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A.2.2 L’agencement des usages dans l’espace de la cour : des proximités paradoxales

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 66-70)

L’enquête a montré que la propreté en général apparaissait comme un attribut déterminant de l’ordre domestique qui est lui-même subordonné à un agencement de l’espace domestique en aires fonctionnelles distinctes selon les heures et les circonstances. Cette logique de répartition des usages opère un découpage de l’espace domestique correspondant à des aires fonctionnelles distinctes : aires de cuisine, de repas, de vaisselle, de repos, de toilette et de lessive qui est perceptible lors des balayages qui, chaque matin et chaque soir, mettent en ordre la cour d’habitation.

Partout, la pièce et l’espace réservés à la cuisine sont mis à l’écart des autres pièces d’habitation et des autres usages de la cour.

« Nous voulons qu’on dise que nous sommes propres. C’est mieux que de s’apprécier soi- même. » Ali : 25 ans vendeur d’eau à la barrique, fils du propriétaire d’une cour comprenant 20 personnes (enquête 2002)

Ceci laisse penser que « le sale et le désordonné » des espaces féminins d’activités domestiques s’opposent avec « le propre et l’ordonnancé » de l’espace à dominante masculine consacré à la réception (Navez-Bouchanine Françoise, 1991). Surtout, l’espace cuisine est un espace très intime qui doit être installé à l’écart de tout autre activité, car il doit être protégé des sorciers et empoisonneurs et il ne viendrait à l’idée d’aucun « étranger » à la cour de s’en approcher.

A.2.2.1 Usages et conservation de l’eau à domicile

L'eau à usage domestique est stockée dans les jarres, les cuvettes, les fûts, les « pousse-pousses ». Les conditions de stockage de l'eau diffèrent d'une famille à l'autre, mais il existe quand même beaucoup de similitude. Il est important de noter que le stockage de l'eau ne concerne pas uniquement les ménages qui ne disposent pas d'eau courante à domicile. Ces derniers, pour une raison d’économie, recueillent chaque matin une certaine quantité pour les besoins de la journée :

« La quantité d’eau utilisée est fonction de la quantité de vêtements ou de plats qu’on a à laver. » Madame S.O. (Millogo, 2002 : 76)

« L’eau du robinet, c’est de l’or dans notre quartier. La fontaine est éloignée et si tu n’as pas d’argent, c’est difficile. C’est pour cette raison que nous nous débrouillons avec l’eau de puits. Le gouvernement est au courant de nos difficultés, il sait aussi que l’eau de puits peut nous rendre malades. Il doit penser aux pauvres et réduire les coûts de branchement. Sinon, qui n’aime pas l’eau potable, qui ne veut pas la santé, qui n’a pas peur de la mort ? Vraiment vous les gens de la santé là vous nous rendez la vie difficile. Laissez nous dans notre pauvreté. » F.D., menuisier, Bobo-Dioulasso, secteur 17 (Millogo, 2002 : 46-47).

A.2.2.2 Paroles de femmes sur leurs pratiques

A.2.2.2.a) Le puisage

Souvent pour puiser, les femmes montent avec leurs chaussures sur la margelle :

« Une habitude est difficile à abandonner. Sinon nous savons que lorsque le puits n'est pas couvert, beaucoup de choses peuvent tomber dedans et souillée l'eau. Pendant la marche à l'extérieur de la cour, nous piétinons des choses et surtout les selles des enfants qui défèquent dehors et les excréments des animaux. Une fois sur la margelle du puits avec cette même chaussure, ces saletés descendent dans le puits. » (Millogo, 2002 : 66) Elles utilisent des puisettes et des cordes sales qu’elles laissent tomber au fond du puits :

« La puisette et la corde traînent à terre. Elles ramassent toutes sortes de saleté sur le sol, même s'il est balayé. On nous a dit que les choses qui peuvent rendre malade, on ne les voient pas avec les yeux ». (Millogo, 2002 : 66)

Elles trempent leurs mains dans l'eau lors du transport et les récipients ne sont pas couverts : « C'est vrai que nous ne lavons pas spécialement nos mains avant d'aller à la fontaine. Une mère peut nettoyer tout de suite les fesses de son enfant et continuer son puisage. Nous savons bien, mais tout est une question d'habitude et de disponibilité en savon pour certaines. La pauvreté frappe les femmes et la plupart des dépenses que les hommes considèrent comme minimes leur incombent. C'est difficile aussi de couvrir un récipient lors du transport de l'eau surtout lorsque c'est une bassine. La poussière peut y mettre les microbes. Seuls les fûts sont couverts. Chez nous, c'est pire : que direz-vous aux femmes du village qui coupent les feuilles des arbres et les plongent directement dans l'eau pour la stabiliser au cours de la marche » (Millogo, 2002 : 66)

A.2.2.2.b) Le stockage de l’eau

Elles nelavent pas bien les récipients de stockage et ne renouvellent pas l'eau potable régulièrement. Les enfants plongent leurs mains dans l'eau stockée et le récipient pour puiser l'eau est sale, les animaux ont accès à cette eau :

« Dans une grande famille il est très difficile de surveiller les enfants. Certains ont souvent un malin plaisir à jouer avec l'eau et les gobelets. Quand il y a des animaux dans la cour, ils mettent leur gueule dans l'eau. Ces problèmes arrivent souvent quand la jarre est dans la cour. C'est le cas des cours communes. Mais chaque petite famille a sa petite jarre ou son réfrigérateur à l'intérieur. »

Beaucoup de ménages ne recouvrent pas l'eau stockée et elle devient une source importante et privilégiée de pollution. Dans les familles, une distinction est faite pour le mode de stockage entre l'eau potable et l’eau réservée aux autres usages domestiques :

« La jarre et le réfrigérateur, les cuvettes sont les principaux récipients où se conserve l'eau potable. En qui concerne la jarre, elle peut se trouver dans la cour sous un arbre, dans la cuisine ou dans le salon. Si elle est recouverte, le gobelet avec anse est placé au- dessus du couvercle et il est le seul objet que tous (membres de la famille et étrangers)

Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

utilisent pour boire. Certaines jarres ne sont pas couvertes. Placées généralement sous un grand manguier dans la cour, les feuilles y tombent. Il n'est pas rare aussi de voir le gobelet traîner à même le sol ou la surface de l'eau. Adultes et enfants y puisent de l'eau quel que soit l'état de leurs mains. Dans de rares cas, la noix de cola est conservée dans le sable qui tient lieu de support à la jarre ou carrément dans la jarre. Pour la récupérer, on plonge la main ou le gobelet jusqu'à un certain niveau du bras lorsque la jarre est grande. Par rapport à l'hygiène de l'eau un vieux mossi nous disait : koom san ka ralsendé, a ka nom yé, koom ka wubed ned yé « l'eau n'est pas bonne si elle n'a pas de goût, l'eau ne fait pas vomir, on peut boire n'importe quelle eau. » (Millogo, 2002 : 50)

La précarité des aménagements des points d’eau de la cour, les techniques de puisage et de portage de l’eau potable ou encore l’absence de récipient hygiéniquement adapté au remplissage provoquent un versement important d’eau qui stagne autour du puits ou du robinet de la cour. Souvent, cette eau versée sera directement utilisée comme eau d’irrigation de plantes ou canalisée vers le pied du seul arbre fournissant une ombre épaisse. À Bobo-Dioulasso, en l’absence de points d’eau à l’intérieur des maisons, la surcharge d’activités domestiques condamne les femmes à opérer des transvasements qu’une économie des gestes domestiques devait limiter au strict minimum. L’économie de l’eau, consiste à utiliser la même eau pour plusieurs usages avant de la jeter sur des plantes.

Le dispositif le plus répandu47 pour le stockage de l’eau à usage domestique est celui du « canari » posé à même le sol. Cette technique présente beaucoup de risques de pollution par ce qu’il faut nécessairement plonger un gobelet dans l’eau pour les prélèvements.

Cliché 5. Quartier Niénéta (secteur 12, Bobo-Dioulasso). L’eau stagne près du puits; le linge lavé sèche, posé sur la terre des murs. au fonds des latrines traditionnelles (cliché Bouju, 2001).

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Alternative : le poste d’eau potable composé d’un canari, posé en hauteur sur un support stable, couvert dont le fonds est percé d’un trou raccordé à un robinet par l’intermédiaire d’un tuyau flexible. De 5000 FCFA à 15 000 FCFA.

Cliché 6. Dans la même cour d’habitation, la poule visible sur le cliché précédent est rejointe par ses poussins qui picorent et piétinent la farine de mil que la maîtresse de maison vient de

mettre à sécher pour cuisiner le repas du soir (cliché Bouju, 2001).

III.A.2.3 La présence d’animaux domestiques

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« Dans les cours où se fait l'élevage domestique, il existe un enclos pour parquer le petit bétail la nuit. Généralement, les moutons et la volaille divaguent dans la cour ce qui occasionne une lutte incessante entre hommes et animaux pour protéger l'eau, les aliments, les ustensiles, lafarine tamisée,etc. On observe des excréments éparpillés dans la cour. » (Millogo, 2002 : 45)

La présence d'un certain type d'animaux domestiques et les conditions de leur évolution dans l'environnement familial sont des aspects importants qui contribuent à détériorer les conditions d'assainissement des ménages. La moitié des ménages visités pendant l’enquête élevait des poules, des moutons, des chèvres, des ânes parfois des bœufs et dans de rares cas des porcs. Ils sont élevés en milieu urbain surtout pour leur fumier. Parfois ils sont vendus quand la situation financière familiale devient difficile. Ils sont généralement parqués dans un coin de la cour, parfois attachés à un piquet pour éviter qu'ils se déplacent. Il n'existe aucune séparation avec le reste de la cour.

Une cour à Sarfalao, secteur 17, arrondissement de Dafra, Bobo-Dioulasso : « Dans cette cour, on pratique l’élevage domestique : poules, moutons. Pas d’abreuvoir, ni de mangeoire, aucun enclos n’est aménagé pour confiner le bétail. La merde des animaux ne pue pas, elle n’a pas d’odeur désagréable et ne dérange pas la vue, comme les selles des humains ! Les enfants défèquent autour de la concession, mais hors de la cour, on ne parle plus de saleté, dehors c’est pour tout le monde, c’est la voirie. L’évacuation des eaux de toilettes n’est pas un problème : ça coule directement dans le fossé qui passe devant la cour. C’est un fossé public où toutes les eaux doivent couler. C’est fait pour la population. Le chef de cour ne pense pas que le développement des larves de moustiques soit favorisé par la stagnation des eaux usées mais plutôt par les fruit et les autres plantes d’hivernage comme le maïs et les arachides. Pourtant, on constate que le fossé est obstrué, les déchets liquides et solides se mélangent. Des restes de vidange sont entassés sous un arbre, dans la cour les animaux mettent leur gueule dans les plats ou dans la farine étalée à même le sol. La jarre d’eau sous le manguier au milieu de la cour n’est pas couverte : chacun y puise de l’eau quel que soit l’état de ses mains. Commentant

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Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

cela un vieillard de la cour nous dit : « l’eau, si elle n’a pas de goût n’est pas bonne ! l’eau ne fait pas vomir donc on peut boire n’importe quelle eau. » kam san ka ralsendé, a ka nomyé ! kom ka wubed ned yé ! » Millogo (enquête 2001).

Quelques rares ménages possèdent un enclos séparé pour moutons et chèvres et un poulailler. Il n'y a pas d'abreuvoirs, pas de mangeoires. Le son de céréales, l'herbe et les restes d'aliments constituent l'alimentation de ces animaux. Il n'existe pas de fosses à fumière dans les cours. Les excréments des animaux ne gênent pas la vue autant que les excréments humains disent les personnes concernées.

« Les animaux sortent quelques fois de la cour pour divaguer. Or il existe un texte depuis la révolution qui interdit la divagation des animaux. De temps en temps, la police municipale fait des contrôles dans les quartiers, et les animaux en errance sont retenus à la fourrière où les propriétaires sont tenus de payer des frais pour les libérer; sinon, ils sont vendus au profit du budget communal. Malgré tout, la divagation des animaux est toujours d'actualité à Bobo-Dioulasso. La Mairie n’a jamais fait correctement son travail ; sinon pourquoi les textes ne sont pas bien appliqués ? La lutte contre la divagation des animaux est un mot d’ordre qui n’est pas respecté. Les populations ne craignent pas l’administration. Les raisons de ces comportements sont partagées entre les autorités et les administrés, mais la grande partie revient aux autorités ». Un fonctionnaire à la retraite, secteur 1 (Millogo, 2002 : 80).

Une caractéristique dominante de l’agencement de l’espace domestique burkinabè est que ses aires fonctionnelles ne sont jamais délimitées concrètement et, qu’en tout cas, elles n’englobent jamais la totalité de la concession au-delà de laquelle les déchets et les effluents sont rejetés. Évidemment, cette forme de gestion de l’espace domestique, où aucun aménagement concret n’instaure de séparation, n’exclut pas les proximités paradoxales. Ce qui a des conséquences sanitaires et principalement les maladies diarrhéiques infantiles qui constituent la deuxième cause de morbidité-mortalité des enfants :

« Les maladies d’origine hydrique dues aux mauvaises conditions d’hygiène sont très répandues. La contamination féco-orale est très courante et engendre le choléra, la typhoïde, les diarrhées virales et bactériennes, l’amibiase, l’hépatite, l’ascaridiose, les gastro-entérites. Ces maladies constituent une des plus importantes causes de morbidité et de mortalité infantile. Le paludisme sévit pendant la saison humide et, en toute saison, les conditions de survie aux maladies sont liées à la précarité de l’habitat : l’absence, le débordement ou le non-fonctionnement des latrines, le déversement des matières de vidange en bordure de concession, la présence d’eaux stagnantes et la présence générale de dépôts sauvages d’ordures » (Ta Thu Thui, 1999 : 23).

Il est clair qu’au-delà d’un certain seuil d’urbanisation, de multiplication des activités et d’augmentation de la quantité de déchets individuels produits, les pratiques « traditionnelles » de propreté domestique deviennent insuffisantes pour préserver ne serait-ce que l’ordre et l’aspect du propre.

Dans le document Une anthropologie politique de la fange. (Page 66-70)

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