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E.4.2 Assignation statutaire de la souillure médicale

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 115-119)

conceptions, représentations et usages de la ville à Bobo-Dioulasso

III. E.4.2 Assignation statutaire de la souillure médicale

Du fait des propriétés qui lui sont attribuées, la souillure médicale acquiert une dimension toute spécifique. Les objets et les substances souillés par l’institution hospitalière sont frappés d’une sanction sociale qui dépasse souvent cependant le cadre du discours médical et préside à leur assignation statutaire.

E.4.2.1 Degrés de déchéance et précautions d’usage

Lorsque la substance, après évaluation, est reconnue comme souillure médicale, elle entre dans un processus de séparation d’avec le procès de travail. Il en est de même pour l’instrument dont le contact avec la souillure occasionne la sanction de déchéance. Il apparaît cependant des traitements différentiels, suivant les types de substances souillées:

« (...) Les poches contaminées(...) doivent être obligatoirement éliminées; en transfusion sanguine, il n’y a pas de risque, même le simple risque que nous suspectons sur une poche(de sang), il faut l’éliminer carrément » Pharmacien, chef du Service de la Banque de Sang, précité

L’exclusion du procès de travail peut aussi être la conséquence d’une consommation des produits engagés dans la prestation médicale qui aboutit à leur inutilité fonctionnelle:

« (...) Après utilisation, certains objets, comme les compresses, les gants à usage unique... sont jetés immédiatement dans la poubelle » Infirmier Major, service de Triage

Ce verdict de déchéance définitive met fin à l’utilité initiale des substances et les éjecte du procès de travail. Cependant les sanctions de déchéance peuvent être provisoires et indiquent une suspension momentanée des fonctions et qualités médicales des outils de travail:

«(...) Le tuyau d ’aspiration est à usage unique, quand on a finit, on le jette quand on en a suffisamment, mais les paires de ciseaux, les bistouris et écarteurs, quand on a finit, nous avons des bouteilles contenant de l’eau de javel dans lesquelles nous les mettons; nous

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

laissons tremper pendant 20mn pour la décontamination et ensuite on procède au nettoyage (...) et on stérilise » Attaché de Santé au Bloc des Urgences Chirurgicales « Je vous ai parlé de savon, d’eau de javel, d’alcool, mais suivant les objets vous avez des méthodes à respecter(...)vous avez des objets qui sont stérilisés à chaud, vous avez d’autres aussi qui sont stérilisés à la vapeur d’eau(...) les procédures de décontamination et de désinfection c’est bien codifié!(...) c’est suivant le degré de contamination et de l’asepsie qu’on veut avoir! » Médecin, Urgences Pédiatriques précité

Sanction discriminatoire, le verdict de la déchéance touche différemment les objets et les substances pris dans le cours de la prestation médicale. La reconnaissance différentielle de la déchéance à partir de normes techniques pose alors la question de la construction médicale de la déchéance. L’usage unique ou multiple de l’instrument procède-t-il des préceptes strictement médicaux ou relève-t-il d’une logique économique qui pervertit l’indexation statutaire du déchet en phagocytant le discours médical? En fait, pour répondre à cette question, il faut envisager une dynamique combinatoire des deux logiques, médicale et économique, qui vont statuer sur les degrés historiques de la souillure médicale dans chaque espace hospitalier. De fait, certaines substances qui sont « coéfficientées » de l’un des indices les plus élevés de la souillure et de la contamination, et semblent à ce titre « bénéficier d’un statut particulier » dans le traitement du déchet hospitalier, ne le sont devenues que par un élargissement du champ de visibilité technique du regard médical :

« Nous portons des gants pour tout acte que nous allons poser aux Urgences (...) c’est pour se protéger, aux Urgences nous avons affaire à tout le monde et vous n’ignorez pas que le SIDA est un fléau qui sévit dans notre pays et de plus il y a des malades de SIDA que nous rencontrons! » Infirmière aux Urgences Médicales

Prendre conscience de l’existence du SIDA, confère au sang comme souillure une affectation spéciale dans le système du dispositif de protection du corps hospitalier. Ceci laisse apparaître l’historicité de la construction statutaire des déchets hospitaliers qui ne sont jamais fixés; et cet élargissement suit nécessairement les contours des espaces sociaux. Ce sont aussi les contextes économico-techniques qui dictent les niveaux de protection contre ce qui est reconnu comme danger médical:

« Quand on utilise des gants pour un malade donné, on doit normalement en changer pour un autre malade,(...) vous allez rencontrer des malades, ils vont dire qu’ils sont indigents et qu’il faut essayer de nettoyer (les gants usagés) avec de l’alcool et les utiliser pour eux » Infirmier d’Etat, Urgences Pédiatriques

«(...) malheureusement, certains infirmiers quand c’est pas trop sale (les gants), ils vont au robinet et ils les lavent(...) moi je ne peux pas obliger un infirmier à utiliser un gang pour chaque malade tout en sachant qu’on a des problèmes de gants! » Médecin, Urgences Pédiatriques, précité

Les statuts de la souillure évoluent ainsi, en s’adaptant aux espaces qui en définissent les critères. Ces assignations interviennent de même lors de la décision sur le sort réservé aux substances hospitalières déchues.

E.4.2.2 Le sort du déchet hospitalier

L’exclusion définitive des substances souillées de la prestation médicale s’accomplit à travers des formes d’élimination du déchet qui dépendent elles aussi des qualités attribuées aux substances:

« Les poches de sang, on élimine ça à l’incinérateur(...) les autres déchets comme les aiguilles, on devrait avoir un brûleur d’aiguilles, mais on n’en a pas, on a des boîtes à aiguilles, c’est là-bas on met et on vient prendre aller brûler, je n’ai pas suivi la forme, comment on fait ça, mais c’est le service de nettoyage qui fait ça » Pharmacien, chef du service de la Banque de Sang

« Les tampons, les gants, que nous utilisons, les aiguilles, les seringues, les perfuseurs sont recueillis dans des pots qui sont déposés dedans ici et on verse ça dans les grands bacs qui sont dehors; maintenant il y a des gens qui sont chargés de les enlever après ici nous ne savons pas ce qu’on en fait » Médecin chef du Service des Urgences Médicales, précité

La chaîne du travail définit la limite de la prise en charge du déchet. La frontière de la zone de contrôle dépassée, la responsabilité des effets du déchet est reportée par le personnel médical sur la catégorie dont la tâche est de s’occuper du déchet hospitalier, le personnel d’entretien. En fait, la décision du sort du déchet, en fonction de certains de ses attributs, échoît à différents acteurs de l’institution hospitalière:

« Après l’accouchement, on dit aux accompagnants d’amener une cuve et on met ça(le placenta) dedans(...) on lui dit de prendre le pot là avec le doigtier et d’aller enterrer » Sage femmes, Service de la Maternité

« (...) quelqu’un qui a une gangrène, il faut amputer la jambe, on récupère et il faut aller inhumer ça (la jambe)(...) quand c’est des pièces comme ça, un organe creux, un organe plein, qu’il faut enlever, on l’envoie à l’anapathe, quand c’est un truc pathologique(...) si c’est éclaté c’est un accident de la rate, ces pièces sont mises ensemble véhiculées à l’incinérateur de l’hôpital pour être incinérés » Attaché de Santé, Anesthésiste Coordonnateur aux Urgences Médicales précité

Dans la séparation, la destination et le mode d’élimination du déchet dépendent de ses qualités. L’inhumation ici vient rappeler la spécificité accordée à certains déchets hospitaliers en raison des symboles sociaux qui leurs sont attachés dans les contextes culturels. Sanctionnées du verdict de déchéance, certaines souillures de l’hôpital gardent une valeur que l’œil médical stricte ne peut mesurer, mais que le médecin, en tant qu’agent social participant à des configurations culturelles n’ignore pas.

Exclus de procès de travail selon un processus qui discrimine en statuant sur leur degré de nocivité et suivant la structure économique de la prestation, les déchets hospitaliers entrent dans leurs phases d’élimination par un principe non moins discriminatoire. Il ressort cependant de ce processus de séparation, une logique institutionnelle d’annulation de tout souvenir du déchet, perceptible dans les dé-responsabilisations à chaque étape de l’exclusion de la souillure du procès de travail hospitalier. Comment cette logique se déploie-t-elle ?

E.4.2.3 L’annexion hospitalière de l’extérieur

Le refus du souvenir des déchets produits est manifeste à chaque niveau du procès hospitalier d’élimination du déchet:

« (...) les seringues, les perfuseurs sont recueillis dans des pot qui sont déposés dedans ici et on verse ça dans les grands bacs qui sont au dehors, maintenant il y a des gens qui sont chargés de les enlever, après ici nous ne savons pas ce qu’on en fait » Médecin, Chef du Service des Urgences Médicales, précité

« Bon, les instruments en tant que tels il n’y en a pas, les eaux sales suivent les canalisations qui sont faîtes à l’hôpital pour se rejoindre quelque part et sortir » Major du Service de Triage des Urgences Chirurgicales

« (...) NETENDEC! voilà, c’est eux qui s’en occupent (la poubelle), ils viennent et prennent tout ce qui est plein et ils amènent je ne sais où, mais ce qui est sûr c’est vidé chaque matin en tout cas! » Sage-femme au Service de la Maternité

« Nous on vide ça, les petites poubelles (où se trouvent les déchets de la prestation des

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s’occupent de ça après(...), ils ont de grandes poubelles pour ramasser, maintenant je ne sais pas où ils vident ça » Garçon de Salle, au Service des Urgences Médicales

La segmentation des tâches dans les procès de travail des systèmes organisés a pour conséquence une circonscription des responsabilités imputables à chaque poste de travail. Dans la prestation médicale, chaque acteur de l’institution situe le rapport dans lequel il s’inscrit par la définition de son rôle institutionnel. Ce principe qui constitue par ailleurs une forme de protection des agents, à la fois contre l’institution et contre les usagers, prend sans doute au sein de l’espace hospitalier une dimension plus cruciale en raison des caractéristiques singulières du déchet médical. La dépersonnalisation de la souillure à laquelle procède le traitement médical en fait une « part inactive sans souvenir », certes réinvesti dans des configurations symboliques à certaines occasions marginales, qui n’a plus ni auteurs, ni passé.

Lorsque les tentatives de prise en charge interne du déchet hospitalier, par les dispositifs d’élimination autonome n’existent pas ou échouent, les déchets hospitaliers sont rendus à l’extérieur, par une annexion hospitalière du dehors.

La gestion du déchet hospitalier constitue ainsi un problème social. Le paradoxe veut que l’hôpital qui exerce un monopole sur l’édiction des principes de l’hygiène, soit aussi considéré comme un lieu malsain. Mais chaque milieu hospitalier présente ses propres limites quant aux mécanismes de gestion de la souillure médicale qui en dehors de la dynamique interne de l’institution ont leurs assises matérielles qui ne point négligeables.

Le système des relations qui structure le processus de la prise en charge de la souillure hospitalière se construit dans un mécanisme de confrontation de diverses cultures au sein de l’institution. Le discours médical et les préceptes institutionnels administratifs de l’assainissement hospitalier rencontrent deux obstacles majeurs pour leur réalisation. D’une part l’inadéquation des structures matérielles a pour conséquence un décalage entre les exigences déclamatoires des règles de la salubrité et de l’hygiène et le déroulement effectif quotidien de la prestation médicale, personnel médical, patients et accompagnants composant avec les conditions existantes. D’autre part, le séjour hospitalier constitue pour les groupes sociaux porteurs de cultures plus ou moins éloignées des normes de l’institution, une rupture sociale qui s’exprime dans des modes d’appropriation indigènes de l’espace hospitalier. Lorsque les tentatives de prise en charge interne du déchet hospitalier par les dispositifs d’élimination autonome n’existent pas ou échouent, les déchets hospitaliers sont rendus à l’extérieur, par une annexion hospitalière de l’espace public, érigeant alors la gestion du déchet hospitalier en problème de santé publique. Le paradoxe veut en effet que l’hôpital qui exerce un monopole sur la prescription des principes de l’hygiène, soit aussi considéré comme un lieu malsain dont le voisinage, à travers les déchets qu’il exporte, est source de diverses maladies. Mais pour que les critiques adressées à l’institution puissent avoir une incidence positive sur les modalités de gestion des déchets hospitaliers, il ne suffit pas de sensibiliser sur les effets nocifs de la souillure médicale quand les procédures externes d’élimination de celle-ci ne sont pas soumises à une expertise adéquate. Les défaillances matérielles et structurelles des mécanismes de gestion de la souillure médicale montrent la nécessité d’une stratégie d’assainissement qui prenne en compte la solidarité de ces deux dimensions dans la mise en œuvre d’une politique efficiente d’évacuation et d’élimination du déchet hospitalier.

Au total, que ce soit dans l'espace domestique ou dans celui de l'hôpital, le monde de la gestion des déchets est un monde conflictuel : s'y opposent les unes aux autres, des cultures différentes, des perceptions diverses de l'objet et de la relation entre l'homme et ce qu'il acquiert, des normes idéales et des possibilités matérielles, etc.

IV. L’assainissement comme enjeu de pouvoir &

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