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Engendrer dans la foi : « mes enfants appartiennent au Seigneur »

Marie-Laure est présentée comme une femme du vingt-et-unième siècle qui a la foi34.

Au présentateur qui lui demande « QUE REPRESENTE cette foi en Dieu °pour toi° ? » [14], elle répond : « D’ABORD CE QUE ÇA REPRESENTE POUR MOI C’EST QUE::::::: (0.7) j’ai une bible » [15-16]. Ces premiers échanges restituent la teneur de l’émission. L’invitée ne témoigne pas d’une conversion, mais du commerce quotidien qu’elle entretient « depuis toute petite » [29] avec la « Parole » de Dieu [cf. 33]. Après avoir confessé qu’elle ne peut

32 L’indétermination de « Seigneur » est discutée plus en détail au chapitre 5. 33 Cette conversion herméneutique est abordée de façon approfondie au chapitre 4. 34 L’Annexe 5 contient la transcription complète de « La foi et la femme ».

se passer de cette lecture journalière, l’interviewée décrit dans le détail la discipline qu’elle met en œuvre tout au long de la semaine pour couvrir les différentes parties qui forment l’Écriture35. De fil en aiguille, l’interview en vient à aborder les activités

auxquelles peut se livrer une femme dans le cadre de l’Église. Marie-Laure évoque alors ses responsabilités auprès d’un groupe composé par une quinzaine d’enfants de trois à cinq ans à qui elle enseigne les « histoires de la Bible » [152-160].

Ce témoignage fait apparaître l’important travail d’enseignement qui est mis en œuvre dans les milieux évangéliques pour familiariser les enfants avec les Écritures. Dans la foulée, l’invitée énoncera une compétence essentielle pour mener à bien cette transmission : le savoir-faire parental. Car il s’agit d’éduquer les petits à conformer leur vie aux contenus de la Bible. Ce travail est d’autant plus facile que les histoires qu’elle contient sont réputées « vraies ». L’interview en vient progressivement à aborder comment Marie-Laure s’y est prise pour transmettre la foi à ses propres enfants. Elle décrit alors leur conversion dans les termes d’une appropriation personnelle de l’enseignement biblique. Toutefois, son implication de mère semble poser problème en regard d’un impératif implicite qui ne conçoit la rencontre avec Dieu que sur le mode de l’immédiateté. Extrait 21 : A05/161-183 161 162 163 164

A =°Ouais°. (0.3) COMMENT EST-CE QU’ON PEUT (0.3) COMMENT EST-CE QU’ON PEUT

arriver à communiquer euh:: (0.3) euh::: les – les vérités de la Bible à des enfants de cet âge-là ? °Ça paraît quand même

euh:::::: vraiment difficile comme mission°. (0.5) 165

166

E C’est tout simple. Il faut se mettre à la portée des enfants. Quand on aime les [enfants]

167 A [°mmh°] 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177

E on se met à leur portée. (0.3) Quand

on eu – quand on a eu des enfants soi-même (0.4) on s’est toujours – je me suis toujours mis à la portée de mes enfants. (0.5) Donc ça n’a pas été trop difficile pour moi de me mettre à la portée des enfants que j’ai eu à m’occuper. (0.7) Et:::: la Bible est un livre formidable parce que c’est un livre

d’hisTOIRES (0.5) mais de BELLES histoires, pas – pas::::: – de

BELLES HISTOIRES, des HISTOIRES vraies en plus ! (0.4) ET LES ENFANTS ce

qu’ils aiment ce sont des histoires vraies. Les enfants n’aiment pas qu’on leur raconte des mensonges. (0.2)

178 A °ouais°= 179

180

E =Et la Bible n’est PAS un livre – une (0.4) un livre de mensonges ! (0.2)

181 A °mmh°=

182 E =La Bible est une histoire vraie. (0.3) 183 A Et tes [propres]

Plusieurs éléments ressortent de cet extrait. En premier lieu, l’animateur apparente la transmission des « vérités de la Bible à des enfants » à une « mission ». On remarquera la précocité de l’exposition aux récits bibliques. Elle correspond au moment de la scolarisation des plus petits. De même, le découpage des tranches d’âges, ainsi que les effectifs annoncés, indiquent une prise en charge systématique de l’enseignement religieux depuis la petite enfance. Un encadrement qui se poursuit certainement jusqu’à la fin de l’adolescence, voire plus loin. Il ressort qu’une structure importante d’éducation biblique (et doctrinale) est proposée et mise en œuvre par l’Église que fréquente Marie- Laure. (Mes observations ethnographiques corroborent qu’il s’agit là d’une caractéristique générale de l’évangélisme.)

Ce qui nous conduit au second aspect, relatif aux qualifications nécessaires à une pédagogie adaptée pour transmettre ces « vérités » bibliques aux tout-petits. Ici, l’interviewée se revendique de son expérience de mère pour justifier ses compétences dans le cadre de l’enseignement dominical : « je me suis toujours mis à la portée de mes enfants. (0.5) Donc ça n’a pas été trop difficile pour moi de me mettre à la portée des enfants que j’ai eu à m’occuper ». L’évocation d’un savoir-faire parental constitue une réponse pertinente (du point de vue du sens commun) à la question du présentateur, alors que celui-ci s’enquiert des difficultés de communiquer un savoir biblique à de si jeunes enfants. Elle va cependant générer certaines tensions lorsqu’il s’agira, pour l’invitée, de raconter la socialisation religieuse de ses propres enfants.

Troisièmement, après avoir évoqué la pédagogie mise en œuvre, l’interviewée décrit le contenu de l’enseignement, soit « de BELLES histoires » tirées des Écritures. Plus important encore, Marie-Laure avance une autre raison décisive expliquant l’intérêt des enfants pour ce qui leur est transmis, et donc la facilité avec laquelle on peut leur apprendre cette matière. Si « la Bible est un livre formidable », c’est avant tout parce qu’elle contient « des HISTOIRES vraies ». S’ensuit un constat normatif quant aux goûts et aux attentes morales des enseignés : « ET LES ENFANTS ce qu’ils aiment ce sont des histoires vraies. Les enfants n’aiment pas qu’on leur raconte des mensonges ». Ce jugement est d’une part un postulat herméneutique central relatif à la véracité de l’Écriture. Un postulat qui, comme j’ai pu l’observer sur le terrain, est inculqué dès le plus jeune âge. Il opèrera plus tard comme le socle à partir duquel va se développer le dialogue intersubjectif avec Dieu au travers de la Bible. D’autre part, le même jugement

constitue une pique implicite contre la fiction et, par extension, contre tout ce qui a trait à l’imaginaire littéraire36.

Que l’on apprenne aux enfants des « histoires » bibliques n’entre pas en contradiction avec la formulation initiale du présentateur relative à l’inculcation des « vérités de la Bible ». Car les récits sont susceptibles d’être traités sur le mode de l’exemplarité, et le sont de fait. En réalité, on voisine avec la formule qu’employait Jean-Luc Zolesio alors qu’il évoquait « l’enseignement de la Bible ». Le terme « vérités » entretient une grande proximité avec l’idée de principe ou de loi. Et on saisit que l’entier des Écritures est à transmettre aux enfants comme un guide – sorte de corpus normatif – au moyen duquel ils pourront façonner leur existence37. Ce façonnage apparaît clairement dans la suite de

l’interview.

Extrait 22 : A05/182-202

182 E =La Bible est une histoire vraie. (0.3)

183 A Et tes [propres] 184 E [Donc] (0.3)

185 A enfants (0.2) euh::: c’est un petit peu la même approche ? (0.6) 186 E Oui=

187 A =Dans ton foyer (0.3) °avec [tes enfants°] 188

189

E [voilà] avec mes enFANTS

[je me s–]

190 A [contact] avec la Bible ? (0.3) 191 E je me suis appliquée à [leur]

192 A [°mmh°]

193 E communiquer l’Évangile. (0.3)

194 A °ouais° (0.3) 195

196

E Je les ai aidés (0.5) à:::: – à avoir la f(oi)– enfin je les ai aidés (0.6) à ce qu’ils s’approprient la Bible. (.)

197 A °mmh°= 198

199 200

E =Et je les ai aidés à vivre la Bible. (0.5) Et::: (0.6) mes enfants maintenant j’en ai deux. Mes enfants appartiennent au Seigneur. (0.5) Et mes enfants ont eu la – ont la foi (0.3)

36 Dans une autre émission, le présentateur va se livrer à une mise en garde contre la saga Harry Potter, avançant que la fascination contemporaine pour l’imaginaire est spirituellement dangereuse, cet imaginaire étant sous la coupe de Satan et de ses démons. Voir « Harry Potter, Halloween » : http://www.vi7vi.com/index_adsl.php?em=246 [consulté le 24.05.08].

37 L’inculcation du caractère normatif de la Bible se fait notamment au moyen de chants tels que le classique « Lis ta Bible, prie chaque jour, si tu veux grandir » (auteur anonyme), ou encore « J’aime la Bible car elle me dit tout ce que je dois faire » (Hélène et Samuel Grandjean).

201 A °D’accord°.=

202 E =ont la foi. (0.5)

Le présentateur rebondit à partir de la mention de l’expérience parentale de l’invitée. Il demande à Marie-Laure comment s’est déroulée l’éducation religieuse de ses enfants. La transcription fait apparaître la complexité interactionnelle de l’échange. Par comparaison, les moments qui précèdent et qui suivent l’évocation de ce thème présentent des tours de parole plus longs, moins d’interruptions ou de chevauchements. À elle seule, cette constatation se révèle insuffisante pour démontrer la difficulté inhérente au sujet évoqué, soit la transmission de la foi au sein du foyer. Toutefois, conjointe à d’autres observations, elle participe d’un faisceau d’éléments étayant cette difficulté.

L’interviewée avance qu’elle s’est « appliquée à […] communiquer l’Évangile » à ses enfants. La mention de « l’Évangile » est ce qui se rapproche le plus d’une évocation implicite du Christ ou de sa croix dans le cadre de l’entretien. C’est malgré tout la Bible dans son ensemble qui va occuper le centre de l’attention et permettre de décrire la foi des deux enfants de Marie-Laure. Ainsi, la formule « je les ai aidés » revient à trois reprises. Par son placement séquentiel, elle semble expliciter ce que signifie « communiquer l’Évangile ». L’aide maternelle porte sur trois éléments. Notons cependant que le premier d’entre eux fait l’objet d’un hésitation : « Je les ai aidés (0.5) à:::: – à avoir la f(oi) ». Le dernier mot n’est pas nettement articulé. Il reste en suspens. À peine l’énonce-t-elle que déjà l’invitée se reprend en avançant que son aide a consisté à faire en sorte que ses enfants « s’approprient la Bible ». La formule rencontre immédiatement l’approbation du présentateur. Puis, une seconde raison est esquissée en lien avec la précédente, portant sur la capacité à « vivre la Bible ». La sanction positive de ce double travail relatif à l’appropriation et au vécu du message biblique arrive avec cette locution typique disant, en milieu évangélique, une socialisation religieuse réussie : « Mes enfants appartiennent au Seigneur ». Il est alors possible de dire qu’ils « ont la foi ». Et, une fois encore, il s’avère nécessaire de corriger la temporalité de cette venue à l’évangélisme, la formulation « [ils] ont eu […] la foi » laissant à désirer.

Un élément apparaît clairement au destinataire de l’émission : la claire équivalence qui existe entre d’une part le fait de s’approprier la Bible, vivre selon ses vérités et d’autre part la conversion. Un second aspect se livre avec plus de difficulté. Il a à voir avec les détours qu’emprunte l’énonciation de l’invitée, avec ses pauses et ses hésitations. Entre « [j]e les ai aidés […] à avoir la f(oi) » et « mes enfants […] ont la foi », c’est toute l’épaisseur de la médiation maternelle qui semble avoir disparu. On passe d’une

formulation en première personne mettant en valeur l’activité d’une mère, à un passif où la progéniture reçoit la foi. Certes, il serait possible de tenir dialectiquement les deux énoncés en avançant que le travail de Marie-Laure participe à la conversion de ses enfants sans en être l’unique cause pour autant. Cependant, ce n’est pas cette voie que choisissent l’interviewée et son interviewer. J’en veux pour preuve les hésitations de l’invitée et la façon dont elle reformule la réponse initiale. Il en va de même quant à la manière dont elle corrige la temporalité de la venue de ses enfants à la foi. Cette adhésion ne peut être dite au passé, car on pourrait reprocher à la mère d’exercer une influence problématique sur ses petits. Toutefois, la démonstration de ce que j’avance finit de se vérifier ailleurs que dans la relation parentale. Le rapport de Marie-Laure à son mari mettra clairement en lumière ce que l’analyse a tenté d’exhumer jusqu’ici.

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