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B.6.1 Étude de cas : conceptions & représentations populaires des diarrhées infantiles

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 48-53)

Les diarrhées représentent la première cause d’hospitalisation dans les hôpitaux à Bobo-Dioulasso, et les diarrhées du nourrisson sont parmi les premières causes de morbidité et de mortalité. Il est par ailleurs bien établi que la plupart des agents pathogènes responsables des diarrhées sont transmis par voie fécale-orale. On rapporte ici les conclusions fort intéressantes pour notre problématique d’une étude pluridisciplinaire qui a été conduite par une équipe du Centre Muraz de Bobo-Dioulasso sur les croyances et les pratiques des mères bobolaises en relation avec les diarrhées des enfants34. La diarrhée, en dioula kononboli « le ventre qui court », est pour les femmes le signe de mauvaise santé le plus répandu et le plus fréquent chez les enfants. Ce signe est identifié par la liquidité des selles et leur fréquence et elles affirment qu’il en existe plusieurs sortes qui sont décrites dans le tableau ci- dessous :

Signes & symptômes Nom Causes (kononboli-kun)

Selles vertes, mousseuses et fréquentes

Vomissements Amaigrissement Hypotonie Hyperthermie

Poussée dentaire (6-7 mois)

Kolobo « l’os sorti » Dentition

Selles vertes Nénè « le froid » Coup de vent

Selles liquides de forte odeur Farigan

« l’hyperthermie »

Mère fiévreuse

Selles blanches à l’odeur de lait Sin muni « le lait Lait aigre car la tétée a été différée

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Kanki Bernadette, et al.,1994. Des croyances aux comportements : diarrhées et pratiques d’hygiène au Burkina Faso, Cahiers Santé, 4 : 359-66. Une combinaison de méthodes qualitatives et quantitatives a permis d’explorer les croyances et pratiques des mères, en relation avec les diarrhées. 21 entretiens dirigés ont été conduits en langue dioula par une équipe féminine (une sociologue et deux agents de santé) auprès de groupes de femmes composés d’une dizaine de femmes, chacun. Les groupes ont été constitués sur la base de critères d’âge, de scolarisation, de résidence, d’appartenance associative, ethnique et socio-économique. Mise en commun des notes après l’entretien. Les données recueillies ont été retranscrites par thèmes et une analyse de contenu a permis de dégager les causes populaires de la diarrhée. Elles ont permis de décrire les croyances des mères et d’élaborer des questionnaires quantitatifs (1388 cas et 1405 témoins). Les schémas d’observation concernaient les pratiques de lavage des mains des mères après utilisation des latrines ou après contact avec les selles de l’enfant (278 cas et 273 témoins ont été observés).

maternel maternel aigre »

Selles sanglantes et glaireuses Fatigue Anorexie Togo-togoni (onomatopée désignant la diarrhée dysentériforme)

Consommation excessive de sucre, d’eau sale, de fruits pourris, de viande cuite, autre diarrhée mal soignée

Selles liquides Ventre ballonné Anorexie

Tubabu kononboli « la

diarrhée des blancs »

Aliments sales

Petites selles glaireuses Hypotonie

Hypothermie Toux

Anus fissuré

Kôtigè « l’anus fissuré » Fissures anales dues au constant port de

l’enfant au dos ou au contact avec l’humidité du sol ou du caleçon

Selles vertes et glaireuses Plaies au niveau buccal Hyperthermie

Yeux pâles

Kolon « le puits » Irritation du tube digestif dont les candidoses buccales et/ou les fissures anales constituent le signe visible (stade avancé du kôtigé)

Selles blanches à l’odeur « d’œuf pourri » vomissements

Fontanelle déprimée

Wuna « la fontanelle » La mère que tète l’enfant a piétiné un œuf frais

Selles blanches, épaisses, malodorantes

Enfant maigre et grognon

Séré « le témoin ». La mère que tète l’enfant a rompu l’interdit sexuel post-natal. Cette diarrhée est la preuve que le lait de la mère a été souillé lors des rapports sexuels.

Tableau 8. La classification des diarrhées par les mères à Bobo-Dioulasso (Source : (Kanki Bernadette et al., 1994):361)

Les mères disent donc que les « causes » kononboli kun35, des diarrhées sont multiples. Les différentes sortes de diarrhées peuvent être dues aussi bien à une cause naturelle (la dentition, le froid, la fièvre ou une nourriture inadaptée) qu’à la transgression par la mère de l’enfant d’un interdit social ou religieux. Par contre, il y a une catégorie de diarrhée, la « diarrhée des blancs » tubabu kononboli, qui, selon les femmes, relève spécifiquement de la bio-médecine parce que ses causes renvoient à une conception hygiéniste de la contamination. De l’avis des mères, les diarrhées les plus graves seraient sérè et wuna (consécutives à la transgression d’un interdit), kolon et togo-togoni.

On retrouve ici, derrière le discours des femmes, le classement, évoquée plus haut, des diarrhées et des saletés en catégories qui ne comportent pas l’idée de souillure (aussi appelées maladies des « blancs ») et qui sont considérées comme bénignes et banales, et en catégories plus dangereuses parce qu’elles sont la cause ou la conséquence d’une souillure grave ou d’une transgression rituelle.

Par ailleurs, les femmes ont mentionné, entre autres, agents pathogènes, l’eau de puits, l’eau sale, la bouillie mal cuite, la nourriture sale, les aliments sur lesquels les mouches se sont posées, le fait que l’enfant mange par terre. Les auteurs considèrent, à juste titre, qu’il s’agit sans doute là d’un effet des discours des agents de santé sur la transmission des agents pathogènes de la diarrhée, entendus lors des consultations curatives ou des campagnes de sensibilisation. Les femmes donnent à l’enquêteur ce qu’elles pensent être la bonne réponse, celle qui correspond à ses attentes hygiénistes, quelle que soit par ailleurs leur véritable opinion personnelle sur la question.

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Kun, « la tête » désigne aussi la cause ou l’origine d’une chose, le motif d’une action et la raison pour laquelle un événement arrive (Kanki et al., 1994 : 361).

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

B.6.1.1 Les selles enfantines

B.6.1.1.a) Le lavement de l’enfant

Le lavement est une pratique intimement liée à la santé de l’enfant. Le premier lavement fait au nouveau-né revêt un caractère particulier de purification en rapport avec la souillure : on débarrasse le bébé des impuretés avec lesquelles il naît. Ce lavement, selon les mères, prévient les coliques du nouveau-né, qui seraient le fait des « saletés entassées au cours de la grossesse dans le nombril de l’enfant » (Kanki et al., 1994 :362).

B.6.1.1.b) Les nuisances olfactives et visuelles

L’attitude de la mère face aux selles de son enfant change avec l’âge de ce dernier. En particulier, elle distingue les selles de l’enfant allaité au sein, de celles de l’enfant qui mange le repas familial (Kanki et al., 1994 : 363) :

« Les selles du lait et les selles de la nourriture ne sont pas pareilles : les selles du lait n’ont pas d’odeur ; l’enfant qui mange le repas familial fait les selles avec une forte odeur comme tout le monde. On supporte la vue des selles de l’enfant : le lait est liquide ce qui rend les selles de l’enfant molles. Ce que l’adulte mange est solide, les selles sont solides et pas agréables à voir. »

On retrouve ici les marqueurs du miasme, la puanteur et la laideur de la putréfaction : les selles sont gênantes pour les mères lorsque l’odeur « empêche de respirer » et « appelle les mouches qui viennent s’y poser et reviennent ensuite sur la nourriture » :

« Quand les enfants sont petits, ils ne consomment que le lait maternel ou des aliments très légers. Leurs selles n’ont pas d’odeur et elles sont molles. Elles ne nous gênent pas en tant que telles. Les selles des adultes sont dures et pas bien à voir.

Les selles nous fatiguent quand elles nous empêchent de respirer. Si elles sont dans la cour, si les mouches s’y attroupent, elles attirent l’attention et la mère de l’enfant qui les a émise est obligée de les éloigner pour éviter les critiques des autres membres de la famille. Nous les éloignons aussi à cause des grosses mouches vertes qui se posent là- dessus et sur les repas.» (Millogo, 2001 : 56 )

À travers ces propos, on constate que les problèmes de santé liés aux selles préoccupent très peu certaines femmes. Par contre,les nuisances olfactives et visuelles et la honte vis-à-vis des autres sont des motivations profondes pour se débarrasser des selles des enfants.

B.6.1.1.c) Les lieux de défécation

Plus l’enfant grandit, plus la mère éloigne ses selles de la vue et de l’odorat : il passe successivement du linge, au pot, ensuite aux dépotoirs d’ordures et finalement aux latrines, comme les adultes. Dès l’âge de deux mois, l’enfant utilise le pot quand il arrive « à tenir droit sa tête », la mère lui apprend à s’asseoir sur le pot jusqu’au moment où il acquiert l’équilibre nécessaire pour y tenir seul :

« Ici c’est interdit de faire les selles dehors. Ceux qui n’ont pas l’âge d’utiliser les latrines, font les selles dans le pot. » (Kanki et al., 1994 :364)

Après l’âge du sevrage (18 mois-24 mois) et surtout l’arrivée d’un autre enfant, la mère prend l’habitude de l’envoyer faire les selles sur les dépotoirs d’ordures hors de la cour :

« Á partir de deux ou trois ans,les enfants peuvent aller dehors, mais je les fait accompagner par un aîné ou moi-même. »

« En ville, il y a des problèmes à laisser les enfants faire les selles dehors car il faut à chaque fois les ramasser ; c’est pour cela qu’il faut que l’enfant ait trois ans : à cet âge, il sait choisir les endroits et il va là où on n’est pas obligé de ramasser les selles. » « Ma fille a dix-huit mois, mais elle va dehors, là où elle veut, pour faire les selles. »

« Les enfants de moins de six ans ne connaissent rien ; ils aiment jouer partout et même dans les latrines. Il y a des risques d’accidents, surtout si l’ouverture de la latrine est large. Ils essayent de regarder à l’intérieur, donc ils peuvent y tomber. C’est préférable qu’ils aillent dehors sur les dépotoirs. »

« Certains enfants utilisent la latrine à quatre ou cinq ans ; d’autres à neuf ou dix ans. Si la latrine n’est pas en bon état (dalle cassée, ouverture trop large), il y a des risques ; c’est pour cela qu’il est préférable que les enfants défèquent sur les dépotoirs. »

« Ce n’est pas bon de laisser aller les enfants à la latrine, car ils ne savent pas l’utiliser : ils font des selles sur la dalle, ils la salissent ; c’est pour cela que je n’autorise pas les enfants de moins de huit ans à utiliser la latrine. »

« Moi, mon enfant a quatre ans, mais il utilise la latrine ; il est très éveillé, il connaît le risque. » (Kanki et al., 1994 :364)

Aussi trouve-t-on souvent à l’entrée des latrines des pots contenant des selles de jeunes enfants. B.6.1.1.d) L’évacuation des selles : une question de visibilité

On a observé que le lieu où la mère se débarrasse des selles de l’enfant varie corrélativement avec le lieu où les selles sont faites, donc avec l’âge de l’enfant. Les selles des enfants âgés de moins de deux mois sont jetées soit dans la cour (30 % des cas) soit hors de la cour (38 % des cas).

Ces pratiques s’accordent avec le constat que l’aspect des selles influe sur le choix du lieu d’évacuation. D’ailleurs, des mères d’enfant diarrhéiques affirment que, après avoir lavé le linge souillé des selles, elles jettent les eaux sales à même le sol de la cour ou dans les caniveaux, car les selles ne sont plus visibles. En revanche, lorsque les selles sont solides, et donc visibles, elles jettent la première eau de lavage dans la latrine (Kanki et al., 1994 :363).

Outre l’effet direct de gêne qu’occasionne la proximité des selles, du point de vue hygiéniste, se débarrasser des selles dans les latrines réduit les risques de contamination fécale. Mais comme le révèle l’enquête, à Bobo-Dioulasso on se débarrasse des selles surtout pour éviter les effets directs de la gêne liée à la puanteur :

« Les selles sentent mauvais, si on les laisse l’odeur persiste ; il faut donc s’en débarrasser le plus vite possible. »

Les selles, en particulier celles de l’adulte, sont tenues hors de portée de vue et de nez. La défécation a lieu, lorsque les conditions le permettent, dans les latrines ou dans les buissons loin des habitations. Cependant, 32 % des selles des enfants âgés de moins de 36 mois finissent dans l’environnement immédiat, parce que tout simplement ce sont des selles d’enfant et que l’odeur ne gêne pas (Kanki et al., 1994).

Les enfants qui ont dépassé « l’âge du pot » et qui ne peuvent pas encore utiliser les latrines font leurs selles à même le sol de la cour ou de la rue : dans 22% des cours visitées, il a été noté la présence de selles humaines sur le sol de la cour.

Ces pratiques quotidiennes exposent les enfants à des risques de contamination directe36. En effet, les dépotoirs d’ordures, sur lesquels il est permis aux enfants de déféquer, les recoins de la cour où les mères se débarrassent des selles sont aussi les espaces attitrés de jeu de ces enfants.

B.6.1.1.e) La toilette de l’enfant après défécation

Le nettoyage de l’anus à l’eau est la méthode courante de toilette de l’enfant après la défécation :

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La contamination des aliments de sevrage par des matières fécales ou d’autres germes pathogènes seraient à l’origine de plus de la moitié des 1,4 milliards d’épisodes de diarrhées qui surviennent chaque année dans le monde chez les enfants de moins de cinq ans !

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

« Dans les 131 cas où l’observatrice a pu noter comment la mère avait nettoyé l’enfant qui venait de déféquer,

78,6 % ont nettoyé l’anus de l’enfant à l’eau simple, 6,9 % avec de l’eau et du savon,

9,9 % ont nettoyé avec un linge (souvent la culotte que l’enfant portait auparavant). Dans deux cas (1,5 %) la mère a utilisé du papier

et dans quatre cas (3 %) l’enfant n’a pas été nettoyé. » (Kanki et al., 1994 : 363)

Après ce contact à main nue avec les selles de l’enfant, 52 % des mères ont versé l’eau sur les doigts de leur main gauche qui avait servi à nettoyer l’anus de l’enfant ; mais aucune n’a utilisé de savon pour se laver les mains !

« Les mères avouent que « se laver les mains au savon après le nettoyage de l’enfant n’est pas dans nos habitudes » ; seule, l’odeur des selles peut les y contraindre : « Si tu ne te laves pas bien les mains, tu ne peux pas manger ; ça sent mauvais. » (Kanki et al., 1994)

L’utilisation du savon n’est pas systématique : « J’utilise le savon pour chasser les odeurs ; si c’est un très jeune enfant, on peut s’en passer ». L’utilisation du savon est soumis à des contraintes de moyen et de temps disponible :

« Le savon, c’est quand tu l’as et quand tu as le temps, Si tu n’as pas de savon, tu te laves les mains à l’eau, surtout si l’enfant est très jeune. » (Kanki et al., 1994 :364).

La contamination des mains au cours du nettoyage après la défécation serait l’une de voies principales de transmission des agents pathogènes de diarrhée. Le nettoyage de l’anus à l’eau après la défécation est une pratique courante à Bobo-Dioulasso (78,6 %) et cela n’a pratiquement jamais été suivi du lavage des mains au savon (Kanki et al., 1994 : 364).

Pourtant, 83 % des mères affirment prendre deux bains par jour avec du savon. Malgré, donc, cette disponibilité quotidienne du savon, son utilisation pour le lavage des mains après contact avec les selles est négligé par les mères :

« l’utilisation du savon pour se laver les mains n’est pas dans nos habitudes ; si tu n’as pas de savon, tu te laves les mains à l’eau simple, surtout si l’enfant est très jeune » (Kanki et al., 1994 :365).

Le discours de justification des mères révèle qu’elles ignorent aussi bien les propriétés du savon que la présence de pathogènes dans les selles de l’enfant diarrhéique. Au cours des 21 entretiens dirigés, aucune femme n’a mentionné le lien entre la diarrhée et la contamination fécale-orale!

Si l’on considère la diarrhée du type « diarrhée des blancs » qui peut être provoquée par la consommation d’aliments sales, le terme « sale » reste très imprécis, ce qui réduit les chances d’adoption de meilleures pratiques d’hygiène en relation avec la manipulation des selles. En fait, la logique cognitive agrégative et sédimentaire caractéristique d’un certain mode traditionnel37 de pensée, dont les effets sont bien connus dans d’autres domaines, joue ici à plein : les femmes ne font qu’ajouter cette nouvelle catégorie de diarrhée (« diarrhée des blancs ») à celles qui constituent leur taxinomie ancienne sans remettre en question les principes d’explication de ces dernières.

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traditionnel renvoie ici aux logiques cognitives caractéristiques des cultures analphabètes et orales (cf Pascal Boyer,)

Il semble bien que les messages d’éducation pour la santé ne réussissent guère à informer vraiment les mères sur la transmission des agents pathogènes de la diarrhée. En fait, il existe un fossé entre les messages d’éducation pour la santé donnés aux mères par les agents de santé et l’information que les mères reçoivent effectivement. (Kanki et al., 1994 : 365).

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 48-53)

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