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Débuter l’émission, ou la présentation comme mise en intrigue

La complexité énonciative de ce qui se noue dans les premiers instants de l’émission oblige à aborder séparément les interventions initiales. On commencera par traiter de la bienvenue que le présentateur adresse à son public et de la présentation qu’il propose de son invité, en guise de thème à l’entier de l’entretien. L’examen portera sur la relation triadique qui s’instaure entre un animateur, un invité en situation de co-présence et un public à distance, ainsi que sur le sujet traité, soit le fait qu’un scientifique cartésien a entendu un appel divin. La mention de la divinité introduit un quatrième personnage dans la relation, Dieu, dont on verra le type d’agir qui lui est imputé.

Extrait 2 : A02/01-04

01 02

A BIENVENUE sur vi7vi point COM ! Philippe FOREST, COMMENT Dieu INTERPELLE un scientifique CARTESIEN pur et dur ?=

03 04

B =Un cartésien pur

et dur, ça c’est sûr que je l’étais, hein ! J’étais euh étudiant

[suite p. 112]

La séquence débute par la salutation du présentateur, assortie de l’énoncé du titre de l’émission, « vi7vi point com ». Cet intitulé annonce la teneur du programme : on s’apprête à entendre un récit de vie, une existence qui peut également devenir la « tienne ». La brève description des plans formulée en introduction converge avec la nature du propos et laisse entrevoir la relation triadique qui s’instaure ici : l’animateur s’adresse à un public absent, en parlant directement à la caméra, puis se tourne vers son invité et l’interpelle « Philippe Forest ». Ainsi, ce qui se déroule au sein de l’échange entre les interlocuteurs ne relève nullement du simple dialogue, mais inclut le spectateur et le concerne. Pour rappel, l’inclusion de cette troisième figure transite par celle du présentateur, le dispositif médiatique attendant de celui-ci qu’il joue les porte-parole du public à l’écran. Partant, les interventions de l’animateur, loin d’être le fait de sa seule curiosité, sont censées tenir compte des intérêts du spectateur.

La relation triadique qui s’établit entre un interviewer, un interviewé et leur public repose sur l’évocation d’un sujet de conversation : « COMMENT Dieu INTERPELLE un scientifique CARTESIEN pur et dur ? ». C’est ici le thème que l’émission se propose

d’explorer. Bien plus, il s’agit d’une intrigue dont la suite des échanges promet de livrer la résolution. La tension qu’instille la question initiale joue sur la mise en rapport de deux figures généralement antithétiques, celle de « Dieu » et du « scientifique », selon l’opposition classique entre foi et savoir. On notera que si le premier ne fait l’objet d’aucun attribut, le second se voit dépeint comme un « cartésien pur et dur ». Dans ce dernier cas, l’accumulation des qualificatifs contribue à accentuer le contraste du scientifique à l’égard de la divinité ; elle décrit un engagement en faveur d’une vision rationnelle, voire scientiste de la réalité. L’expression « pur et dur » restitue bien la radicalité à laquelle prétend cette prise au sérieux de la science, mais dit également quelque chose quant à son caractère excessif et intransigeant, cette intransigeance pouvant aller jusqu’au ridicule48.

L’étroitesse d’esprit du scientifique a pour pendant une divinité définie par un agir qui, d’emblée, se veut relationnel : elle « INTERPELLE ». L’accentuation prosodique signale un antagonisme, le caractère « CARTESIEN » de l’autre membre de la relation faisant obstacle à l’interpellation. Au moment où le présentateur formule son tour de parole, le sens de la question peut sembler relativement indéterminé (bien que le projet évangélisateur du site Internet soit apparent et contribue à cadrer le propos). On pourrait imaginer, dans un autre contexte médiatique (et profane), que l’interrogation renvoie à un intérêt thématique pour le divin. Ce qui pourrait être reformulé de la sorte : « comment se fait-il qu’un scientifique cartésien s’intéresse à (l’étude de) Dieu ? » Une telle compréhension du propos implique que la divinité demeure encore l’objet d’un savoir ou d’une curiosité. Cependant, les premiers mots de l’invité mettent rapidement un terme au conflit des interprétations : « Un cartésien pur et dur, ça c’est sûr que je l’étais, hein ! ». La réponse tranche l’ambiguïté en posant que le patient de l’action est bien l’individu assis aux côtés de l’animateur. Si la remarque paraît anodine, elle n’en revêt pas moins des conséquences massives quant à l’agentivité qu’est susceptible de déployer l’entité divine.

« COMMENT Dieu INTERPELLE un scientifique CARTESIEN pur et dur ? » : la syntaxe de la phrase place « Dieu » dans la position du sujet, soit de celui qui agit, en regard d’un « scientifique » en situation de réception de l’interpellation. L’usage du verbe relationnel « interpeller » au mode actif fait saillir une réalité étrange ou, du moins, étrangère pour

48 On rapprochera l’expression « pur et dur » des catégorisations en genre [type categorizations] qu’évoque L. Jayyusi (1984, pp. 20-34) : « c’est le genre “bon samaritain” », par exemple. L’auteur signale que ces catégorisations peuvent contribuer à dégrader ou à traiter sur un mode ironique la catégorie assortie du qualificatif « il est du genre ». Jayyusi note cependant que les propriétés attachées par une catégorisation en genre ne sont pas nécessairement constitutives de celle-ci. Ainsi, dans notre cas, on peut être un « scientifique cartésien » modéré, par opposition à une posture intransigeante propre à ceux qui se définissent (ou que l’on définit) comme des « purs et durs ».

le spectateur profane : un monde dans lequel la divinité parle, y compris à des scientifiques ayant pourtant la réputation de démystifier les secrets de l’univers. Quant à cette parole, elle ne demeure pas sans écho, se révélant capable de faire éclater les barrières des raisonnements démystificateurs soigneusement disposées par un cartésianisme obtus. Il semblerait ainsi qu’aucun argument, aussi rationnel se voudrait- il, ne soit capable de prévenir définitivement qu’un scientifique entende l’appel du divin. La science ne saurait faire obstacle à la rencontre avec Dieu. Ce dernier énoncé constitue le postulat de l’émission. L’intrigue qui préside à l’interview ne vise pas tant à démontrer cette prémisse qu’à s’évertuer à montrer « COMMENT » cela arrive.

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