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A L’espace privé de la « cour » d’habitation

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 60-62)

L’espace public se donne comme toujours accessible à tous, mais il est « soumis de l’extérieur aux règles de la séparation » de ce qui l’entoure, de ce qui est clôturé et protégé, privé et communautaire. Les espaces privés se découpent dans les concessions et s’enferment dans les cours et dans les immeubles « autour de propriétés stables et d’appropriations singulières individuelles et collectives » (Pellegrino et als, 1991). Si l’on veut comprendre le sens et la portée des pratiques sociales dans le « dehors » de l’espace public, il faut s’interroger sur la dialectique du rapport public / commun / privé. On peut considérer que ce que les citadins font « dehors », dans l’espace public, dépend étroitement de leur conception de ce que l’on peut ou ne peut pas faire « dedans », dans l’espace privé de la cour. L’impression dominante qu’on retire de l’ensemble des discours est que les citadins se font une idée très étroite de leur cadre de vie. Le seul lieu qui leur importe vraiment, c’est la cour d’habitation construite sur la parcelle possédée.

« Moi, je me contrôle moi-même, je ne peux pas contrôler mes voisins par ce que « ce n’est pas un travail pour lequel on m’a choisi pour son exécution. Si la cour de mon voisin n’est pas propre, je ne peux pas aller commander chez lui ? et dehors non plus, je ne peux pas contrôler cela, personne ne m’a demandé de faire ce travail. Si tu demandes à un vieux ce que tu veux, il te le montre, mais si tu veux le contraindre, il n’acceptera pas cela. Si la rue est sale, ça regarde le maire, ça ne me regarde pas. Bien sûr, si le maire arrange la route, si nous voyons ça, nous arrangeons aussi notre cour ; c’est comme ça ! ». Amadé, éleveur, cour de 15 personnes, Niénéta (secteur 12) Arrt. De Dô, Bobo-Dioulasso

Peut-être est-ce une réponse à la montée des incertitudes, mais on observe depuis quelques années, que se développe un formidable mouvement de spéculation foncière autour des parcelles d’habitation dans les secteurs nouvellement lotis. La cour qui abrite la maison, justement parce qu’elle est un refuge, parce qu’elle soustrait les hommes aux agressions du monde extérieur, n’est jamais un bien économique quelconque. Sa possession légale garantit non seulement la jouissance d’un refuge, mais aussi la possibilité de dominer autrui (à travers, par exemple, les contrats de location) et celle d’augmenter son capital. Inversement, elle permet aussi de se soustraire au risque d’être dominé par un propriétaire…D’où le sentiment fréquent que l’appropriation de l’espace de vie n’est possible que lorsqu’on en est le propriétaire légal41.

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Korosec-Serfaty (1991 : 57) ceci est à mettre en rapport avec la faible implication dans l’assainissement de la cour d’un certain nombre d’acteurs : locataires ou épouses en situation matrimoniale plus ou moins précaire qui ne s’approprient pas le lieu parce qu’elles sont « chez leur mari ».

III.A.1

La « cour » lu

Dans l’espace de la cour, l’autorité et la souveraineté du chef de cour sont considérées comme totales42. Les gens se sentent peu concernés par les problèmes extérieurs à la cour43 et ils n’engagent guère leur responsabilité. La cour est une propriété privée, mais son espace est commun à toute la famille : ce n’est pas un espace privé individuel. L’organisation spatiale d’une cour permet d’avoir une perception immédiate des promiscuités, tandis que l’observation des activités qui s’y déroulent permet de comprendre la signification attachée aux espaces réservés qui la composent.

« De l’observation générale, dans la majorité des concessions, on constate un niveau moyen de salubrité. La cour est balayée le matin et quelques fois le soir, mais toujours à l’approche d’événements sociaux comme le mariage, le baptême, les fêtes religieuses, le décès.

La cuisine est souvent un simple espace dans un coin de la cour. Elle est seulement constituée du foyer composé de 3 à 4 pierres ou d'un foyer amélioré. Quand un local existe à cet effet, il est rarement occupé à cause de son exiguïté par rapport au nombre de ménages. Les ustensiles sont posés à même le sol et ils sont sales. La vaisselle se fait au niveau même de la cuisine quelques fois avec du savon ouavec des fibres.

Dans les concessions, il existe un coin aménagé pour la douche et les latrines qui sont pour la plupart traditionnelles. Les deux sont quelques fois dans le même endroit ou dans des locaux juxtaposés. Le sol est souvent cimenté ou couvert de gravier.

Les eaux usées s'écoulent toujours par un trou creusé à la base du mur d'enceinte de la concession et aboutit à un bourbier à l'extérieur de la concession dans lequel pataugent les animaux et les enfants. Dans certains cas, un puisard existe. Il est recouvert d'une dalle, ou d'une tôle quand il n'est pas totalement à ciel ouvert. » (Millogo, 2002 : 45)

A Bobo-Dioulasso, la « cour », lu, la plus commune est celle qui caractérise les ménages à revenu modeste. Elle est caractérisée par la multifonctionalité de l’espace commun qui sert pour toutes les tâches et toutes les formes de sociabilité, aussi bien quotidiennes, qu’exceptionnelles comme les cérémonies associées aux grandes étapes de l’existence : baptème, mariage, funérailles. Cette plurifonctionnalité de l’espace commun de la cour existe aussi dans des demeures plus riches. Elle dépend moins de l’absence de moyens financiers que du type de sociabilité publique valorisé par le maître de maison : le « chef de la cour ».

Dans cette cour se trouvent plusieurs chambres (simples ou doubles, chacune est « la chambre de quelqu’un » : le mari, chacune des épouses avec ses filles et enfants en bas-âge, les enfants adolescents) qui constituent le seul espace véritablement privé. Les chambres sont strictement utilisées pour dormir la nuit ou le jour pendant la sieste. Il s’y trouve aussi une cuisine extérieure dans laquelle officie l’épouse qui est de tour de cuisine avec sa petite bonne.

Enfin, on y trouve une latrine qui est souvent placée à l'entrée de la concession, de manière à ce qu'elle soit juxtaposée au mur de la clôture pour faciliter l'écoulement des eaux et la vidange.

« On creuse un trou derrière la maison qu’on referme. Quand c’est plein, la nuit, on vide la fosse dont on déverse le contenu sur la voie, dans le passage. La puanteur est

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L’obligation et la responsabilité s’expriment par rapport au collectif des dépendants à l’égard desquels s’exerce l’autorité de tutelle du chef de cour. L’étendue des obligations est relative au groupe protégé et dirigé, ce qui réduit la responsabilité aux limites du collectif et l’associe aux obligations réciproques d’obéissance, de respect, de travail aussi, que les protégés ont à l’endroit du responsable.

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L’organisation collective des activités d’intérêt commun comme le nettoyage des voies et le curage des caniveaux est toujours évoqué comme le souvenir d’un âge d’or de l’ordre politique aujourd’hui révolu : les classes d’âge, la voirie et l’hygiène à l’époque coloniale, mais aussi la période révolutionnaire avec ses opérations mana-mana.

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

immonde, mais personne ne se plaint, car chacun est appelé un jour ou l’autre, à faire de même. » M. Davou, M. Kibora et M.Traoré, agents de la DPPA (enquête 2001).

Il existe aussi une douchière, parfois aussi un enclos à petit bétail, un poulailler, des jarres à eau, des manguiers et parfois un jardinet.

Chez les Mossis, l’espace habité par une famille est le yiri, il se compose de la « cour » zaka un espace entouré de murs ou de sékos de paille qui abrite les bâtiments d’habitation, au-delà de la cour c’est le samande ou « cour extérieure » occupée par un hangar de repos et un arbre pour l’ombrage. Mais c’est là aussi qu’on écosse le mil et qu’on lave les marmites noires. Enfin le yiri s’achève par les « champs de case » kamanse où se trouve le dépotoir familial tampuure. « La limite du lieu de vie, autrefois assurée par le champ de case, fortement réduit par l’urbanisation, est alors assurée par le tampuure : « à partir du tampuure c’est chez moi ! » (Déverin-Kouanda Yveline, 1993).

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 60-62)

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