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E.2.3 La maîtrise du processus d’urbanisation : immobilisme et impunité des rapports clientélistes

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 160-163)

conceptions, représentations et usages de la ville à Bobo-Dioulasso

IV. E.2.3 La maîtrise du processus d’urbanisation : immobilisme et impunité des rapports clientélistes

Les trois pouvoirs de régulation dont dispose la municipalité, sont l’autorisation réglementaire d’implantation qui va déterminer le choix de traitement des effluents, l’adoption de normes de qualité pour les ouvrages et le contrôle de leur respect par les professionnels, la maintenance des dispositifs par les prestataires de service, les services concernés et les usagers (tarification, recouvrement des coûts).

E.2.3.1 L’immobilisme : la délivrance du Permis Urbain d’Habiter

L’assainissement entretient des liens étroits avec l’habitat et la salubrité des constructions est une exigence sociale. L’obligation du permis de construire apparaît comme une nécessité. Au titre de la loi du 04/93/ADP du 12 mai 1993 portant organisation municipale, le maire a désormais compétence dans la délivrance des autorisations de construire. Les réglementations municipales constituent donc un outil majeur pour la mise en œuvre du PSAB par l’intégration des prescriptions techniques du PSAB dans les contraintes imposées aux constructions. La réglementation actuelle : kiti N° ANVII-O35 / FP / Equip / SEHU du 27/9/89 portant réglementation de la construction indique l’obligation de toilettes (latrines et douches) extérieures, situées dans la parcelle et accessible aux services de vidange et l’exigence que les eaux usées domestiques soient recueillies dans des puits perdus, obligatoirement situés à l’intérieur de la parcelle.

« L’institution du permis de construire correspond alors au sens juridique du terme, à un pouvoir de police dont les exigences varient selon la conception que l’on a à un moment donné des sécurités de la vie sociale, presque toujours l’hygiène, la salubrité, la

conservation de la voirie, de façon plus nuancée l’esthétique. Le permis de construire apparaît dès lors nettement comme lié aux besoins d’assainissement du cadre urbain à partir d’un certain stade de son développement. Dans ce sens, sa mise œuvre marquerait des pas décisifs dans l’assainissement de la cité. » (Ta Thu Thui, 1999 : 65).

Le positionnement des bâtiments sur la parcelle par l’urbaniste est, « normalement », la condition d’obtention du permis de construire par la mairie (décision administrative). Cette procédure aurait pu être le moment d’intégration des normes d’assainissement du cadre urbain141, promues par le PSAB, dans le processus de lotissement. Mais cette règle n’est ni appliquée ni sanctionnée!

« Lorsque quelqu’un s’adresse au service communal compétent pour l’octroi d’un permis de construire un bâtiment à usage d’habitation PUH (octroi qui devrait se faire sur la base des textes légaux qui le régissent) il est donné par complaisance, soit par népotisme, par favoritisme ou par mercantilisme ! Il est très courant de voir des gens construire sans que cette démarche préalable est été accomplie par négligence ou par ignorance. À cet égard, rien n’est fait dans le sens de l’information de la population ». Un membre d’association, fonctionnaire de l’administration à la retraite. (Millogo, 2002 : 102)

Ainsi, à Ouagadougou, les autorisations de construire effectivement délivrées représentent 3 % des constructions réalisées chaque année ! » (Ta Thu Thui, 1999 : 29).

IV.E.2.4 Une logique de l’impunité

« Nous, nous sommes locataires au 21 (le propriétaire de la cour est au Gabon, il a sa parente à Accart-ville), on est seul dans la cour. Il y a quelque chose qui sent mauvais, on ne peut plus respirer. On a vu quelque chose d’emballé dans le puisard, le trou n’est pas bien couvert, il y a juste une tôle. Nous sommes d’abord allés à la gendarmerie, mais ils nous ont renvoyé ici. Depuis dimanche, ça sent mauvais. Un vieux nous a dit qu’il a vu une fille tournée là-bas vers 4 heures du matin (il suspectait un infanticide). A la gendarmerie, ils nous ont mal accueillis, ils ne nous ont pas écouté. » Comme la gendarmerie les a renvoyés ici, ils vont aller voir les sapeurs-pompiers. Mais aucun agent du service ne fera le déplacement. Ils se contenteront de téléphoner aux sapeurs- pompiers pour se renseigner sur la cause exacte des nuisances olfactives. C’est ainsi qu’on expliquera que les sapeurs-pompiers ont découvert un porcelet en état de putréfaction dans la fosse. Cependant, une amende sera payée par le propriétaire de la cour pour ne pas avoir bien recouvert son puisard qui représente un danger : un enfant peut y tomber, à ciel ouvert cela entraîne des mauvaises odeurs et des moustiques. » Un agent du service d’hygiène (enquête 2001)

« Vous voyez, j’étais indigné par rapport à une sortie des gendarmes dans la circulation. Ils arrêtaient des gens pour des plaques d’immatriculation. J’étais avec un ami qui est capitaine à la gendarmerie. Je lui ai dit qu’ils étaient en train de faire un travail inutile. Il était étonné. Je lui ai dit qu’ils pouvaient faire rentrer de l’argent sans s’attaquer aux automobilistes pour des questions de plaques ou d’immatriculation. Avec les plaques, ce sont des individus qui en profitent, ceux qui les fabriquent. Mais il y a les feux de stop qui ne sont pas respectés, les gens les brûlent n’importe quand et à n’importe quel endroit. Les semi-remorques se garent n’importe comment en ville, il n’y a pas de contraventions, les commerçants stationnent n’importe comment, pas de contraventions. Ils peuvent gagner sept millions en une journée ! Les gens conduisent sans permis de conduire, ça passe sous silence, c’est des choses qu’il faut voir ! Et on veut développer une ville avec ça ! » Konaté, habitant secteur 17, Bobo-Dioulasso, le 22 août 2001.

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Qui stipule notamment l’obligation que les latrines, douches et puits perdus doivent être situés à l’intérieur de la parcelle (articles 4 et 9, kiti n° An VII- 035/FP/EQUIP/SEHU)

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

En fait, les autorités communales sont prisonnières de leurs multiples liens de dépendances clientélistes. Ainsi, quand la « mairie » de Bobo-Dioulasso demande que les industriels de la ville fassent un effort pour réduire la pollution du canal « Brakina », elle est confrontée au chantage des pollueurs :

Les plaintes officielles déposées par le service d’hygiène ou les services de santé n’aboutissent jamais car les industriels pratiquent un chantage permanent auprès des élus locaux : « Ils se plaignent d’être déficitaire, si on les contraint à verser de lourdes amendes ou à faire des investissements trop importants, ils menacent la mairie de licencier du personnel ou de fermer boutique : en général la mairie recule ! » (Y. cadre du Centre d’Éducation pour la Santé et l’Assainissement (CRESA), enquête 2001)

Les hommes politiques et les élus sont politiquement paralysés : ils sont prisonniers à la fois de leur propre pratique, car leur(s) propriété(s) est(sont) en situation irrégulière au plan des règles sanitaires, mais aussi de leur clientèle électorale qui réagirait immédiatement :

« Le problème des élus et des hommes politiques est le suivant : ils n’ont pas courage politique de prendre les décisions juridiques ou techniques suggérées par les techniciens compétents car, d’une part, eux-mêmes ont des installations sanitaires qui ne sont pas conformes aux normes réglementaires et d’autre part, ces mesures seront impopulaires et la clientèle électorale réagirait négativement. » (Y. cadre du Centre d’Éducation pour la Santé et l’Assainissement (CRESA), enquête 2001)

« Les municipalités sont contraintes par le manque de moyens et de compétences. Problème en soi plus facile à résoudre que le problème politique lui-même qui est la dysfonction structurelle entre les niveaux politiques et techniques de l’administration municipale. Ce problème, c’est le clientélisme électoral des élus qui empêche les responsables des services techniques municipaux d’engager des poursuites contre des opérateurs économiques ou des particuliers en situation délictueuse : il suffit d’un coup de téléphone et le Directeur Général demande que l’affaire en cours soit abandonnée ! Résultat : les responsables de services techniques : santé, hygiène, environnement urbain, environnement (DPPA) sont totalement découragés ! » Un responsable des services techniques municipaux (enquête 2001).

« Dès sa mise en place, la nouvelle municipalité a essayé de faire quelque chose : sensibiliser les populations et curer les caniveaux. Mais la sensibilisation ne donne rien, le vrai problème, c’est celui de la sanction. « Ce n’est pas facile de dresser un procès- verbal, car il y a des « interventions » qui étouffent dans l’œuf toute véléité d’agir. À la commune ce sont des politiques et les citadins pollueurs sont aussi leurs électeurs ! il ne peuvent rien faire ! En fait, on devrait laisser les citadins tranquilles avec ces histoires de sensibilisation et plutôt se retourner vers nos directeurs et responsables pour leur demander de nous laisser travailler. » Le secrétaire général de l’arrondissement de Dafra (enquête 2001).

Personne ne peut prendre une quelconque sanction contre un quelconque contrevenant ! L’entretien tourne autour de la défaillance du dispositif de régulation de contrôle de la conformité aux normes réglementaires et légales des pratiques des ménages, des administrations et des entreprises. Quelle que soit l’instance de contrôle considérée (hygiène, police, santé, etc.) elle est toujours subvertie et neutralisée par la mobilisation du réseau p.a.c.a. de la personne ou du responsable incriminé !

« En 1998-99, la mairie avait imposé une taxe de 350 FCFA/mois pour collecter les ordures auprès de la population. L’argent a été détourné par les collecteurs recrutés par la mairie ; mais elle n’a pas pris de sanction significative. » (Y. cadre du Centre d’Éducation pour la Santé et l’Assainissement (CRESA), enquête 2001)

Comme ces collecteurs de taxes, la plupart des agents communaux ont été recrutés sur la base du népotisme ou du clientélisme, en conséquence, les cas de fraude, de détournement, d’incompétence ou

de corruption ne peuvent pas être sanctionnés : il est inconcevable pour la plupart des gens qu’un parent ou un protégé puisse faire l’objet d’une sanction.

« Oui, au service de…, Je sais que beaucoup de gens ont pris de mauvaises habitudes ; c’est pourquoi, il faut changer tous ces gens-là, il faut mettre de nouvelles équipes en place avec des consignes bien précises pour que les gens fassent bien leur travail. Tous ceux qui ont pris de mauvais plis, on ne peut pas continuer avec eux (…) Les services ne font pas correctement leur travail. J’étais fonctionnaire avant, je ne vois pas comment les eaux et forêts peuvent laisser les gens faire ce qu’ils font. J’ai fait une correspondance la semaine dernière pour faire un jardin zoologique ! Il faut renforcer les services de contrôle au niveau de la ville. La sensibilisation, ça suffit ! Les gens savent bien. En tout cas, je serai heureux de voir les conclusions de votre étude. Pour le moment, on a des difficultés, les gens ont pris des mauvaises habitudes. » Célestin Koussoubé, maire de la commune de Bobo-Dioulasso (enquête 2001).

« Nous avons prévu une sortie dans Sikassocira. En février, nous avons fait la sensibilisation, maintenant si on va là-bas, c’est pour taxer, une opération de grande envergure ; ils vont payer les amendes. Ce sera entre 1000 et 50 000 F suivant l’ampleur des dégâts, mais habituellement on part de 4800 à 25 000 F. » Un agent du service d’hygiène (enquête 2001)

En effet, que valent les lois sur l’environnement ou les règlements d’hygiène s’ils ne sont pas sanctionnés ? La régulation urbaine est actuellement soumise à la « loi du plus riche » : les contrevenants riches et les « mogo puissants » ont réussi à imposer et généraliser leur système d’impunité :

« L’impunité ! Ça a atteint un tel degré ! Le pays ne fonctionne plus. La corruption est partout. Les magistrats ne travaillent plus, eux-mêmes sont corrompus. Je lisais l’autre jour dans un journal. Quelqu’un a importé un moulin à mil sans payer les taxes de douanes, la machine a été saisie, le magistrat a pris la machine, il l’a emmené dans son village. On l’a fait passer en conseil de discipline, vous vous rendez compte ! C’est un détournement de pièce à conviction, c’est un délit grave ! Mais on laisse passer. Il a eu une mutation et ça s’arrête là. L’autre jour, il y a un peul qui est venu me trouver ; il me dit que son fils de 19 ans a volé la vache du voisin ; j’ai remboursé la vache, mais mon fils est gardé à la police en garde-à-vue depuis 75 jours. Ils ont droit qu’à 3 jours ; c’est complètement déséquilibré ! On le laisse durer pour que la famille apporte quelque chose. Le pays est gâté, le pays est pourri. Pendant la révolution, il y avait des choses qui marchaient. Depuis qu’il n’y a plus la révolution, tout est tombé du coup, comme s’il n’y avait rien eu. On a oublié ce qu’on avait avec la révolution. » Entretien groupé avec M. Guigui (militaire à la retraite), M. Poda (infirmier à la retraite), M. Diallo (magistrait à la retraite), trois voisins du quartier Accart-Ville, le 23 août 2001.

IV.F.

L’enjeu politique pour la commune : se réapproprier

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 160-163)

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