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E.1.2 Les limites sociales de la clôture de l’espace

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 108-110)

conceptions, représentations et usages de la ville à Bobo-Dioulasso

III. E.1.2 Les limites sociales de la clôture de l’espace

L’admission de patients au sein de l’hôpital a pour préalable la définition médicale d’un mal qui est par ce fait soustrait à la spéculation ordinaire sur la maladie et sont traitement. La prise en charge médicale du patient permet alors une disposition souveraine et exclusive sur le malade. L’hospitalisation consacre sur le plan matériel cette exclusivité sur le patient qu’elle parachève par la réclamation d’un contrôle des contacts du patient avec le monde du dehors. L’un des moyens de limitation des relations externes est, faute d’interdiction totale, la réduction du nombre des accompagnants des patients au strict minimum:

« Il faut interdire aux gens de rentrer, un malade, un seul accompagnant (...)Non, l’hôpital, on ne doit pas entrer au hasard; dès que le malade est à l’hôpital, c’est que le malade est dans les mains des techniciens » Pharmacien, chef de service de la Banque de sang

L’interdiction d’accès « au hasard » à l’hôpital est de fait mise en oeuvre par la présence de vigiles à la porte d’entrée, contrôlant les entrées et les sorties dans l’institution. La soumission du flux dans le milieu hospitalier est sans nul doute la manifestation de la mise à distance d’éléments intrusifs dans un espace réglé suivant des normes spécifiques, qui concerne de même les attributs du dehors que représente la « tenue de ville », remplacée par la « blouse » et le « gang », dispositif vestimentaire spécial, signe d’appartenance à l’espace et de distinction d’avec « l’étranger »:

« La blouse, je la considère comme un drapeau (...) c’est un signe symbolique, pour faire la différence entre les clients et les agents(...) si tu vois une blouse blanche, tu sais que c’est un soignant (...) » Infirmier d’État, major adjoint aux urgences pédiatriques

« Dans la salle d’immuno, on ne rentre pas avec la tenue de ville (...) le port de la blouse est obligatoire(...) le port du gang est obligatoire » Pharmacien, chef du service de la Banque de sang.

Expression ostentatoire de la différence, la blouse sépare le personnel médical de ces individus de l’extérieur, circonstanciellement et provisoirement admis au sein de l’espace médical, et distingue ceux qui ont le monopole du savoir et de l’intervention légitimes; et même pour ceux-ci, l’accès à l’espace médical est subordonné à la suppression de toutes les traces de l’extérieur, annulations successives des liens externes qui évoluent selon la gradation des sous espaces du sanctuaire. C’est dans un rapport d’opposition au dehors, présenté comme un danger que s’inscrit la pratique médical qui doit s’exercer dans un champ « aseptisé ».

La réalisation optimale d’une rupture avec l’extérieur doit cependant compter avec la pression exercée du dehors pour définir les limites d’une clôture socialement acceptable de l’espace médical. L’ordre médical se confronte à des modalités de gestion concurrentes de la maladie et du patient et qui ont leurs critères d’évaluation des conditions optimales de l’assistance hospitalière:

« (...) Ici en Afrique, c’est la solidarité il y a le voisinage, s’il y a un malade, il y a cinquante accompagnants..., tout le quartier veut venir dormir à l’hôpital; si vous faites un prélèvement, il y a cinquante personnes dans la salle, ce n’est pas la même chose si vous êtes quatre! S’il y a quatre personnes l’entretien (des locaux) est plus facile! » Pharmacien, chef du service de la Banque de Sang

À ce regret de la méconnaissance des principes d’hygiène par les profanateurs du sanctuaire exprimé par le « technicien de la maladie », répond presque de façon systématique cette énonciation de la connaissance ordinaire des vertus de la proximité sociale:

« (...) Souvent il y a des gens qui sont timides et ils ont du mal à exprimer leur mal, peut- être que le parent peut aider la personne à exprimer son mal, je me dis; et c’est pourquoi le parent est nécessaire souvent(...); le parent est plus proche du malade et le malade se sent avec lui. » Visiteuse élève, 20 ans

L’exigence de l’exclusivité de la prise en charge du malade comme une des conditions de l’hygiène à l’hôpital se heurte à l’activation des réseaux sociaux qui reposent sur les principes de la compassion et de la participation aux épreuves des membres. Ancrés dans des repères qui ignorent ou refusent les justifications techniques de la prétention médicale à prendre entière possession de « leurs malades », ces réseaux entrent alors en concurrence avec les différents mécanismes qui les tiennent à l’écart du patient, par exemple, l’alimentation !

« (...) ils (accompagnants et visiteurs) viennent porter des plats et des fois on rencontre une multitude de plats autour du malade et vous savez c’est des sources d’infection; on leur répète ça chaque fois mais c’est pas évident qu’ils comprennent;(...) une fois on était surpris de retrouver dans une chambre, au moins cinq plats et deux pintades qu’un accompagnant a apporté à son malade » Médecin au Service des Urgences Pédiatriques

L’épreuve sociale que constitue la maladie est aussi une des occasions où les individus et les groupes manifestent ou font apprécier les solidités de leurs liens par divers témoignage où la nourriture occupe de fait une place importante. Symbole de partage de la vie domestique, le port de la nourriture apparaît ici comme une obligation morale, cristallisant un haut niveau d’affectivité, à laquelle on ne saurait se soustraire sans entamer le tissu des relations sociales.

Concurremment ou en appui à la prise en charge médicale, ces réseaux selon les cultures dont ils sont porteurs investissent l’espace et redéfinissent les seuils de l’hygiène compatibles avec l’impératif de la manifestation sociale du sentiment de solidarité. Aussi, le milieu hospitalier a-il besoin d’un contrôle permanent pour établir l’ordre médical de l’hygiène et de la salubrité.

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

III.E.2

Les conditions techniques et sociales de la surveillance

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 108-110)

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