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E.4.1 Les modalités de la déchéance

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 112-115)

conceptions, représentations et usages de la ville à Bobo-Dioulasso

III. E.4.1 Les modalités de la déchéance

Au cours de la prestation médicale, les objets et substances sont évalués à chaque étape du procès de travail, selon des critères qui visent à déterminer leurs conformités avec des normes médicales et aussi par rapport à des fonctions techniques auxquelles ils sont destinés. La caractérisation des substances et l’appréciation de la conformité des instruments préposés ou en cour d’usage sont ainsi les occasions qui révèlent le déchet.

E.4.1.1 Visions techniques et sanctions de déchéance

Les sanctions de déchéance des substances liquides et solides, prononcées au titre de la prestation médicale sont consécutives à l’application d’une grille d’appréciation qui précède l’usage des objets et substances. Evalué par la mise en oeuvre d’une procédure technique, le produit est engagé dans le procès de travail ou en est exclu. Mais, les sanctions médicales de la déchéance des substances sont aussi fonction de leurs visibilités:

« ...Dès que vous prélevez (le sang), vous avez un échantillon auquel vous faites la qualification (...) vous rentrez en salle d’immuno (...) vous commencez à le manipuler (...). Il y a des poches (de sang) qui sont bonnes et des poches qui sont mauvaises (...) » Pharmacien, chef du service de la Banque de Sang

La qualification est le processus qui identifie les propriétés des substances et préside à leurs sanctions médicales. La reconnaissance par le regard médical d’une impureté du produit évalué selon des critères spécifiques entraîne ici un verdict de déchéance qui l’exclu de l’usage auquel il était destiné. Cette évaluation repose essentiellement sur le potentiel de nocivité, présupposé ou révélé, des objets et substances qui en portent la sanction:

« (...)Il faut savoir le principe que tout liquide soit suspect; on estime que ces liquides en milieu hospitalier contiennent un germe » Médecin, Urgence Médicales, Précité

Cette suspicion technique se reporte également sur les instruments de travail qui ont été en contact avec les substances:

« (...) Quand vous introduisez un objet dans l’oreille de quelqu’un, il y a des sécrétions, vous ne pouvez pas le réutiliser pour réexaminer; quand le matériel entre en contact avec un liquide physiologique, soit la salive, soit des sécrétions des narines ou des oreilles, c’est qu’il faut laver après et désinfecter(...) » Médecin, Urgences Pédiatriques

Disqualifiés par le contact avec des substances suspectes, les instruments de travail ne retrouvent alors leurs aptitudes qu’après un traitement purificateur. Mais la suspicion ne s’avère que par la soumission des substances à un examen à travers un dispositif technique.

À travers le regard médical, le déchet apparaît comme le résultat d’une évaluation qui disqualifie la substance par rapport à des normes spécifiques que définit le savoir médical. Fondée sur des critères techniques, l’appréciation des substances s’appuie sur une définition préalable de la qualité médicale de la matière, qui nie le rapport sensible à la matière; et pour le médecin, la substance s’offre comme une modalité de décryptage de la maladie, créant une « insensibilité sociale » relative, les sens étant informés par le code médical:

« (...) on peut avoir l’odeur dans la salle, ça dépend du degré de l’occlusion, et de la durée de l’occlusion(...), ça peut avoir une odeur nauséabonde, de toute façon nous sommes préparés psychologiquement; en fonction de la couleur(des selles) on peut penser que c’est tel germe, ça peut être un truc typhoïque » Anesthésiste, Urgences Médicales, précité

« Au laboratoire, un réactif qu’on utilise devient après un déchet; les selles quand vous finissez d’examiner ça devient un déchet, le sang quand il est séropositif par exemple, il devient un déchet puisqu’il n’est plus utilisable » Pharmacien stagiaire à la Banque de sang

Contrôle des émotions et des sensations qui ne doivent perturber le regard et le jugement médicaux, attachés à la lecture des signes cliniques, malade et médecin unis, selon la formule foucaldienne par les « belles formes ordonnées de la maladie », qui présidera à l’identification du déchet. Mais cette disposition n’est possible que par la négation des apparences communes des déchets et l’acquisition de « l’œil médical ». En conséquence, les visibilités des substances déchues, en fonction des modes d’inscriptions dans l’espace hospitalier seront au principe de perceptions spécifiques. Plus ou moins éloignées des critères de reconnaissance médicale, ces perceptions des substances déchues en appellent à la sensibilité ordinaire pour identifier le déchet :

« En tout cas, ça me gêne(le crachat des patients), parce que c’est vilain à voir...surtout l’odeur des urines » Femme de 36 ans, Aide malade, Personnel du SAMU social

« Moi quand je vois une vomissure comme ça, je vomis (...) même si je n’ai pas envie de vomir il faut que je vomisse, mon organisme n’aime pas ça(...)» Femme de 29 ans du service de nettoyage NETENDEC

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

La détermination de la matière déchue par ceux qui sont dépourvus du code médical passe par la convocation des sens qui sont à leur disposition. Les prédispositions indigènes par rapport au déchet ont leurs origines dans des construits culturels inscrits dans les corps et répondant de façon systématique à des stimuli qui sont reconnus par l’œil ou le « nez social ».

Le libre cours de l’expression de la sensibilité indique la distance qui s’instaure entre une conception technique du déchet et ses perceptions sociales. La réaction viscérale face au déchet organique et la lecture technique des substances sont en réalité le fait de l’affectation de coefficients différentiels à la déchéance des substances hospitalières qui ont leurs incidences sur les rapports aux substances déchues.

E.4.1.2 Les coefficients de la déchéance

On constate une gradation des déchets hospitaliers qui évolue suivant les degrés de nocivité qui leurs sont attribués:

« (...) les aiguilles sont moins dangereuses que le sang; parce que pour moi le sang contaminé devient plus dangereux parce que n’importe quelle erreur que vous faîtes c’est la contamination directe; l’aiguille peut te piquer par hasard et la quantité de liquide biologique que tu peux trouver sur ça...la probabilité que tu évites la maladie est plus que lorsque c’est le sang; c’est pourquoi on dit aujourd’hui que le SIDA ne se contamine pas par la salive, pour que la salive puisse contaminer il faut 40 litres » Pharmacien, Chef du Service de la Banque de Sang, précité

Au sein de l’espace hospitalier, le déchet se charge d’une négativité supplémentaire qui dépasse la sanction d’inutilité des objets et des substances liquides. La souillure médicale est le déchet qui a une capacité de corruption nocive des corps qui entrent en contact avec elle. Elle présente donc cette particularité principielle de porter le risque de la contamination, de la transmission d’une maladie. La perception de ce risque dépend toutefois de l’œil porté sur le déchet hospitalier :

« (...) s’ils(le personnel de nettoyage) ne sont pas formés, ils vont venir manipuler les déchets n’importe comment s’infecter eux-mêmes et aller infecter leurs familles » Attaché de santé, spécialisé en anesthésie, Coordonnateur du Service des Urgences Médicales De fait la souillure médicale est « invisible à l’œil nu »:

« Nous disons qu’un sang est bon ou propre quand il ne comporte pas d’agents infectieux pouvant contaminer le receveur (...), tout sang qui se révèle négatif aux trois tests, VIH, Hépatite B, Syphilis, nous appelons ça du sang propre » Technicien Supérieur de Laboratoire à la Banque de sang

Le réactif se substitue à la sensibilité humaine pour définir les qualités des substances et exclure celles dont les caractères sont en contradiction avec la norme médicale. Dispositif technique, le réactif est le moyen et la condition, dans lesquels la souillure est révélée au praticien. Perçu à travers cette grille spécifique, le déchet est déterminé selon des critères qui n’ont de significations et ne sont accessibles qu’à ceux qui sont pourvus du code de lecture des composantes que le test rend visibles

La reconnaissance médicale de la souillure se fonde donc sur un principe qui ignore l’épaisseur sociale des individus pour ne s’attacher qu’à la qualité des substances. À l’impersonnalité des sources de la souillure correspond une définition générique reposant sur des indices neutralisés et généralisables selon la classification médicale des risques de contamination des corps sains.

Cependant, les déchets sont aussi l’objet de l’application de schèmes culturels qui leur affectent à leur tour des coefficients spécifiques :

« (...) ça ne me dérange pas(les excréments), c’est mon grand frère, c’est le même sang(nous sommes du même sang) un jour le caca était entrain de le salir, j’ai touché ça

avec ma main, il m’a dit que je vais me salir, j’ai dit c’est pas un problème; c’est mon grand frère » Accompagnant, Homme de 28 ans

La grille appliquée au déchet issu du « grand frère » défit le code médical de la présupposition principielle de la souillure hospitalière; Ici, c’est l’ordre culturel de la transposition des valeurs personnelles sur les déchets; l’indexation sociale des déchets à leurs sources traduit ainsi la continuité entre le déchet biologique et son auteur. Mais ce même principe de transposition peut se charger d’une valeur sociale négative:

« Si nous on part à la morgue comme ça, les gens nous fuient, il y en même qui disent que nous sommes des sorciers, que peut être nous prenons la drogue que par ce que on n’a pas peur du sang et on n’a pas peur des morts, et il y en a même qui nous insultent aussi; par exemple quand ils nous voient pousser les corps ils ne nous appellent pas garçons de salle, mais pousseurs de cadavres » Garçon de Salle, Service de Triage, Urgences Chirurgicales

Les déchets hospitaliers ont leurs stigmates sociaux quand ils voisinent avec la mort. Par un mécanisme de translation sociale, la peur de la mort est reportée sur ceux dont le travail quotidien est le transport des corps sans vie à la morgue. « Coefficienté » par un indice morbide, le corps sans vie est un déchet dont le contact entraîne un marquage symbolique.

Ces visibilités du déchet qui modulent concurremment leurs coefficients au sein de l’espace hospitalier posent alors le problème des statuts qui leurs sont attribués selon la grille de perception appliquée

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 112-115)

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