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B.1.2 Dans ce cas, la propreté c’est ranger et arranger pour faire sortir la saleté

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 36-39)

À Bobo-Dioulasso, la notion de propreté s’exprime en Dioula17 par le terme saniya qui connote plusieurs significations. Saniya signifie aussi bien l’état de « propreté » de quelqu’un ou quelque- chose, que l’action de rendre propre18, le nettoyage, qui consiste à séparer et écarter la « saleté » nogo en langue Dioula19 désigne aussi bien le déchet, l’ordure et la crasse que la poussière ou la souillure.

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Le mot vient de « déchié » qui est une forme populaire (en bas-latin) du participe passé du verbe déchoir datant du XIIème siècle selon Gouhier (1984: 81) ou du XIIIème siècle selon Bertolini (1999: 37).

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kini en langue bobo madarè.

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Le travail de propreté consiste alors à éliminer, en un lieu donné, les résidus de toutes les autres activités. Il implique des dispositifs et des infrastructures pour canaliser les eaux usées, des lieux pour concentrer les déchets puis les évacuer (recoins-poubelles, tas d’ordure, caniveaux, bassins de lagunage) et des personnes chargées de les éliminer (éboueurs, vidangeurs, balayeurs, etc.).

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« La propreté c’est s’arranger, se démarquer de la saleté. » Zarata, vendeuse de riz, fille du propriétaire de la cour au secteur 2 (Farakan) Bobo-Dioulasso (enquête 2002)

« Que le foyer de la cuisine soit propre, que l’aliment préparé soit propre et que les aliments soient couverts, et elle-même qui prépare là soit propre, même si tu as une bonne, elle doit être propre. » Mme Z.Z, secteur 2 (Farakan, Bobo-Dioulasso, enquête 2001).

« Une cour propre, c’est quand les choses sont à leur place, en ordre. Il faut que la cour soit balayée. La propreté de la cour, c’est la femme. Une femme sale ne fait que de la mauvaise cuisine. » Une vieille femme Bobo Zara à Nieneta (secteur 12)

« Regarde cette natte, elle est propre, mais de la poussière peut se poser dessus, la poussière est sale, tu sais que si je frotte comme ça et que je te montre ce qui sort, ce n’est pas une partie de la natte mais bien de la saleté. Tu vois, c’est ça la saleté.

Si tu te lèves avec un habit pour aller travailler, les traces que tu vois là-dessus, toi-même tu vois que ce n’est pas l’aspect de l’habit, si tu le laves, ça sort et l’habit retrouve son aspect. Ce qui sort, c’est ça la saleté. » Dougouri, secteur 12 Bobo-Dioulasso, chauffeur, enquête 2001.

« Moi, je dis que la propreté, c’est quelqu’un qui fait un effort pour tout arranger, si tout s’arrange, la saleté suit là-bas pour sortir. Toi aussi tu peux avoir ton dépotoir pour jeter tes ordures, afin de les ramasser et les écarter. » O., depuis 33 ans au secteur 12 (Niénéta) Bobo-Dioulasso, peintre à la retraite, propriétaire d’une cour de 21 personnes, enquête 2001.

« Nous avons construit la latrine collée au mur de la cour et on lave l’intérieur à tout moment. On balaie l’intérieur de la cour jusqu’au dehors. On a un endroit spécial où on lave les marmites et un autre pour casser le bois, dans un autre coin, on enduit le cul des marmites avec de la terre argileuse. C’est l’argile qu’on a extrait en creusant les WC qu’on utilise pour enduire les marmites. » Ali : 25 ans vendeur d’eau à la barrique (fils du propriétaire d’une cour comprenant 20 personnes. Ils boivent l’eau du puits) (enquête 2002)

Si la saleté est « c’est ce qui n’est pas là où ça devrait être », alors décrire les pratiques de propreté20, c’est « décrire des pratiques qui consistent d’abord à déplacer des objets ou des matières d’un endroit où elles sont indésirables à un autre plus convenable. » (Knaebel, 1991: 22) :

« Il y a des voisins, nous les voyons nettoyer, pas seulement les femmes, même les hommes. Le vieux de la cour nous savons qu’il est propre parce qu’il commence à balayer sa cour jusque dehors, autour de la porte de sa cour : à aucun moment tu ne verras de la saleté devant sa cour ; nous savons qu’il n’aime pas la saleté, ça c’est une personne propre ! Ils lavent leur douche et leur WC chaque jour, si tu utilises leurs latrines, tu es tout content. Ce sont des gens propres et nous en profitons. » Dougouri, secteur 12 Bobo-Dioulasso, chauffeur, enquête 2001.

« On reconnaît la saleté au fait que quelqu’un n’a pas balayé l’endroit où tu es ; que quelqu’un ne se lave pas les mains avant de manger ; que le plat ne soit pas bien lavé avant de mettre la nourriture ; que l’eau à boire ne soit pas bien protégée. » O., depuis 33 ans au secteur 12 (Niénéta) Bobo-Dioulasso, peintre à la retraite, propriétaire d’une cour de 21 personnes (enquête 2001).

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Les pratiques de propreté ne visent que les surfaces — ainsi, l’ordure encombre, la crasse tache, la poussière moutonne, la souillure tache — elles ne visent pas les matières (comme l’eau). Pour les matières, on parle de purification (G. Knaebel, 1991: 24).

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

Laver, ko et se laver, « balayer » flan, nettoyer ses marmites, etc., sont des pratiques qui visent à séparer le propre du sale puis à éliminer le sale qui dérange. De ce point de vue, la saleté est perçue comme une prolifération dangereuse (poussière) ou une excrétion (décomposition et sécrétions) qui dégrade21 l’aspect d’une personne, d’un espace ou d’une chose et menace de la détruire.

« Les fétiches sont plus puissants lorsque chaque matin, on urine là-dessus. De même, à certaines périodes, il y a des fétiches qui exigent que l’homme n’ait pas de contact avec tout ce qui vient de l’appareil génital de la femme. Ceci concerne tout ce qui est urine, règles, sécrétions vaginales, etc…En termes clairs, les rapports sexuels ne sont pas permis pendant cette période. Une femme en règles qui le cacherait à son mari et lui préparerait à manger peut devenir folle ou même trouver la mort à cause de la colère des fétiches. » Y.O., féticheur et tradipraticien, originaire du Gulmu. (Millogo, 2002 : 79) Le travail de propreté consiste donc bien à ranger et à « arranger », c’est-à-dire re-mettre en ordre soi- même, ses choses et son environnement. Dans ce cas, la propreté est associée à la qualité de la vie, au respect de soi et au bien-être en commun22. Surtout, et cela est très important pour notre propos, ranger et arranger son espace de vie témoigne d’une volonté de reproduire à l’identique le rapport social que l’on entretient avec ceux qui partagent cet espace.

II.B.2 La saleté-souillure : c’est « voir » les excrétions corporelles,

« sentir » la pestilence de leur décomposition et risquer d’en

être souillé

Le second ordre de représentation renvoie à la notion de « souillure » ou « d’impureté ». Cette sorte de saleté est très péjorative, elle suscite le dégoût, elle est associée à l’excrétion et à la pestilence. Cette représentation (qui tend à se cristalliser aujourd’hui sur la « pollution » avatar moderne de la « souillure ») renvoie à la conception d’une saleté-souillure dangereuse. Cette conception met en jeu des croyances et des mécanismes psychologiques profonds23 qui structurent le rapport individuel aux excrétions et aux sécrétions corporelles qui proviennent « de l’intérieur de l’être » : le crachat, la sueur, le pus, les menstrues, le sperme, l’urine, les excréments.

« L’unique saleté de l’homme, c’est l’eau de son corps. L’eau (les liquides) qui sort de son corps. La saleté de la femme, ce sont ses règles. Car si tu as des rapports avec une femme en règles, ça « attache » la chance. » Ali : 25 ans vendeur d’eau à la barrique (fils du propriétaire d’une cour comprenant 20 personnes. Ils boivent l’eau du puits) (enquête 2002)

Il y a plusieurs sortes de saletés ; il y a des gens, même quand ils soulèvent seulement leur bras, tu as envie de te lever et de partir en courant (rires), son odeur (rires)…C’est comme ça seulement ! La saleté c’est quand tu rentres dans une latrine, tu vas t’essuyer et en même temps essuyer ton nez (rires).» O. depuis 33 ans au secteur 12 (Niénéta) Bobo-Dioulasso, peintre à la retraite, propriétaire d’une cour de 21 personnes (enquête 2001).

« Si tu manges gras et que tu ne te laves pas bien la bouche avant de dormir, les geckos peuvent te lécher la bouche pendant que tu dors : c’est une saleté. Tu peux boire du lait et un caméléon dans l’arbre descendra sa langue dans le lait et toi tu mangeras sans savoir que lui aussi boit ton lait. Si on couvre les jarres d’eau c’est pour que rien ne tombe dedans. »

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La propreté est un état « qui ne suscite pas de réprobation, malaise, dégoût » (G. Knaebel, 1991: 24).

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Notion qui renvoie à une constellation de capitaux symboliques très valorisés comme la beauté, la richesse, la sécurité, l’hygiène, la santé, l’espace,…

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«Les latrines que nous utilisons, certains y pissent sans verser de l’eau dessus, l’urine reste, se dépose et rougit, les feuilles tombent dessus, si tu rentres…c’est aussi une saleté » Téné, infirmière à la retraite, 56 ans, 23 ans de résidence dans le secteur 12 (Niénéta) Bobo-Dioulasso , 12 personnes dans la cour

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 36-39)

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