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C.3 Une certaine conception du droit : Code civil versus Code d’honneur ?

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 101-104)

conceptions, représentations et usages de la ville à Bobo-Dioulasso

III. C.3 Une certaine conception du droit : Code civil versus Code d’honneur ?

Dans les milieux populaires, les conduites et les interactions sociale sont régulées, de manière dominante, par des normes partagées du savoir-vivre et de la bienséance, fondées sur un code de

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Ainsi, la manière dont on utilise le véhicule d’un parent ou du service montre bien qu’un droit de propriété n’est vraiment reconnu que si son titulaire est en mesure de le défendre !

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

l’honneur et de la honte96. Certes, le code de l’honneur évolue et varie d’une période et d’un endroit à l’autre, d’une classe sociale à l’autre, d’une communauté à une autre ou en fonction du rang et du statut de la personne. Mais, malgré cette diversité, le répertoire normatif général est très largement connu et reconnu, sinon partagé, dans toutes les sociétés patrimoniales d’Afrique de l’Ouest et d’ailleurs (Cf Ouattara, 1999).

Contrepoids à la force brute, ce code de l’honneur et de la bienséance a joué et joue encore un rôle considérable dans l’exercice du pouvoir local. L’honnête homme connaît les privilèges et les obligations attachées à sa position sociale et il obéit aux règles de bienséance fondées sur la pudeur et la discrétion dans ses rapports à autrui.

La transgression connue (visible) est infamante et appelle une sanction collective d’évitement ou de sarcasme qui donne la honte, discrédite, atteint la réputation d’honneur, isole et finalement, affaiblit par déperdition d’énergie.

Selon le rang de noblesse, d’aînesse ou de séniorité, le statut et aujourd’hui la richesse de la personne, le répertoire normatif distingue traditionnellement des qualités honorables très différentes (Stewart Franck Henderson, 1994) qui sont attendues dans les conduites des personnes occupant (ou revendiquant) ces positions sociales. Ainsi, le « noble-guerrier » doit montrer son courage97, son arrogance et se faire craindre, le « noble-régnant » faire preuve de générosité98 et de discrétion ; le « religieux » doit montrer sa piété et sa sagesse ; le « puissant-patron-riche » faire ostentation de sa générosité, de sa force et de son entregent ; tandis que le « subordonné-client-pauvre » doit faire preuve de respect, de soumission et montrer sa honte, etc.

Contrairement à l’idée que s’en fait le sens commun, l’honneur n’est pas un sentiment. C’est l’expression d’un « droit à la reconnaissance » de soi dans une société où la protection d’une richesse possédée (domaine, terre, hommes, femmes, bétail, argent, etc.) n’est pas assurée par le système juridico-policier de l’État, mais par l’aptitude du propriétaire à défendre son honneur99.

Le pouvoir, le renom et le prestige tiennent à la réputation d’honneur, qui doit être maintenue en permanence et par tous les moyens. Et dans l’univers hautement concurrentiel qui prévaut, aujourd’hui en milieu urbain, où les statuts sociaux sont brouillés, chacun tente d’arborer les signes d’honorabilité du puissant-riche et/ou du noble. Chacun doit montrer que « personne ne le moyen » et qu’il peut faire face à n’importe qui.

« D’autres vertus existent : tolérance, révérence, modération, discrétion, modestie, sagacité, contrôle de soi-même, sont considérés comme des vertus musulmanes, et les personnes âgées sont estimées à partir de tels standards. Quoi qu’il en soit, dans la violence d’une confrontation, la tolérance est souvent prise pour de la complaisance, la révérence pour de la soumission, la modération pour l’acceptation de culpabilité, le contrôle de soi pour de la lâcheté. En conséquence, le risque de perdre la face en adoptant ces vertus est immanent. Inversement, une personne qui affirme son audace avec zèle est souvent décrite comme hautaine, vaniteuse et présomptueuse par ses adversaires. De plus, être capable de se défendre par soi-même est une « vertu » qui est

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« L’honneur et la honte sont la préoccupation constante des individus dans les sociétés exclusives de petite taille, où les relations personnelles, de face à face, opposées à anonymes, sont d’une importance cruciale et où la personnalité sociale de l’acteur est aussi signifiante que sa fonction. » (Peristiany (1966 :11) cité par Lund, 1999 : 576). Les sociétés éloignées du contrôle et de la protection de l’état ont développé un « code social », un répertoire normatif, qui peut assurer simultanément l’intégrité de l’individu et de la famille vis-à-vis du reste de la communauté et une certaine solidarité dans la communauté contre le reste du monde (Lund, 1999 : 576 ; voir aussi Gluckman, 1955).

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« la première qualité est le courage : « si vous laissez l’adversaire vous insulter en ne répondant pas quand il vole votre terre ou votre bétail, personne ne vous craindra ni ne vous respectera et la prochaine fois, on vous prendra tout. » (…) Il arrive que des gens cherchent des adversaires à fin de prouver leur courage. » (Lund, 1999 : 585).

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« la générosité (offrir des cadeaux, aider ses amis, dilapider : il faut dépenser comme si l’argent ne comptait pas) amène également de l’honneur » (Lund, 1999 : 585)

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Les citoyens n’attendent pas de l’État qu’il les protège, mais comptent sur leur honneur pour contrer leurs adversaires (Lund, 1999 : 594). L’incapacité de l’État à faire respecter une loi ou un règlement, laisse ainsi le champ libre à la régulation des conduites sociales par le code de l’honneur et de la honte.

quelque peu compromise par l’importance attachée à la capacité de mobiliser du support. Toute confrontation est donc ainsi ouverte à des interprétations contradictoires. Celui qui se dresse seul devant son agresseur peut être considéré comme brave mais aussi comme solitaire et sans ami et donc pathétique. S’il a le soutien de personnes influentes, il peut soit être perçu comme faible pour avoir eu recours à leur protection, soit comme admirable pour avoir été capable de mobiliser leur soutien. L’honneur est donc quelque chose d’accompli, une évaluation de la conduite où le succès compte autant, si ce n’est plus, que la morale. Dans ce sens, l’honneur valide les réalités du pouvoir et sanctifie l’ordre social. » (Lund Christian, 1999).

En tant que droit, l’honneur peut être conféré ou acquis, attaqué, défendu ou perdu100. Car l’honorabilité s’acquiert aussi par le défi, en agressant les droits d’autrui101 :

« La personne qui ne mettrait jamais en danger la propriété ou l’honneur de son semblable ne peut pas être considérée comme ayant de l’honneur par elle-même » (Peristiany J. G., 1966).

Il s’ensuit que manquer de respect à quelqu’un — ce qui équivaut à mépriser son droit à la reconnaissance sociale — devrait provoquer de sa part une réaction de vengeance qui vise à réparer l’offense faite à sa réputation d’honneur. Quand bien même l’offense n’est pas grave, la réaction se doit d’être dissuasive, car dans le répertoire normatif populaire toute violation de l’honneur est une atteinte potentielle à la totalité des biens possédés par la partie lésée :

« Le patrimoine lignager, symbolisé par le nom, n’est pas défini seulement par la possession de la terre, de la maison et des filles, biens précieux et donc vulnérables, mais aussi par les moyens de les protéger : les hommes ; des attaques contre la terre, la maison et les femmes sont des attaques contre leur maître. Terres accaparées, meurtres et viols non vengés sont des variétés de la même offense. L’honneur est lavé par la vengeance, par un meurtre plus signifiant : une personne plus proche du meurtrier ou la plus représentative du groupe meurtrier, terre reconquise à n’importe quel prix, effacent l’insulte faire à l’honneur du groupe (Bourdieu Pierre, 1966).

Dans un espace social régulé par le code de l’honneur, celui-ci est éminent, et toute personne jugée honorable par ses pairs peut, « sans aucune perte d’intégrité, transgresser d’autres règles sociales qui, par comparaison, sont toujours considérées comme moins importantes. » (Péristiany, 1966 : 10). En effet, si, dans un contexte de relative impunité légale, le code d’honneur établit une hiérarchie des bonnes conduites et de leurs sanctions effectives, alors il ouvre la possibilité d’agir contre les normes légales.

Socialement, il devient possible de transgresser la Loi et les règlements communaux tout en conservant son honneur et sa bonne réputation : le citadin craint plus la vengeance de ses pairs que la sanction du tribunal ! Ce point est capital, car il permet, je crois, de mieux comprendre le rapport social que les citadins entretiennent avec les lois, les règlements et les règles de toutes sortes.

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Christian Lund (1999) à la suite de Stewart (1994), dePéristiany (1966) et de Pierre Bourdieu (1977), interprète l’honneur comme un droit. Le code de l’honneur est une manière de réclamer ou de rechercher la reconnaissance d’autrui, de montrer sa reconnaissance à autrui ou au contraire de ne pas reconnaître autrui en le méprisant (Lund, 1999 : 575).

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Sauf pour le griot, il ne suffit pas d’être honorable par simple naissance : la réputation d’honneur ne peut pas se maintenir par un conformisme passif aux normes sociales.

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

III.D. Assainissement et hygiène hospitalière. Deux

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