiers centraux et quartiers périphériques: les habitants de ces derniers expriment un profond sentiment d’abandon de la part du service et des pouvoirs publics :

« Ceux qui sont d’accord avec moi, ce sont les jeunes. J’ai dit à monsieur le maire que le lotissement n’est pas une urgence. Il n’y a pas de caniveau, pas de ponts, vous voulez lotir, vous voulez que les gens aillent chez eux en hélicoptère ou en bateau pendant la saison des pluies ? Il m’a dit ‘nous avons pris des dispositions’, les dispositions c’est lesquelles ? Les caniveaux sont où ? Il n’y a pas de plan, pas d’actions. Rien n’est affiché, pas de programme. Quand le maire s’assoit devant les gens pour parler, il pense que les gens ne comprennent pas ce que lui il dit, il les prend pour des bœufs, à la limite il se dit :‘j’ai été à l’école, vous n’avez pas été à l’école’ d’autant plus les conseillers

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

sont souvent analphabètes, Sanogo par exemple, il a été où, je le connais depuis longtemps, je le prenais sur ma mobylette ; aujourd’hui nous ne faisons pas la même politique. Nous sommes divisés. » I.K., habitant secteur 17, Bobo-Dioulasso, le 22 août 2001.

Il ressort que les élus ne se sentent pas comptables de l’intérêt général, imprégnés du patrimonialisme ambiant, ils confondent très souvent « responsabilité » et « appropriation ». Les élus mandatés pour assurer cette gestion ignorent tout du « service public ». En l’état actuel, il n’existe pas de service public de niveau supérieur capable d’accompagner la prise en charge d’un service public de proximité. Ce sentiment de laisser-faire concédé aux riches et de privilèges accordés aux puissants, d’abandon par les élus, entraîne une dépendance extrême vis-à-vis des pouvoirs locaux et favorise une soumission opportuniste à l’arbitraire administratif et policier136 qui constitue, selon nous, un des principaux obstacles à une participation responsable et collective de la « société civile » à la propreté de l’espace public. Une des conséquences consécutive à tous ces manquements politiques est un déficit chronique de légitimité137 des élus locaux qui se manifeste par la méfiance, la défiance et l’instrumentalisation généralisée des rapports à l’autorité communale.

« Le maire actuel ne va pas rester longtemps, il le sait, il sait les conditions dans lesquelles il est arrivé au pouvoir. L’ancien maire, il n’avait rien fait ; le jour qu’ils ont dit qu’ils avaient investi 64 milliards dans Bobo, on se demande ce qu’il a fait. Koussoubé a intérêt à travailler parce qu’il sait qu’il n’a qu’un seul mandat. Ce sont les gens comme nous autres qui le soutenons, mais il ne faudrait pas qu’il coupe les arbres à la racine ! » I.K., habitant secteur 17, Bobo-Dioulasso, le 22 août 2001.

La plupart des problèmes de collaboration entre les élus municipaux et les citadins de la « société civile » tiennent à ce manque de légitimité populaire du pouvoir communal. Dans un tel contexte, il est très difficile de mobiliser les gens pour des actions liées à l'amélioration de leur cadre de vie (Millogo, 2002 : 87). Par contre, les quelques représentants des partis d’opposition élus au conseil municipal, « surfent » sur la vague du mécontentement populaire :

« Dans les doléances des habitants du secteur 1, on a demandé qu’on augmente le nombre de bacs à ordures. Le placement du bac à côté du marigot n’est pas du tout bon. Il faudrait les placer aux coins des rues. Mais comme c’est placé là, ça pollue l’eau du marigot. Il n’y a pas de fosses septiques dans les cours. Les gens m’interpellent pour me montrer le pont. J’ai vu le maire, il a dit qu’il fallait aller voir avec un technicien. Nous sommes vraiment sollicités. Pendant les travaux, il y a un conseiller qui a dit aux jeunes de ne pas sortir, il leur a dit qu’ils allaient travailler pour le parti d’opposition, parce que moi je suis UDF (Union Démocratique du Faso). Les jeunes ont refusé, ils ont dit qu’ils voulaient travailler avec un conseiller qui travaille. » S.Y. Conseiller municipal, Dioulassoba, (secteur 1) Bobo-Dioulasso (enquête 2002)

Les problèmes de propreté et d’assainissement de la ville sont en train de devenir un problème de politique locale !

IV.D.3.2 …De l’autre, « la mairie » critique le comportement incivique et la

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