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Le chemin du fils, ou le « choc avec la Parole »

Jean-Paul est désormais un jeune homme sur le point de passer son bac. Il se rend en Angleterre sur l’invitation de collègues d’école très fortunés, non sans avoir préalablement demandé l’autorisation de ses parents. En arrivant sur place, l’enfant de chrétiens est quelque peu bousculé. Il découvre une facette de ses camarades qu’il ne connaissait pas : ceux-ci mènent « une vie assez curieuse » où « la drogue » côtoie « tous les commerces imaginables » [75-77]. Les choses se passent mal. Dans la foulée, le témoin rapporte le tournant central propre à son récit de conversion, la rencontre qu’il fait alors qu’il erre seul dans les rues de la capitale, dépouillé de presque tous ses biens par ses hôtes malintentionnés. Mais bien que ces derniers lui aient tout pris, ils ont omis – de façon providentielle – de lui dérober sa Bible. Et c’est précisément par elle que survient la transformation.

La sortie de l’enfance se fait dans cette situation de crise. Le jeune homme expérimente alors le « choc » de portions de l’Écriture qu’il reçoit comme personnellement adressées. Il associe cette herméneutique en première personne à la nouvelle naissance. Cette expérience reproduit de très près celle narrée par sa mère, en regard d’une rencontre immédiate de Dieu. Cependant, ce vécu spirituel conduit à la

singularisation de Jean-Luc vis-à-vis de la foi familiale. Le face-à-face avec la divinité permet l’avènement d’un ego spirituellement autonome.

Extrait 19 : A04/79-88 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88

D =Et::: ils m’ont tout volé. Je me suis retrouvé dans un parc, °euh:::° à Londres (0.3) SANS RIEN (0.4) qu’avec un pyjama, ma valise ET MA Bible. ET LA (0.3) POUR LA PREMIERE FOIS DE MA vie, COMME UN ADULTE, je me suis mis à dévorer la °Parole°. (0.4) Je me suis trouvé stupide d’être a– d’avoir été embarqué dans ces choses, un petit peu ébloui, QUELQUE PART, par euh (0.8) par leur façon de faire. (0.6) ET::::: J’AI DEVORE la Parole. Et J’AI s– s– ma conversion mon::: – ma connai– ma rencontre avec Dieu ce fut un CHOC (0.5) avec la °Parole° (0.5) vraiment un choc avec la

°Parole°.=

89 A =Plus précisément ?=

Pour Jean-Paul, le passage par le dénuement débouche sur la rencontre de son moi. La refondation du parcours biographique est signée par la mention de : « ET LA (0.3) POUR LA PREMIERE FOIS DE MA vie, COMME UN ADULTE, je me suis mis à dévorer la °Parole° ». Tout est contenu dans ce passage. La « PREMIERE FOIS » signale qu’une nouvelle temporalité est inaugurée et qu’elle rompt avec ce qui précède. Cette rupture correspond à la fin de l’enfance, le témoin rattachant le geste auquel il se livre sur le moment, « dévorer la °Parole° », à un comportement caractéristique de l’adulte. Ce qui apparaît comme une recherche effrénée de sens, cette volonté de scruter avec avidité l’Écriture, paraît indiquer que la quête qui meut l’individu a excédé ce que proposait le contexte familial et marque – spirituellement – le moment de l’émancipation. Et l’invité de décrire sa « conversion » (qu’il reformule en « rencontre avec Dieu ») comme « un choc avec la °Parole° ».

Extrait 20 : A04/89-117 89 A =Plus précisément ?= 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102

D =Plus précisément, j’ai OUVERT LA PAROLE

dans::: l’Ancien Testament, dans le Nouveau et j’ai lu de

grosses portions en peu de temps, presque seize heures par jour. (0.4) J’avais rien à faire. (0.6) Et quand on est jeune et c’est

L’ETE euh et on a la forme et on crie à Dieu, dans ce cas-là. (0.8) ET précisément, c’est le Psaume quatre-vingt quatre qui m’a:::: (.) percuté. (0.5) J’ai lu que Dieu disait je vais mettre: dans le cœur de ceux qui me cherchent un chemin (0.4) °tout tracé°. (0.7) Et quand bien même ils marcheront dans la vallée des larmes, ils ne craindront rien, il y aura un chemin tout tracé. (0.4) ET PUIS DANS LE PROPHETE – DANS LE CHAPitre Ésaïe – dans le prophète Ésaïe, je veux dire, dans le chapitre::: (pf) (0.4) trente-six, je crois (0.6) LE PROPHETE dit:::: Il y aura là

103 104 105

une voie sainte, un chemin tout tracé (0.5) ET tous ceux qui s’en:gageront, ils iront avec joie. (0.4) Il y aura pas de LION –

je paraphrase un peu, mais c’est ça que le [texte]

106 A [ouais] 107 108 109 110 111 D dit. Il y aura

pas de lion (0.8) ET:::: IL DIT EGALEMENT LES INSENSES même (0.3) ne

s’y égareront °pas° (0.6). Et ce jour-là c’était moi °l’insensé°. Vraiment – vraiment Dieu me parlait. (0.4) Et je sais pas

comment vous dire comment, mais=

112 A =°ou[ais°]

113 114 115

D [vrai]ment, ce jour-là, J’AI

FAIT l’expérience °de la nouvelle naissance°. (0.6) Vraiment le

Seigneur est entré dans mon cœur [°l’Esprit de Dieu.°] 116

117

A [Et QUEL ETAIT ce] – ce chemin

tout tracé ? (0.4) Euh: j’imagine qu’il y a quand même ensuite

À la demande du présentateur, le témoin va préciser les modalités de sa conversion. Celle-ci arrive par le biais d’une immersion complète dans la Bible : « j’ai OUVERT LA PAROLE dans::: l’Ancien Testament, dans le Nouveau et j’ai lu de grosses portions en peu de temps ». Il est important de noter comment on passe de la « PAROLE » aux deux grandes parties du Livre, ce qui corrobore le fait que les frontières s’estompent entre rapport scripturaire et relation conversationnelle. Tout comme Jean-Luc, Jean-Paul « crie à Dieu ». À nouveau, la réponse survient par le moyen des Écritures, un verset tiré d’un psaume : « je vais mettre: dans le cœur de ceux qui me cherchent un chemin (0.4) °tout tracé°. (0.7) Et quand bien même ils marcheront dans la vallée des larmes, ils ne craindront rien, il y aura un chemin tout tracé ». On demeure dans le registre de la commotion. Le « choc de la Parole » vient « percuter » le garçon par des textes vétérotestamentaires entendus sur le mode d’une assurance personnellement adressée.

Cette interlocution avec la divinité signe la conversion du témoin : « vraiment Dieu me parlait […] vraiment, ce jour-là, J’AI FAIT l’expérience °de la nouvelle naissance° ». Par comparaison avec la vision céleste de Jésus qu’expérimente sa mère, l’expérience du jeune homme est centrée sur la Bible. On notera que les Écritures sont l’opérateur principal de sa conversion, l’instauration d’une relation intersubjective avec l’entité divine étant rapportée au « choc » que suscitent deux versets vétérotestamentaires. Par opposition, le Christ n’apparaît pas explicitement comme le médiateur central de cette transformation. À moins de comprendre la mention du « Seigneur entré dans mon cœur » comme une allusion à Jésus. Cependant, ce « Seigneur » est aussitôt décrit comme « l’Esprit de Dieu ». Ce qui montre que le désignateur connaît une certaine

plasticité référentielle et permet ainsi une latitude dans la désignation de la divinité ou d’une entité spécifique au sein de la trinité32.

La vision de la mère de Jean-Paul est étroitement liée à l’écoute de la promesse de Jésus de donner le Saint-Esprit. Ces paroles du Christ, proclamées par un évangéliste lors d’une soirée d’évangélisation, vont susciter l’expérience visionnaire de la jeune femme et attester, à même sa subjectivité, le don divin qui lui est fait. Et c’est sur un mode similaire que son fils sera « percuté », bien des années plus tard, par une parole vive sortie de la Bible. La similitude tient à l’instauration d’une relation intersubjective et immédiate avec la divinité. Une immédiateté que dit l’image du « cœur ». L’effet est également similaire : tous deux se savent désormais personnellement habités par « °l’Esprit de Dieu° ». Ainsi, Jean-Paul relie étroitement une nouvelle manière de se rapporter aux Écritures au don de cet Esprit. Cette herméneutique conduit à entendre le Livre s’adresser directement à la subjectivité du lecteur, lui proposant d’investir en première personne les figures qui composent le texte. Pour Jean-Luc, cette figure est celle du « chemin tout tracé » que Dieu lui promet par l’intermédiaire d’un collage de versets tirés des Psaumes et du prophète Ésaïe.

Mais avant d’être décrite comme inhabitation divine, la conversion herméneutique de notre témoin est certitude d’une nouvelle naissance33. En tant que telle, cette renaissance

implique à la fois la réitération du vécu maternel, mais également l’affranchissement de celui-ci. Ce qui est vécu est semblable, mais la force du ressenti de Jean-Luc, l’immédiateté du contact avec la divinité, l’autonomise en regard du témoignage de sa mère. La foi du jeune homme n’est plus imputable à une socialisation religieuse. Elle est expérience en première personne, moment fondateur d’une subjectivité croyante, fiction véhiculant une anthropologie particulière où ego se voit dissocié des attaches qui ont contribué à le façonner : moi sans médiations.

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