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B.1 La « propreté » saniya comme ordre symbolique et la « saleté » nogo comme désordre

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 34-36)

Si toutes les sociétés opèrent un partage entre ce qui est propre et ce qui est sale14, le lieu de la ligne de partage est variable car il dépend des croyances (culturelles, scientifiques ou religieuses) partagées. Ces croyances se traduisent par des valeurs et des normes de propreté qui s’incarnent dans les codes locaux de la bienséance et du savoir-vivre. C’est en invoquant ces codes que les gens portent des jugements sur les Autres, leurs choses ou leurs espaces, qui départagent entre le souhaitable et l’insupportable.

Un homme sale n’engage que lui, mais une femme sale salit toute la communauté. Certains habits ne se lavent pas, on ne dit jamais qu’ils sont sales ! » Chef coutumier Sanou sogosira (Kibidwé, « village » de Dioulassoba) secteur 1, Bobo-Dioulasso (enquête 2001).

« La saleté et l’hygiène dépendent du milieu d’où l’on vient et du milieu dans lequel on vit. Il existe des gens sales de nature et des gens qui accordent une importance au propre et à l’hygiène en tant que vertus sociales. ». Malimata Millogo, secteur 6 (Bolomakoté) Bobo-Dioulasso (enquête 2001).

La propreté-saleté comme rapport social s’exprime donc avant tout par un jugement de valeur sur la cohérence, ou l’incohérence, dans l’arrangement adéquat des personnes et des lieux, des objets et des

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Ce mot désigne au sens propre une boue liquide et souillée et littérairement une abjection, une ignominie qui souille moralement (Le Petit Robert, Grand format).

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Une représentation est une vision (image) mentale de quelque chose (objet ou notion), une conception de quelque chose par rapport à un système de référence. Les représentations d'une notion sont organisées autour d'un « noyau central » qui est le « lieu de cohérence » des conceptions. Ce noyau central organise autour de lui un ensemble de conceptions périphériques, moins abstraites, moins générales et moins stables que celles du noyau central. Cet ensemble forme une « zone tampon » qui autorise la diversité dans l’actualisation des représentations.

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Sur la relativité culturelle et historique de la distinction du propre et du sale voir Corbin A. 1987, Le miasme et

places (Knaebel Georges, 1991): 24). Mais les normes et les valeurs de propreté sont variables en fonction des aires culturelles, des époques et des classes sociales considérées.

« N’a t-on pas l’habitude de dire que tout ce qui ne tue pas engraisse ? L’homme plaisante, mais selon lui cela traduit bien le comportement de certaines personnes. Tout le monde n’a pas la même perception du propre et du sale : ce qui est sale chez l’autre peut être propre chez moi. Tout dépend du milieu dont on est issu. La propreté et l’hygiène sont des valeurs transmises par l’éducation. Seulement, sur ce plan, l’éducation souffre de certaines tares. L’accent est surtout mis sur l’hygiène individuelle, corporelle et vestimentaire, au détriment de l’hygiène collective. C’est pourquoi vous rencontrez les déchets et les eaux usées dans les rues et sur les espaces publics. » Millogo (enquête 2001).

II.B.1.1 La saleté-désordre : « c’est ce qui n’est pas là où ça devrait être

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! »

Au Burkina faso, comme en Europe, rendre propre c’est laver et balayer, c’est surtout « arranger », c’est-à-dire mettre en « ordre symbolique ». Saniya, « la propreté », ne désigne donc pas la qualité en soi d’une personne, d’un espace ou d’une chose, mais exprime plutôt un jugement sur son état présent de proximité à, ou de pollution par, la saleté.

« Le sale « c’est ce qui n’est pas là où ça devrait être ! ». Chef coutumier Sanou sogosira (Kibidwé, « village » de Dioulassoba) secteur 1, Bobo-Dioulasso (enquête 2001).

« Nous faisons de l’élevage, les bœufs, ils chient, les moutons ils chient ; si on ne balaye pas n’est-ce pas une autre sorte de saleté ? Moi-même, je vends du bois, si je ne balaie pas tous les jours les morceaux de bois, c’est aussi une saleté. » Téné, infirmière à la retraite, 56 ans, 23 ans de résidence dans le secteur 12 (Niénéta) Bobo-Dioulasso , 12 personnes dans la cour.

Si la saleté est un désordre, alors, la saleté et la propreté se voient, mais si la saleté est cachée, on peut quand même la sentir :

« La saleté se voit à l’œil nu. Ce qui est caché on ne peut pas le voir, si quelqu’un ne s’est pas lavé et que ça ne se voit pas, on ne peut pas savoir ; si je suis rentré dans les toilettes sans emporter de l’eau, c’est une saleté cachée, je n’ai pas vu cela. La saleté, c’est le désordre d’une personne, sa manière de marcher, de s’asseoir n’importe où… La saleté, c’est quand, étant dans une cour, tu ne fais pas attention à toi-même et que tu n’entretiens pas ta cour. On entretient en balayant la cour. Et l’étranger qui entrera dans la cour trouvera que tu l’as bien arrangée. » Amadé, éleveur, cour de 15 personnes, Niénéta (secteur 12) Arrt. Dô, Bobo-Dioulasso.

La propreté se voit et se sent :

« La propreté, ça se voit, ça se sent, même quand on s’arrête à la porte, on le sait, j’en sais quelque chose car je passe ma journée à faire la bagarre aux gens pour la « devanture » de la cour. » Téné, infirmière à la retraite, épouse du propriétaire, 23 ans de résidence dans le secteur 12 (Niénéta) Bobo-Dioulasso, 12 personnes dans la cour (enquête 2002)

« Pendant la saison froide, si tu vois une personne qui est noire alors qu’elle ne s’est pas mise de pommade, c’est une personne sale. Par contre, si elle se lave et ne met pas de pommade tu verras que son corps est blanc. S’il elle se lave son corps est blanc. Une personne sale est une personne qui ne se lave pas et qui ne lave pas ses habits. » O.,

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

peintre à la retraite, depuis 33 ans au secteur 12 (Niénéta) Bobo-Dioulasso, propriétaire d’une cour de 21 personnes (enquête 2001).

La saleté-désordre choque la vue :

« Une personne propre, ça se reconnaît à son matériel de travail et puis ça dépend de ses propres soins. Par exemple, si tu vois quelqu’un, il est bien tenu, soigné au-dehors, mais si tu rentres dans sa maison, alors elle ne peut même pas être regardée (son désordre choque le regard) : ça c’est un manque de propreté. Si la personne était propre, l’intérieur de sa maison doit être bien arrangé et qu’elle se préserve de la saleté, c’est ça la propreté. » Mme Z. Z., secteur 2 (Farakan, Bobo-Dioulasso, enquête 2001).

« Il y a plusieurs types de saleté, si tu laisses ta tête sans la raser, sans se peigner et que la terre y entre sans que tu te laves, ne sera-t-elle pas sale ? »).» O. depuis 33 ans au secteur 12 (Niénéta) Bobo-Dioulasso, peintre à la retraite, propriétaire d’une cour de 21 personnes (enquête 2001).

La saleté renvoie donc aux déchets. Mais il y a déchet et déchet ! Tous les déchets n’ont pas la même signification et au moins deux ordres de représentations dominent le champ sémantique qui s’y rapporte. Le premier ordre de représentation réfère aux notions de « résidu » ou de « déchet16 ». Ces notions renvoient à une conception de la chose déchue qui n’a plus de fonction dans le cadre d’une activité, qui a perdu sa valeur d’usage ou qui est le résidu de la production des choses utiles : copeaux, chiffons, cartons, os, épluchures, cosses de mil, cœur du maïs, etc. Des déchets solides qui n’ont pas grande valeur symbolique. Ils sont superflus, anodins et le plus souvent inoffensifs. Ce déchet peut être réemployé comme fumier ou comme matière première dans une autre activité que celle dont il est le résidu.

« (…) La seule saleté qui ait un intérêt, c’est quand tu vas mélanger le fumier pour fertiliser les champs de maïs afin qu’il pousse bien. C’est quelque chose que tu as élevé et qui va s’arranger. Ça n’est pas une saleté dangereuse. » O. depuis 33 ans au secteur 12 (Niénéta) Bobo-Dioulasso, peintre à la retraite, propriétaire d’une cour de 21 personnes (enquête 2001).

Le déchet est une source de saleté inévitable, « normale », à laquelle répond la propreté- ordonnancement qui consiste à l’écarter par diverses activités de balayage, lavage, essuyage ou rangement. De ce point de vue, la saleté est un simple désordre, une confusion, un mélange ou une trop grande proximité à des résidus d’activité humaine qui ne sont pas, a priori, chargés de connotations négatives.

II.B.1.2 Dans ce cas, la propreté c’est ranger et arranger pour faire sortir la

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 34-36)

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