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Cadre théorique

Section 2 : De roulement de l’enque te

1.3. L’analyse du mythe

1.3.1. La jeune comme Icare dans le soufisme

Dans ce travail, la situation des jeunes face au religieux et au pouvoir des séniors s’analysera non pas comme une forme de réalisation du complexe d’Œdipe, mais plutôt comme des Icare des temps moderne. Toutefois, nous tenterons, bien très tentant, de ne pas les présenter comme son équivalent dans la tradition religieuse, Absalom. Ce sera, l’occasion, à travers ces mythes, d’aborder les relations père / fils, et sénior / cadet dans la société sénéga- laise. À travers le mythe d’Icare, on retrouve l’histoire d’un jeune homme ambitieux tué par cette dernière et son besoin d’aller au-delà des limites que lui fixe la réalité sociale. Icare était

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le fils de l’architecte Dédale et de Naupacte, une esclave crétoise ; la précision à son impor- tance et nous verrons pourquoi412.

« L’ambition naît d’un complexe par rapport au père »413

Le père est toujours présenté, aux yeux de la société, comme une personne de prestige, un homme hors du commun. Ce mythe du père est souvent entretenu par une mère qui se sent inférieure par sa condition (origine sociale) ou par son instruction. Elle tentera ainsi de proje- ter ses ambitions sur son fils qui se devra d’être aussi fort, être aussi savant que son père, voire même le dépasser. Ce qui n’est pas vu d’un bon œil par le père qui, ne comprenant pas toujours que si le fils cherche à l’égaler ou le dépasser, ce n’est pas pour le tuer414mais pour

s’attirer sa reconnaissance, pour qu’il soit fier. Autrement dit, pourquoi Alexandre le Grand a- t-il fait un aussi grand exploit militaire si ce n’était pour rendre fier Philippe, un père mépri- sant animé d’un complexe de supériorité envers un fils qu’il voyait plus comme un rival. Ce- pendant, l’image du père et sa reconnaissance restent importantes dans la construction du fils. La mère va susciter la rivalité entre les deux comme l’a fait Olympias. Le rôle de la mère de- vrait, comme le montre ce témoignage de M. Cornaton, d’œuvrer à entretenir le mythe du père et non à le déstabiliser. Les conséquences de la démystification du père ne seront pure- ment privées et personnelles, elle entraînera celle de la société toute entière dans la mesure que c’est sur lui que repose le système politique le plus ancien que l’homme ait pensé, le pa- triarcat. Aussi, Cornaton d’écrire à l’intention de sa mère :

Je serai toujours reconnaissant à ma mère de m’avoir donné, malgré le si- lence qui entourait alors les affaires de famille et les choses de la mort, les quelques bribes de mots qui m’aidèrent à me construire un père imaginaire mais aussi symbolique peut-être plus inoxydables qu’un père réel.415

Icare était connu pour avoir volé trop près du Soleil et d’en être mort. Son père lui avait quand même conseillé de ne pas trop se rapprocher du soleil, mais il n’a pas pris le soin de lui dire pourquoi il ne fallait pas. Ce mythe aborde des thèmes comme les relations père / fils, l’effet néfaste que peut avoir un conseil. Dans la réalité, il faut penser que le père se pose

412 Dans les représentations populaires, c’est le père qui confère la grandeur et la mère peut, parfois, être amenée

à susciter l’ambition d’atteindre ou de dépasser la grandeur du père. Voir partie suivante sur cette question.

413

Entretien M. Sy.

414 Comme le montre Gérard Mendel sur l’origine du conflit père fils ; les fils qui tuent et mangent le père pour

s’affirmer.

Voir Gérard Mendel, Quand plus rien ne va de soi, Paris, Éditions Robert Laffont, 1979.

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comme celui qui réprime les ambitions du fils qui, contre sa volonté, est vu comme un rival du père et de commettre la faute l’hubris ou crime d’orgueil. Hérodote a, en son temps, admi- rablement bien résumé cette attitude et ses conséquences. Pour lui, « le ciel rabaisse toujours ceux qui dépassent la mesure »416

. L’hubris ou la démesure deviendra, au fil des temps, la par- ticularité des sociétés modernes. Cette incrimination de l’orgueil doit être interprétée comme une ruse devant tuer toute prétention chez les hommes de dépasser leurs conditions d’hommes et vouloir égaler les dieux.

Platon présentera, dans un de ses « dialogues », cette attitude comme source de destruc- tion d’une société avancée, telle qu’il en a été avec les citoyens d’Atlantide,

[Les Atlantes] n’avaient que des pensées vraies et grandes en tout point, et ils se comportaient avec douceur et sagesse en face de tous les hasards de la vie et à l’égard les uns des autres. Aussi, n’ayant d’attention qu’à la vertu, faisaient-ils peu de cas de leurs biens et supportaient-ils aisément le fardeau qu’était pour eux la masse de leur or et de leurs autres possessions. […] Mais quand la portion divine qui était en eux s’altéra […] et que le carac- tère humain prédomina, incapables dès lors de supporter la prospérité, ils se conduisirent indécemment, et à ceux qui savent voir, ils apparurent laids, parce qu’ils perdaient les plus beaux de leurs biens les plus précieux, tandis que ceux qui ne savent pas discerner ce qu’est la vraie vie heureuse les trou- vaient justement alors parfaitement beaux et heureux, tout infectés qu’ils étaient d’injustes convoitises et de l’orgueil de dominer. Alors le dieu des dieux, Zeus, qui règne suivant les lois et qui peut discerner ces sortes de choses, s’apercevant du malheureux état d’une race qui avait été vertueuse, résolut de les châtier pour les rendre plus modérés et plus sages417.

Loin de vouloir verser dans une quelconque forme de psychologisme, il s’agira de faire la lueur sur cette situation à laquelle les jeunes sont confrontés, autant dans le domaine social, familial, religieux que professionnel. Les séniors tentent, par tous les moyens, de conserver non pas l’amour de la mère comme le signalait Freud à travers le complexe d’Œdipe, mais le prestige et le pouvoir social. Dans ce cas, s’opèrera dans la société, une forme de Titanoma- chie. Les jeunes se présentant comme des Zeus qui tenteraient de se libérer de séniors Chro- nos. Ainsi l’activité religieuse et confrérique, en particulier pour le musulman, (le même rôle

416 Hérodote, L'Enquête, trad. A. Barguet, Gallimard, Bibl. de la Pléiade, Paris, 1982 (rééd.). 417

Platon, Critias, cité par Léa Gz, « L’hubris ou le crime d’orgueil », in Philosophie, revue en ligne, publié le 28 avril 2015.

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sera joué par les églises charismatiques avec les bergers) par l’action des cheikhs et des mara- bouts qui se présentent comme une sorte de Rhéa devant les aider à se sauver du Chronos.

On ne peut ne pas penser à Bachir sur ce sujet qui se demandait dans son entretien : « Pourquoi la religion doit-elle être l’opium des jeunes ? »418

. Cette question est fréquemment revenue dans les propos d’interlocuteurs membres de la communauté ñaseen. Très souvent, on se rendait compte qu’ils n’en connaissent pas l’origine et se contentent simplement de la réappropriation qu’en ont fait certains de leurs leaders de leur communauté. Peu importe, en fin compte, la formulation exacte ou encore sa paternité. Ce qui compte, ce sont eux, ce qu’ils semblent vouloir dire à travers ces mots. Que devrions-nous comprendre par cette question ? Que la religion aurait comme principal but d’endormir la jeunesse ? Quelle la soulagerait de certains maux dont elle semblerait souffrir comme le mal-être, l’incertitude face à l’avenir ? Ou faudrait-il, tout simplement, la comprendre comme un pourquoi pas nous ? Pourquoi les jeunes n’auraient-ils pas droit à une pratique assidue et intense de la foi ? Pourquoi un jeune ne devrait-il pas avoir accès au savoir conforme à la dévotion à Dieu ? Et c’est effectivement ce que la tarixa ñaseen prétend offrir à la jeunesse actuelle.

La communauté ñaseen se présente comme branche interne de la Tidjaniyya et tous ses membres se reconnaissent en Cheikh Ahmed Tidiane Chérif, initiateur de la confrérie tijaan. Bien qu’elle demeure dans les enseignements de la Tidjaniyya, une voie mystique dont l’essentiel de l’enseignement porte sur le pourquoi des choses qui arrivent, la connaissance des lettres célestes (Alif, Laam, Kâaf), lettres commençant certaines sourates du Coran, ce mouvement a toutefois opéré une rupture et se présente comme une sorte de « démembre- ment » de la voie traditionnelle initiée par le père de Baay Niass. Ce dernier, en opérant cette rupture qui connait une interprétation négative de la part des puristes et de la famille, trouve quand même une explication par le fait qu’il est considéré comme le Gouth al Zaman, le sau- veur de l’époque et guide de la fayda (la communauté de la grâce).

Cette communauté trouve sa particularité dans le fait qu’elle prétend mettre à la disposi- tion des jeunes musulmans les connaissances nécessaires pour vivre profondément leur reli- gion, en ne tenant pas compte de l’âge. Ce qui est une véritable révolution, une démocratisa- tion du savoir mystique. En effet, dans le mysticisme musulman, l’accession à certaines con- naissances, à « certains secrets », pour parler comme nos enquêtés, se fait par étape. Ces étapes sont liées à l’âge et à la maturité de l’aspirant qui souhaite accéder à la révélation de

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certaines connaissances ésotériques qui s’accompagnent d’une pratique soutenue des pré- ceptes de l’Islam.

Généralement, l’âge de quarante ans est pris comme point de départ pour commencer son initiation mystique, car c’est à cet âge que le Prophète Mohammad a reçu la révélation. Cet âge est aussi perçu dans la conception sûfi comme l’âge de raison, l’âge durant lequel le mysticisme prend sens chez un individu et qu’il commence à se départir des choses terrestres pour ne se consacrer qu’à la prière et à la méditation. De la sorte, quand on passait générale- ment devant les zawiya et autres temples religieux, on n’y voyait que des personnes âgées, la plupart à la retraite. Elles s’abandonnaient aux rituels religieux et/ou confrériques (prières,

wird, wazifa, xaadara entre autres.), s’il s’agit de musulmans. Il était, en effet, très rare de

voir un jeune d’une vingtaine d’années, voire moins y prendre part comme il est courant de le voir aujourd'hui.

Ce phénomène semble s’être amplifié depuis une dizaine d’années et coïnciderait avec l’implantation progressive des marabouts qui ont quitté les zones rurales pour les grandes villes du Sénégal. Ceci est beaucoup plus manifeste chez les jeunes de la tarixa ñaseen qui sont les plus visibles. En effet, ils se reconnaissent avec leur chapelet toujours enroulé autour de leur poignet droit. Ils passent une bonne partie de leur journée à l’égrainer en psalmodiant des prières. Prières qui auraient comme principale raison de les rapprocher de Dieu et d’accéder à sa connaissance.

Le wird, cette pratique pour laquelle des aspirants restaient des années durant dans la cour d’un marabout ou d’un cheikh, à attendre qu’ils les jugent aptes, suffisamment mûrs pour l’entreprendre. Ce qui permettra d’accéder à une connaissance de Dieu ou plutôt de le recon- naître dans ses manifestations les plus simples et les plus complexes. Cependant, ce qui nous intéresse le plus à travers ces mots, c’est la relation qu’il semble y avoir entre la jeunesse, les séniors et la détention d’un savoir religieux. Cet état considéré comme un moyen de libéra- tion, comment son accès est-il interdit aux jeunes dans le but de les contraindre dans la subor- dination. Avant cela, il serait important de revenir sur les relations sénior / cadet ou père / fils dans la société sénégalaise et les moyens mis en œuvre pour soit maintenir sa domination pour les uns ou se libérer pour d’autres. Enfin, le tiers arbitre (les marabouts) arrive à éviter les conflits par l’action religieuse.

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1.3.2. Représentation du père : entre Chonos et Dédale

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