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Le caractère représentatif des émissions de vi7vi.com pour aborder l’évangélisme a été établi sur la base d’un argument tant démographique (les pentecôtistes représentent la fraction la plus importante des évangéliques) que médiatique (ces entretiens proposent une représentation collective de la conversion et de la foi évangéliques). Une partie du

26 En 2006, on recensait environ 150 millions de pentecôtistes classiques (Églises de Dieu et Assemblées de Dieu). Avec les charismatiques sortis des rangs du pentecôtisme, ce courant du protestantisme

rassemble plus de 500 millions de personnes, et leur nombre ne cesse de croître (Hollenweger, 2006 [1995]-b). Parmi les monographies portant sur ce fait religieux, on retiendra en particulier celle de D. Martin (2002).

27 Je m’appuie ici sur la sociologie phénoménologique que P. Scannell (1995, 1997) propose des contenus médiatiques. Le sociologue montre comment s’instaure une continuité entre le moment de production et celui de réception des émissions médiatiques en vertu d’une « intentionnalité communicationnelle » que l’on retrouverait de part et d’autre de la chaîne médiatique. Cette « intentionnalité » constitue une herméneutique partagée propre au sens commun. Ce que Scannell nomme également une « for-anyone-

as-someone structure » (2000). Cette structure phénoménologique est fort proche du « savoir partagé »

tel que l’entend J. Widmer (1999b), soit les opérations de sens commun qui s’inscrivent dans une relation entre énonciateur et destinataire et qui permettent de faire sens du discours en le réinscrivant dans une relation sociale qu’entretiennent ses producteurs et ses récepteurs.

raisonnement s’appuie sur le fait que les données proviennent d’un courant majoritaire. On s’apprête maintenant à infléchir radicalement la posture analytique pour s’intéresser aux cas marginaux. Ce mouvement constitue un choix méthodologique fort que seule une approche qualitative est en mesure de mettre en œuvre. En effet, les méthodes statistiques classiques procèdent en se focalisant sur les indicateurs moyens ou médians. Ce faisant, elles délaissent généralement les occurrences qui s’écartent de la tendance centrale, les tenant pour l’exception qui confirme la règle.

Or, tirant parti des acquis méthodologiques développés en vue d’appréhender les échantillons réduits et les cas statistiquement déviants28, je considère tout d’abord que

chaque entretien contribue à la compréhension globale du phénomène. Dans la situation des témoignages que l’on s’apprête à analyser, ce caractère significatif est d’autant plus vrai que le corpus n’a pas été généré de façon arbitraire, par le chercheur, mais qu’il est le résultat d’une sélection et de jugements naturels, propres aux évangéliques qui ont réalisé les émissions et les ont mises en ligne pour le compte de la dénomination la plus importante de France, les Assemblées de Dieu. Par ailleurs, toujours selon la même optique méthodologique, je propose de focaliser notre attention sur ce qu’une analyse tiendrait habituellement pour marginal. Il s’agit là d’un basculement du centre de gravité du corpus, qui ne vise pas à détrôner la tendance centrale, mais bien à l’articuler finement avec les occurrences numériquement faibles. Ces occurrences fournissent, en effet, des facteurs explicatifs décisifs portant sur la totalité des entretiens. On peut résumer cette posture par une opposition : si l’on appréhende le phénomène à partir de son milieu, il sera difficile de faire sens des éléments marginaux. Ceux-ci apparaîtront comme des écarts en regard d’une théorie générale. Par contre, en partant des cas de figure les plus rares, on est davantage en mesure d’avancer des explications valables pour

l’ensemble du corpus, en tenant compte de chacune des situations qu’il comprend.

Revenons aux émissions que propose vi7vi.com. Lors de mon enquête, j’en ai dénombré cent treize accessibles en ligne29. Mon souci, au moment de rassembler ce

matériau, portait en premier lieu sur les récits de conversion. Je n’ai pourtant pas cherché à les privilégier alors que je récoltais des données. Il s’agissait pour moi d’atteindre le chiffre de cinquante émissions où un converti raconte son cheminement, en

28 Ces méthodes comprennent l’analyse des espaces de propriétés (AEP), l’analyse qualitative comparative (AQC) ou quali-quantitative comparée (AQQC), ou encore l’induction analytique (IA). Pour une

présentation de ces différentes approches, on se référera à H. Becker (2002 [1998], chap. 5). Sur l’analyse qualitative comparée, voir en particulier C. Ragin (1989) et G. De Meur & B. Rihoux (2002). 29 Ces chiffres correspondent à la présentation du site Internet tel qu’il apparaissait jusqu’à l’été 2008, date

à laquelle l’interface a été complètement refondue. Le dénombrement s’est fait sur le nombre de séquences que proposait le site juste avant sa transformation. La mouture actuelle de www.vi7vi.com

diffuse environ 70 émissions. On trouvera la liste des 77 séquences que j’ai pris soin d’analyser dans l’Annexe 7.

conservant et en analysant tout ce qui se présenterait au cours de cette compilation. J’ai ainsi étudié soixante-dix-sept séquences (même si j’en ai visionné plus) sur un total de cent treize, ce qui équivaut à 68 % des vidéos présentes sur le site, comme le fait apparaître le tableau ci-dessous.

Tableau 1 - Corpus analysé et conversions rapportées

conversion conversion Total

analysés 50 [44 %] 27 [24 %] 77 [68 %]

analysés x y 36 [32 %]

Total 50+x 27+y 113 [100 %]

Analyse sur un échantillon total de 113 émissions (N total).

Les témoignages de conversion constituent la proportion la plus importante au sein du matériau recueilli, soit près des deux tiers (65 %). Le reste est composé d’émissions abordant des thématiques générales (35 %), relatives à la vie quotidienne, parmi lesquelles on trouve les relations de couple, l’éducation des enfants, la santé ou la réussite sociale30. Si l’on partait de l’hypothèse fictive que j’avais récolté tous les comptes rendus

de convertis, soit qu’il n’y en aurait pas plus de cinquante – ce qui n’est évidemment pas le cas –, ceux-ci formeraient déjà 44 % de l’ensemble des vidéos. En regard de la focale analytique adoptée, une approche sensible aux petits échantillons (« small N », diraient les Anglo-saxons), un tel corpus est un excellent point de départ. Car la sensibilité d’une telle analyse s’exerce avant tout sur la variété des cas, au sens où ils constituent autant de chemins réellement parcourus dans un arbre logique, plutôt que sur l’importance numérique de l’un de ces chemins, serait-ce celui majoritairement emprunté.

30 Ces chiffres sont obtenus en divisant le nombres d’émissions qui, au sein du corpus, présentent une conversion (50), ou n’en rapportent pas (27), par le nombre total des séquences qui constituent ce même corpus (77).

Tableau 2 – Thèmes évoqués dans les témoignages de conversion

présent présent Total

(N [% en lignes])

Jésus 45 [90 %] 5 [10 %] 50 [100 %]

Bible 39 [78 %] 11 |22 %] 50 [100 %]

Croix 13 [26 %] 37 [74 %] 50 [100 %]

Analyse sur un échantillon total de 50 émissions (N total).

Si l’on se focalise, à présent, sur le contenu de ces témoignages, on constate qu’ils mentionnent « Jésus » (ou le « Christ ») dans l’écrasante majorité des cas. Ce qui semble congruent avec les étapes de conversion que suggèrent les « traités » (les tracts) dont usent les évangéliques pour répandre leur foi. Le rôle décisif que joue Jésus, en particulier au travers sa mort rédemptrice sur la croix, a également été relevé par les sociologues. C’est ce que les spécialistes appellent le « crucicentrisme ». Cette notion figure parmi les quatre indicateurs généralement retenus par les chercheurs pour définir l’évangélisme (avec l’importance accordée à la Bible, à la conversion et à l’évangélisation)31. Quant à la centralité du Christ dans le cheminement qui conduit à la

foi, S. Fath restitue, sous une modalité synthétique, le discours classique du protestantisme évangélique :

« Ce “chemin” propose une progression en trois étapes : l’individu doit d’abord prendre conscience de sa misère intérieure, de son état de péché, et exprimer ses regrets, son repentir. […] L’étape suivante consiste à “accepter” que Jésus-Christ, le fils de Dieu, est mort sur la Croix pour ses péchés. Ce faisant, le pécheur peut recevoir un pardon total de Dieu, restaurant la communion brisée par le mal. Enfin, il lui faut s’engager à devenir disciple de Jésus-Christ. Ce dernier est reconnu non seulement comme sauveur mais aussi comme seigneur : pour le converti, Jésus-Christ vit (car ressuscité) et il agit dans l’ici-et-maintenant du croyant “né de nouveau” au travers d’une parole normative avant tout connaissable par la Bible » (Fath, 2005a, p. 41).

Le contenu des témoignages recueillis sur vi7vi.com ne correspond cependant pas tout à fait à ce que propose la littérature d’évangélisation, ni à sa restitution synthétique par les sociologues. Notons tout d’abord le peu d’occurrences de la notion de « croix ». Même si on leur ajoute les trois mentions du fait que « Jésus a souffert », on parvient à peine à

31 L’historiographie de D. Bebbington (1989) sur l’évangélisme britannique semble avoir contribué à consacrer ces quatre caractéristiques, au point qu’elles ont été reçues par les sociologues de la religion. Nous reviendrons largement sur ces catégories au chapitre 5.

32 % des émissions. Ce qui montre que, dans certaines circonstances, le crucicentrisme ne constitue pas un opérateur central pour raconter sa conversion. Reste à savoir quel rôle il joue. Pourtant, il y a plus intéressant encore : les absences de « Jésus ». Dans cinq cas, des témoins ont pu rendre compte de leur cheminement spirituel sans faire référence au Christ et – tout aussi important – ce compte rendu a été validé par le présentateur, lors de l’entretien, et par les producteurs de la vidéo qui ont choisi de la mettre en ligne. Dès lors, cela signifie que d’autres instances vont prendre la place de « Jésus » dans le récit, afin de lui permettre d’être reconnu comme un « témoignage ». Et c’est précisément ces instances que je souhaite investiguer, avançant qu’elles donneront accès aux inférences et aux opérations qui sont celles du témoignage évangélique.

Dans les pages et les chapitres à venir, je propose donc d’analyser en détail quatre émissions où des convertis racontent leur parcours. Les deux premières vidéos ne font aucune référence explicite au Christ32. Le second couple d’interviews rapporte par contre

des manifestations de Jésus dans le cadre de « visions »33 : dans un cas cette visitation est

étroitement reliée à la Bible et à l’Esprit Saint, alors que ces entités sont absentes dans l’autre séquence. Le cinquième entretien étudié ne fait pas état d’une conversion. L’invitée y décrit sa pratique quotidienne de l’Écriture34. Cette investigation permettra de

complexifier la question de la reconnaissance de ce qu’est un évangélique, c’est-à-dire, en premier lieu, comment il est reconnu par un coreligionnaire. À noter qu’ici, les transformations identitaires qu’autorise le récit sont indissociables d’une grammaire de l’appartenance.

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