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C.5 L’enjeu : marquer le contrôle, ou la perte de contrôle, de l’espace public par les pouvoirs publics

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 144-146)

conceptions, représentations et usages de la ville à Bobo-Dioulasso

IV. C.5 L’enjeu : marquer le contrôle, ou la perte de contrôle, de l’espace public par les pouvoirs publics

Pour le « salisseur » bobolais, la propreté de l’espace public est bien le produit d’un ordre social : l’ordre public qui devrait être maintenu par les pouvoirs publics. Ils pratiquent l’idéologie de « la subversion des codes »130 qui consiste à penser qu’on peut se déterminer comme sujet en opposant la puissance de ses actes singuliers à des représentations de l’ordre public, comme les lois municipales et les règlements sanitaires, qu’on ne veut pas reconnaître. De ce point de vue, salir l’espace public est conçu comme un défi à l’ordre public.

L’enjeu de la salissure volontaire est de montrer que les « pouvoirs publics » n’ont pas le contrôle de « l’espace public » ; que « le maire » est impuissant à faire régner son ordre symbolique, l’ordre hygiénique de la propreté urbaine, sur « son territoire » communal.

L’ordre public effectif est celui que fait régner la population par son usage quotidien de la ville. L’ordre, ou le désordre, public « apparaît ainsi pour une large part comme le fait des foules elles- mêmes, qui lisent les signes et les normes d’un espace public sur les comportements qu’elles observent et dans les situations auxquelles elles participent. » (Isaac Jules, 1991). Bref, c’est la légitimité des autorités communales à gouverner l’espace publique qui est ici questionnée :

Quand on évoque les infrastructures d’asssainissement, les autochtones disent « nous sommes nés trouver la ville telle quelle et ce n’est pas à nous de la changer ! » Quand on observe l’espace quotidien des quartiers fondateurs de Bobo-Dioulasso : Kibidwé, Farakan, Tounouma, Koko au secteur 1, on constate que les salissures, les négligences et les accumulations sauvages de rejets divers sur les berges du Houet, signalent depuis longtemps les désaffections et les refus des autochtones de se

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Nous adoptons ici, la grille de lecture proposée par Henri-Pierre Jeudy (« Norme & transgression dans l’espace public », 1991 : 83).

conformer à l’espace de vie qu’impose la ville moderne. Les quartiers centraux où vivent toujours les descendants des familles fondatrices de Bobo-Dioulasso,se prévalent des prérogatives rituelles et politiques que leur confère le statut d’autochtonie pour prendre le contre-pied systématique des décisions municipales. Ainsi, le quartier central du secteur 1 de la ville, Dioulassoba, n’est toujours pas loti et refuse tout aménagement d’assainissement urbain.

Les actes de transgression de la règle sanitaire et des normes de propreté qui aboutissent à la souillure de l’espace urbain, sont des actes publics, adressés au regard de tous les autres. Posés de manière implicite ou ostentatoire, ils expriment fondamentalement un rapport d’aliénation : « cet espace urbain n’est pas le nôtre, il ne vient pas de nous et il n’est pas fait pour nous ».

Parce qu’ils ont lieu dans l’espace public, celui de l’exposition au regard des autres, ces actes réclament la reconnaissance de leur bien-fondé : ils appellent la connivence collective pour la subversion des normes de fonctionnement de l’espace public (Jeudy, 1991).

L’enjeu est de subvertir les codes d’une réglementation de l’espace, dont on estime, à tort ou à raison, qu’ils symbolisent une domination étrangère, celle des pouvoirs publics ou de la « mairie » dont on stigmatise vigoureusement, en paroles, l’incapacité à agir, l’inefficacité et, paradoxalement, le manque de sens de la chose publique : « ils ne viennent jamais dans nos quartiers ! ils ne mettent pas les pieds ici ! ». Bref, on questionne la légitimité131 de cette réglementation.

Mais cette forme de réaction collective des citadins, tant bobolais que ouagalais, dont le caractère politique, bien qu’inorganisé est incontestable, manifeste avant tout, le pessimisme et l’impuissance politique des citadins « muets ». Cette certitude acquise que « de toutes façons, on n’y peut rien ! » exprime une impuissance de fait et une frustration profonde qui se traduisent par ces réactions de subversion des ordonnances municipales et légales : on ignore superbement les réglementations en vigueur et on se moque des mots d’ordre des campagnes de sensibilisation. Ce faisant, on montre aux « puissants » que s’ils ont le pouvoir de pratiquer systématiquement le « passe-droit », ils ne sont pas les seuls à pouvoir transgresser leurs propres lois et règlements. « La résistance des ordures », exprime donc aussi le rejet d’une administration municipale clientélisée à outrance132. À travers la salissure de la ville, c’est une forme d’opposition politique, informelle sans doute, mais bien réelle qui s’exprime directement contre les symboles concrets et proches du pouvoir municipal et de ses représentants. Il est douteux cependant que cette forme de violence critique, délétère, soit susceptible d’ébranler les causes réelles de l’immobilisme et de la coercition politique. Inorganisée et impensée, elle n’est pas en mesure de faire bouger un pouvoir communal, sans doute incapable d’assurer ses missions fondamentales, mais par ailleurs, tout à fait capable de supporter cette protestation passive des citadins qui se défient. La salissure consciente de la ville manifeste une incapacité d’organisation collective et d’expression démocratique et surtout la conviction profonde que le pouvoir de l’autorité politique (toute autorité confondue) ne peut pas être mis en cause de quelque manière que ce soit.

Cependant, du point de vue civique, les tensions existentielles ne peuvent pas se réguler durablement de cette façon.

« Aujourd’hui, en ville, les gens portent plainte les uns contre les autres ; au lieu d’en venir là, si on aménageait notre milieu ? les gens trouveraient que c’est bien et on n’aurait pas de problème. Mais si on vient trouver que c’est sale et déposer une plainte contre vous et contre nous, s’ils viennent mettre une croix sur le mur d’untel et sur le mur de tel autre, n’aurons-nous pas des problèmes ? c’est la loi que nous subirons ; Mais au lieu d’attendre cette loi, à nous de la respecter avant qu’elle n’arrive. Nous sommes arrivés à un arrangement, nous avons supprimé le dépotoir et nous avons rempli le trou avec les ordures. » Ali : 25 ans vendeur d’eau à la barrique (fils du propriétaire d’une cour comprenant 20 personnes. (enquête 2002)

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L’acte subversif ou transgressif ne cherche pas, a priori, à imposer un autre ordre de signification, son intention se réalise dans l’effet immédiat de la transgression du cadre normatif vécu comme imposé. Néanmoins, le « salisseur » signifie, ce faisant, qu’il souhaiterait une autre organisation politique de l’espace public.

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Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

La sécurisation effective des uns et des autres, implique la confrontation avec la régulation de contrôle de l’autorité communale, car la sécurisation est un processus civique qui ne peut être que le résultat d’une action collective.

IV.D.

La crise de confiance politique : méfiance &

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 144-146)

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