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Ce qui préside aux échanges : économie des actions et du sens

Le premier moment de l’analyse se doit de situer les propos échangés dans un cadre d’activités particulier, l’entretien, afin de montrer le lien étroit entre actions et discours. Il s’agit de tenir véritablement compte du fait que le témoignage est énoncé lors d’une interview, et que son énonciation se fait sur un mode collaboratif, entre les partenaires

présents, mais aussi en direction d’un tiers absent. Ce qui permet d’indiquer les critères qui ont guidé le découpage des extraits, soit une segmentation qui prend généralement appui sur l’unité de base que constitue l’alternance entre les tours de parole. Deux raisons principales justifient ce choix. La première relève de l’organisation particulière qui gouverne la gestion des échanges. Elle met au jour l’asymétrie qui s’instaure entre les locuteurs et qui se rapporte à la forme socialement reconnue qu’est l’entretien. La seconde a trait à la sélection des propos échangés et à l’accueil qui leur est réservé à l’intérieur même de l’émission. Cette prise en compte de la gestion de l’activité et du sens nous conduit à évoquer le travail de médiation accompli par le présentateur : il encadre le dire de son invité et en donne, à l’écran, une première réception censée correspondre aux attentes d’un public se trouvant à distance.

Extrait 1 : A02/01-17

01 02

A BIENVENUE sur vi7vi point COM ! Philippe FOREST, COMMENT Dieu

INTERPELLE un scientifique CARTESIEN pur et dur ?= 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14

B =Un cartésien pur

et dur, ça c’est sûr que je l’étais, hein ! J’étais euh étudiant euh:: en maths euh en septième année après le bac quand le – quand j’ai fait cette rencontre avec Dieu. Et euh::: j’étais effectivement particulièrement euh dur dans mes raisonnements et en particulier dans mes raisonnements vis-à-vis des chrétiens, vis-à-vis des croyants. Parce que j’avais euh::: – POUR MOI

l’Église, la seule chose que je connaissais de l’Église, c’était des gens qui se rassemblaient pour réciter des prières par cœur. Et euh::: MON RAISONNEMENT ETAIT QUE SI DIEU EXISTE, eh bien FORCEMENT

c’est lui qui nous a CREES. Donc il attend AUTRE CHOSE DE NOUS que simplement de réciter des prières par cœur. (0.2)

15 16 17

A °D’accord°. Euh si je comprends BIEN I:::: – il en FALLAIT pour que

QUELQUE CHOSE TE FASSE CHANGER d’avis au sujet de Dieu, en

particulier ? (0.2)

On notera d’abord que quatre actions sont accomplies entre les lignes 01 et 15 : A salue le public [01], puis interroge B [01-02] ; B va alors fournir une réponse [03-14], qui rencontrera une ratification de la part de A [15]. Laissons, pour l’instant, la salutation initiale et concentrons-nous sur les actions de questionner, répondre et ratifier. La structure de la séquence fait apparaître que l’un des interlocuteurs est en mesure de conduire les échanges par le recours au questionnement. On ne tardera pas à constater

que le procédé se répète tout au long de l’émission43. La récurrence de ce schème d’action

repose à la fois sur des propriétés séquentielles et catégorielles.

Au niveau séquentiel, la personne posant une question peut évaluer la réponse et procéder à une nouvelle demande44. Si ce dispositif fonctionne par alternance lors de la

conversation ordinaire, les interlocuteurs tendant à échanger les positions de questionneur / questionné, il est des situations où chacun des locuteurs se voit assigner une position spécifique et les actions qui l’accompagnent, durant toute la durée de l’échange. Ainsi, un comportement qui, en d’autres circonstances, passerait pour un manque de tact ou de l’indiscrétion, apparaît comme allant de soi, pour autant qu’il se donne à voir comme une modalité de l’entretien. Ce cadre interactionnel institue des rôles particuliers et attribue des positions énonciatives différenciées aux personnes en présence, chacune de ces positions (interviewer, interviewé) renvoyant à des catégories munies d’activités caractéristiques et d’attentes spécifiques45. Ces remarques en passant

font apparaître l’économie des actions que met en œuvre la situation d’entretien : A officie comme présentateur et, ce faisant, se voit conférer la tâche de poser les questions, alors que B, en tant qu’invité, se prête au jeu de l’interview et fournit les réponses46.

La description des activités qui caractérisent l’interaction entre les différents interlocuteurs met en lumière des phénomènes qui outrepassent la simple structure formelle de l’entretien. Ces activités (questionner, répondre, ratifier) se répercutent sur l’économie du sens des propos échangés. Nous avons relevé la marge d’initiative interactionnelle dont bénéficie la personne qui questionne (ici, le présentateur). Cette

43 Aux lignes 15-17, A formule une nouvelle question et, ce faisant, relance le schème mis en exergue (questionnement, réponse), pour aboutir à une nouvelle ratification qui sera suivie d’une autre demande [cf. 34-37]. La même observation est pertinente pour décrire la structure des échanges qui prévaut durant l’ensemble de l’émission.

44 Cette maîtrise de la situation d’échange tient au fait que le questionneur attribue la parole à son interlocuteur et assortit cette attribution d’un mandat spécifique. Une fois que le questionné s’est acquitté de ce qui lui était demandé, le tour de parole revient naturellement au questionneur (à moins que l’interlocuteur n’ait inséré une demande à la fin de sa réponse, auquel cas, le dispositif énonciatif connaît une inversion). Sur le tour de parole [turn taking], voir les travaux classiques en analyse de conversation (Sacks, Schegloff, & Jefferson, 1974 ; E. Schegloff & Sacks, 1974 ; E. A. Schegloff, 1968). On lira la leçon « On Questions », que H. Sacks consacre au contrôle [monitoring] qu’est susceptible d’exercer, sur l’orientation de la conversation, la personne qui formule les questions (1992a, pp. 49-56). Pour un traitement du questionnement faisant dialoguer approche conversationnelle et démarche bourdieusienne, voir l’article de P. Encrevé & M. de Fornel (1983).

45 La terminologie de l’analyse des catégorisations évoque des activités liées à des catégories [category bound activities] (Jayyusi, 1984 ; Sacks, 1974 [1972]). Pour une brève introduction à l’approche

sacksienne de cette forme d’analyse, cf. B. Bonu, L. Mondada & M. Relieu (1994).

46 L’analyse de la conversation a donné lieu à une série de travaux sur les variations que connaît l’organisation conversationnelle dans des situations institutionnelles, tels les rapports entre

médecin / patient, avocat / témoin et interviewer / interviewé. Ces investigations sont recoupées sous l’appellation institutional talk. On en trouvera un exemple classique dans le collectif dirigé par P. Drew & J. Heritage (1992). Sur les interactions journalistiques, l’article de M. Relieu & F. Brock (1995) constitue une excellente introduction, la monographie la plus aboutie étant due à S. Clayman & J. Heritage (2005).

latitude se traduit également dans le choix des thèmes soumis à discussion. Et si le pouvoir d’initiative se révèle capacité à initier l’évocation d’un sujet, cette aptitude porte également sur le fait de clore une séquence, soit la possibilité de mettre un terme à un point particulier de l’échange, afin d’en aborder un autre. Cette liberté de manœuvre couvre également le champ compris entre l’ouverture et la clôture d’un thème : le questionneur est libre d’estimer que la réponse demeure lacunaire et de demander un complément d’information, des précisions ou un éclaircissement à propos d’un élément resté obscur.

Le rappel des activités auxquelles se livre le présentateur met en lumière son rôle de

médiateur dans le dispositif de l’entretien. D’un point de vue énonciatif, ses

interventions, qu’elles se présentent comme des demandes de clarifications ou des commentaires, ne renvoient pas simplement à sa personne, mais pointent également en direction du public. Il incarne le type de l’intermédiaire, du go-between, de celui qui se situe entre un invité présent et des spectateurs absents. À l’écran, il se substitue aux absents et se voit chargé d’aborder, avec son interlocuteur, les thèmes censés intéresser les individus qui visionnent la vidéo à distance. Le positionnement de l’animateur exprime dès lors quelque chose du public envisagé, il constitue une posture énonciative. Si l’on fait le lien avec le choix d’initiative et de clôture dont dispose l’interviewer dans l’évocation des sujets soumis à discussion, il apparaît que le présentateur procède à une première réception du discours de l’invité. C’est ici la démonstration du fonctionnement de la validation interne de l’émission que j’évoquais précédemment, en relation avec les enjeux de représentativité du matériau tiré de vi7vi.com. Simultanément à ce travail d’autorisation, l’animateur propose aux spectateurs de réserver, aux propos de son interlocuteur, un accueil similaire au sien. Son rôle le conduit notamment à évaluer la pertinence des réponses que lui fournit l’interviewé, en l’absence (interactionnelle, mais non médiatique) du public. La figure du présentateur constitue donc une figuration du spectateur, soit une proposition d’identification47.

L’analyse détaillée de l’émission reste à venir. Les remarques relatives aux économies des activités ou du sens constituent toutefois un préalable nécessaire, afin de saisir les éléments propres au dispositif énonciatif dans lequel s’insèrent les interlocuteurs sur le plateau et le public à distance. Il conviendra de demeurer particulièrement attentif au positionnement du présentateur, tant celui-ci semble contribuer à l’élaboration du témoignage. On verra bientôt comment cette participation à la production du récit prend

47 Certains travaux sur les interactions médiatiques parviennent à des analyses similaires (S. E. Clayman, 2002 ; Heritage, 1985), malgré une certaine faiblesse sur la question politique. À ce propos, voir A. Bovet & C. Terzi (2007).

appui sur le rôle qui incombe au présentateur (et en retire les bénéfices) dans la figuration du public.

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