• Aucun résultat trouvé

A.3.2 C’est la puanteur qui fait honte!

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 126-129)

conceptions, représentations et usages de la ville à Bobo-Dioulasso

IV. A.3.2 C’est la puanteur qui fait honte!

À Ouagadougou comme à Bobo-Dioulasso, le problème que posent les latrines aux gens est avant tout un problème de puanteur et non de pollution !

40 % des personnes interrogées à Ouagadougou (n = 563) considèrent que la puanteur des latrines est le problème majeur de l’assainissement domestique et 60 % des gens ont choisi le système ONEA à cause de la puanteur des odeurs. (Bösch et al., 1999 : 20).

Les latrines traditionnelles dégagent des odeurs désagréables, et la puanteur « appelle les mouches » qui les envahissent. La puanteur est le signe du miasme, c’est elle qui « fatigue » le voisinage, elle peut causer des nausées, des vomissements ou la perte d'appétit :

« Pendant les premiers mois de ma grossesse, je ne supportais pas du tout les odeurs ni la vue des eaux usées de nos toilettes dans lesquelles les porcs des voisins venaient patauger. Je suis dans une cour commune où il y a plus de trente personnes. La fenêtre de ma chambre donne sur l'extérieur, sur ce spectacle. Pour m’aider sans frustrer ses parents, mon mari a prétexté de mon état de santé pour m'envoyer chez ma mère pendant quelque temps ». Une jeune femme enceinte au secteur 3 à Bobo-Dioulasso (Millogo, 2002 : 109)

Ce problème d’assainissement aurait pu dégénérer en conflit familial, qui lui-même aurait pu déboucher sur un divorce, si l’époux ne l’avait pas bien géré.

Être mis en rapport avec les excrétions d’autrui (c’est-à-dire être pollué), que ce soit directement (par le contact sexuel) ou indirectement (regard, odeurs), revient à mettre en péril son identité et peut-être celle du groupe auquel on appartient. C’est en effet, à travers le regard de l’Autre qui est témoin du contact que l’on se sent souillé. Le grand marqueur de la souillure est ici « l’odeur ». La pestilence agresse les sens et les valeurs des gens qui sont rebutés par le caractère repoussant de cette saleté.

IV.A.3.3 Avoir honte d’aller à la benne à ordure

Il semble bien que, dans un espace culturel partagé, ce qu’on redoute le plus, c’est le « regard de travers » des voisins qui donne la honte et qui porte atteinte à la réputation d’honneur de la famille. Ce qui est honteux à Bobo-Dioulasso, comme à Ouagadougou ou à Rabat (Jolé, 1991 : 38), ce n’est pas l’existence d’une décharge sauvage à proximité de la cour ou autour du bac à ordure municipal, c’est de se laisser surprendre le seau d’ordure à la main sur le chemin qui y mène ! En effet, à cause de la honte qu’éprouverait tout adulte, homme ou femme, qui serait vu par le voisinage porter lui-même ses ordures à la benne, on envoie les enfants le faire bien que leur taille soit trop petite pour qu’ils puissent arriver à les jeter par-dessus bord, et donc ils les jettent à côté !

Cliché 21. Un « bac » vide sur un tas d’ordure où joue un enfant à Bobo-Dioulasso (cliché Ouattara, 2001)

Pour l’adulte, la honte vient du fait que dans la répartition culturelle des tâches domestiques est considérée comme vile et toujours confiée aux « bonnes » ou aux enfants, aux enfants ou aux plus jeunes de la cour.

« Quant aux ordures, elles sont rassemblées non loin de la cuisine et les enfants sont chargés de les déposer une fois par semaine sur le tas d’ordure situé à une centaine de mètres de la cour. Ce serait dégradant pour un adulte d’aller jeter des ordures. Quand un adulte le fait, c’est signe de solitude. Une mère explique qu’à chaque fois qu’elle sort avec des ordures, il y a toujours un enfant de la rue qui la décharge. Par contre, le fait de jeter les eaux sales de lessive et de vaisselle devant la concession n’est pas une activité déshonorante pour une ménagère. » Téné, Niénéta (secteur 12) Bobo-Dioulasso.

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

Même pour une femme sans enfant, accomplir cette tâche serait dégradant, elle serait jugée par les témoins éventuels comme « une personne sans enfant », c’est-à-dire une pauvre femme qui n’aurait même pas un frère ou une sœur capable de lui confier un enfant à élever pour parer à sa solitude ou à sa stérilité. Une femme sans famille qui la considère, une femme pauvre ! Évidemment, la benne à ordure choisie par la commune comme solution technique au problème de la collecte des ordures est donc inadéquate et inadaptée113 aux pratiques et à l’éthique locales.

« La question des ordures ; comment voulez-vous que nos femmes portent les ordures pour aller les jeter jusqu’à 600 mètres ? Et puis, c’est un lieu sacré des Bobo, là où il ont mis le bac. C’est loin. C’est pourquoi, les gens font des tas devant chez eux, nous jetons dans les caniveaux. Les gens attendent la nuit pour jeter à côté. Les bacs sont souvent pleins, ça reste 10 à 15 jours avant d’être enlevé. » M. Guigui (militaire à la retraite), M. Poda (infirmier à la retraite), M. Diallo (magistrait à la retraite), trois voisins du quartier Accart-Ville, le 23 août 2001.

Mais ce qui est intéressant, c’est que les habitants interprètent cette inadéquation (qui dure depuis près de cinq ans) comme une marque de mépris « du pouvoir » communal à leur égard. La réplique populaire à ce mépris consiste à laisser les enfants déverser les ordures à côté de la benne!

« Les bacs à ordures sont remplis, ils peuvent faire deux à trois mois sans que la mairie ne vienne les chercher. Donc on jette à côté pour montrer qu’on n’est pas content. » Un instituteur, client du garage, Accart-Ville, Bobo-Dioulasso (enquête 2001)

Cliché 22. Douchière se déversant dans la rue (cliché Bouju, 1998)

L’enquête a mis en évidence le fait que les gens étaient très attentifs à ne montrer de leurs propres ordures que ce qui est « montrable » car « La présence des ordures stigmatise l’espace, et ceux qui l’occupent » (Jolé, 1991 : 36). C’est donc, là encore, moins une logique d’hygiène (la crainte de la pollution ou de la contamination) qu’une logique sociale (la réputation d’honneur) ou morale (la honte) qui commande les motivations et les stratégies d’acteurs.

113

Ces défaillances posent le problème de l’adéquation des infrastructures d’assainissement. Ainsi, en Europe, historiquement, le confort urbain s’est appuyé sur des solutions techniques conçue comme fondement matériel du contrat social qui privilégiait l’égalité des citoyens-citadins. Qu’en sera-t-il des solutions prônées au Burkina ? Car ce bien public qu’est la propreté urbaine coûte cher ; « En cherchant à faire des économies en amont, on rencontre les limites du contrat sociale en vigueur. » (Querrien, 1991 : 3)

IV.B.

Les « offenses territoriales » : la saleté comme

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 126-129)

Outline

Documents relatifs