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JEUNESSE, RELIGION ET SOCIÉTÉ

6. Un héritage lointain

Cependant, l’« individualisme contemporain », qui s’est imbriqué en chacun de nous, fait que nous avons souvent tendance à nous « individualiser » face à la souffrance. Comme le dit encore le Frère Flavien : « quand ça va mal, on se met à maugréer que la vie ne nous épargne pas, à nous interroger sur l’amour que le divin ne porte pas en nous. Cela, en oubliant que nous ne sommes pas seuls à être affligés, que c’est un tribut commun »88.C’est, peut-être,

un héritage de l’esprit « soixante-huitard »89. En effet, d’une certaine façon, on peut penser

que cette époque fut, pour nous, notre « instant des lumières »90.

transformation de la composition et de la structure du groupe ainsi qu’une modification de ses rapports avec le milieu ».

Voir Dictionnaire de Sociologie, Paris, Larousse 2005, p. 52.

87 Temple Jéhovah de Ouakam, entretien non formel. 88 Ibid.

89 Il ne s’agit pas, dans notre présentation, d’une critique du mouvement politique et social, bien au contraire. Au

cours du travail nous ferons remarquer, en nous appuyant sur les propos des enquêtés, que leur besoin de se montrer comme porteur de foi dans l’espace public est la conséquence de conflits de visibilité et de reconnais- sance avec leur parent. Beaucoup reprocheront un certain nombre de choses à leur père et / ou à leur mère. Ce qui nous amènera à nous interroger sur l’origine des conflits enfants / parents à travers des mythes religieux, (judaïsme par exemple et de l’antiquité grecque). Nous nous sommes, par ailleurs, intéressé aux parents de ces jeunes et nous sommes rendu compte que la plupart étaient de la génération 1968, essentiellement des « baby- boomers » de la première vague pour les pères (période qui, en nous référant aux travaux de Grand ’Maison et Solange Lefebvre, Une génération bouc émissaire. Enquête sur les baby-boomers, Montréal, Les Éditions Fides, 1993, 436 pp. Collection : Cahiers d’études pastorales, no 12 ; Recherche-action. Troisième dossier]

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Il serait légitime de dire que l’esprit de soixante-huit a bien marqué le Sénégal et pas seulement pour les raisons que nous pensons. En vérité, nous étions loin d’une banale grève d’étudiants. Les causes et les enjeux allaient bien au-delà. Nombreux ont été ceux qui ont pré- senté le mouvement comme une réaction, une sorte de mimétisme de la jeunesse face à ce qui se déroulait en France. Là-bas, il y avait également des enjeux qui allaient au-delà d’une simple action revendicatrice menée conjointement par des élèves, des étudiants et des travail- leurs. Il y avait plusieurs parties, chacune avec des réclamations, mais une chose les rassem- blait tous : le besoin de reconnaissance. La France était, à cette époque, une France puritaine, bien assise sur des valeurs traditionnelles et conservatrices. Elle avait un chef charismatique, à sa tête, qui faisait office de « père » de la nation91, Charles De Gaule incarnait le symbole de

la gérontocratie dominante, mais également la figure de la privation pour des jeunes qui aspi- raient à plus de liberté.

Le gaullisme renvoyait désormais l’image d’une France vieillie, conservatrice qui avait besoin de se redynamiser. Une France qui, à travers sa jeunesse, désirait un nouveau souffle, un nouvel élan, une France qui devait porter les aspirations d’une jeunesse en quête de rup- ture. Cette vague contestataire eut raison sur De Gaule qui quitta le pouvoir après le référen- dum de soixante-neuf pour laisser la place à son ancien premier ministre, Georges Pompidou, qui, à sa manière, incarna une certaine rupture en habituant les Français à la « politique people »92, la politique spectacle des Américains qui sera encore plus portée par Valérie Gis-

card D’Estain.

Cependant, le propos n’est pas de faire l’histoire politique de la France des années soixante-dix, mais de déceler les aspirations profondes qui furent à la base de ce mouvement de contestation, dans le but de comprendre ce qui s’est passé au Sénégal à la même époque.

http://classiques.uqac.ca/contemporains/grandmaison_jacques/generation_bouc_emissaire/bouc_emissaire.html) va de 1945 à 1975).

Il nous a alors paru important de revenir sur la psychologie de ce groupe en nous intéressant plus sur la généra- tion qui est considérée comme celle rebelle qui va de 1945 à 1966. Voir Marie-Paule Dessaint, « Petit guide de la retraite heureuse », in Groupe Eyrolles, 2005.

http://www.eyrolles.com/Chapitres/9782708135819/chap1_Dessaint.pdf

90 Cette idée d’individualisation de la souffrance et de l’affliction témoigne de l’individuation du sujet. Le sujet

se perçoit et se voit comme autonome et différent du groupe. Il ressent et se représente les choses de façon indi- viduelle, saisit sa destinée comme individuelle et non plus liée au collectif. C’est, en réalité, un héritage inavoué de l’esprit de 68 qui est tout simplement la découverte, voire la conscience de l’individualité.

91 Gérard Mendel, La Révolte contre le père. Une introduction à la socioanalyse, Paris, Petite Bibliothèque

Payot, 1978, p. 20. [1968, 3e édit. Revue et complétée1972 ; 4e édit. 1974, 5e édit. 1978]

92 Jamil Dakhlia, Politique people, Rosny-Sous-Bois, Bréal, coll. Thèmes et débats Société, 2008.

L’auteur désigne, par cette expression, le lien entre les formes anciennes de représentation du souverain et l’exposition contemporaine des acteurs politiques. Il insiste sur le pas franchi avec l’apparition de supports mé- diatiques se donnant pour objet principal la valorisation des personnalités du spectacle.

Voir également Pierre Leroux, « Jamil Dakhlia, Politique people », Questions de communication [En ligne], 15 | 2009, mis en ligne le 21 mars 2012, consulté le 21 mars 2015.

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La réponse se trouvera dans la « sociopsychanalyse » de G. Mendel93 qui nous a permis de

déceler le profil sociologique des manifestants.

Il y avait, en effet, deux groupes qui luttaient, l’un pour prendre le pouvoir et l’autre pour sa conservation. Le scénario ne s’éloigne pas trop de celui de la grande révolution fran- çaise de 1789 pour laquelle, les petites gens s’étaient retournées contre les Seigneurs dans le but de reprendre le pouvoir et avoir « droit » à plus de liberté. Ce ne fut pas le seul fait des travailleurs miséreux des bas-fonds parisiens ou des campagnes françaises, au sens large. Il y avait aussi le concours des « issus » de ces groupes qui s’étaient enrichis par le travail, mais il leur manquait l’autonomie, la reconnaissance et le droit de jouir d’un statut.

Il s’agissait des bourgeois qui cherchaient à évincer la noblesse dans le but de prendre sa place au sein de la société. Ce qu’ils ont fait dans la mesure où ils ont, une fois détenteur de leur pouvoir et de leur reconnaissance, reproduit leurs usages et leurs codes. L’usage de parti- cules pour ce qui sera, par la suite, nommé « la noblesse de robe »94, les mariages de jeunes

bourgeois avec des filles de jadis grandes familles nobles pour toujours asseoir une certaine légitimité, à leurs yeux, mais également à ceux du peuple qui est resté ce qu’il était.

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