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Cadre théorique

Section 1 : Proble matique

1.1. Choix et construction de l’objet

1.1.2. L’implication religieuse de la jeunesse

L’implication religieuse se manifeste, chez la jeune génération, par une pratique soutenue et régulière des préceptes de l’Islam et confrériques. Il est devenu fréquent de voir un jeune, d’un âge jadis pas considéré comme habilité à l’exercice de pratiques sacrées, prendre part à des activités ou rituels, que le regard, voire les représentations traditionnelles, ont toujours réservés aux anciens (séniors) pour des raisons que nous aurons à traiter.

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« La définition de la religion en anthropologie sociale », Texte présenté à l'université Laval dans le cours Idéologies et Religions, 1985 (département d'anthropologie), p. 1.

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Cette nouveauté peut, aux yeux d’épris de procédures traditionnelles paraître « a- normal » ou tout simplement indélicat de voir un individu à la fleur de l’âge, égrainer, à longueur de journée, un chapelet en psalmodiant des prières192

. Ce phénomène, qui laisserait

penser à un fait nouveau193

, s’est même transporté dans des villes européennes comme Paris avec l’action de jeunes en situation de migration savante. C’est comme si, une bonne partie de la jeunesse s’est, en même temps, découverte une profonde religiosité. Il est loin le temps où certaines personnalités religieuses se plaignaient du manque de religiosité des jeunes.

Nous avons remarqué que ce phénomène semble s’être amplifié avec la redécouverte des confréries mûrid194 et tijaan195, qui occasionnent des conversions massives parmi la jeune

génération, ce qui suscite en nous de nombreuses questions ; cela même si nous avons constaté, avec la revue bibliographique, que la question de l'implication religieuse des jeunes sénégalais avait été source de plusieurs interprétations. Cependant, le jeu ne consiste pas ici à découvrir des vérités nouvelles ou inédites, parce qu'étant un sujet fouillé jusque dans ses recoins.

Ce champ de recherche aura accueilli de nombreux chercheurs qui, avec des outils divers, se sont attelés à saisir les enjeux sociopolitiques de l'engagement confrérique des jeunes sénégalais. Ce qui nous conduit à considérer cet investissement religieux des jeunes, comme un phénomène d’« invention de la modernité à travers des dynamiques religieuses »196.

De cette reconnaissance, il paraît utile de spécifier que notre travail ne vient qu'en contribution à ce qui aura été déjà dit dans ce domaine.

192 Même inavouée, l’idée de B. Spinoza « Dieu est l’asile de l’ignorance » semble, inconsciemment et de façon

détournée de son véritable sens, ancrée dans les esprits, quelle que soit leur origine, leur statut et leur degré de religiosité. Autrement dit, qu’est-ce qui pourrait expliquer ces représentations négatives sur l’action religieuse des jeunes ?

193 L'implication de la jeunesse dans le champ confrérique ne peut, en aucun cas, être perçue comme un fait nou-

veau. En réalité, des jeunes qui adhérent à des confréries, il y en a toujours existé. Cependant, ce qui est nou- veau, c'est le fait que ces jeunes s'engagent dans une lutte âpre pour une meilleure visibilité dans l’espace natio- nal général, en prenant appui sur l'espace religieux. Cette tendance a comme principale conséquence de boule- verser considérablement les codes et lois qui étaient jadis en vigueur dans cet espace.

194 Nous avons à l’esprit les disciples murid de cheikh Béthio sur lesquels nous avions travaillé en master,

précisément sur « le sens de la soumission ou jeebelu dans la confrérie murid ». C’est le premier groupe qui a suscité de l’intérêt pour la jeunesse citadine.

195 Nous faisons ici allusion à la branche ñaseen qui est un « démembrement » de la confrérie tijaan. C’est en

observant les jeunes de cette tarixa que l’idée de traiter de la participation de la jeunesse dans les confréries nous est venue. Aujourd’hui, elle compte pratiquement plus de jeunes disciples que la confrérie mère.

196 Allusion est ici faite au travail de Xavier Audrain, « Devenir "baay-fall" pour être soi. Le religieux comme

vecteur d'émancipation individuelle au Sénégal », in Politique africaine, n° 94, pp. 149-165.

Il s'est, dans ce travail, attaché à présenter l'engagement des jeunes dans ce mouvement, souvent présenté comme marginal, comme la manifestation d'une volonté de modernisation devant conduire à l'affranchissement du sujet adhérant, des modes de dominations en vigueur dans la société.

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Cependant, nous nous attacherons, dans notre démarche, en nous appuyant sur les propos de nos enquêtés, à interpréter le sens qu'ils donnent à leur participation. En lien avec les réalités sociales vécues au Sénégal, il s'agit de déterminer, précisément, à quels besoins émotionnels, mais également sociaux, répondent cet engagement religieux. Aussi serait-il, dans un premier, important de comprendre comment il se fait que des jeunes soient aussi nombreux à adhérer aux confréries et à l’afficher197

, à une époque où le rationalisme et la sécularisation courtisent l’esprit de certains et les conduisent, de plus en plus, vers un Islam moins ponctué et beaucoup plus libre. Comme l’écrivions dans les premières lignes, l’idée d’un « Islam des Lumières », courtise de plus en plus l’esprit des croyants. En effet, il a été observé que, dans ce pays d’Afrique de l’ouest, islamisé selon le modèle sûfi, où les confréries religieuses s’imposent comme des instances de contrôle et de diffusion de la religion de Mohammed, les gens commencent à instinctivement tendre vers une vision « libéralisante » de la pratique religieuse.

Ce qui importe dans ce travail, c’est de se poser la question du pourquoi de ces conversions massives. Pourquoi adhérent-ils aussi massivement aux organisations confrériques ? Surtout à cette époque ? Cela suppose-t-il un retour vers le passé et les traditions ? Ou encore, un refus de la modernité ? Il faut dire que lorsque l’on parle de confréries, on a souvent à l’esprit, un groupe clos, fermé sur ses dogmes et essentiellement réfractaire à toute idée de changement ou de modernité. L’idée de religion ne saurait, dans sa pure acception occidentale, être considérée comme participant à la construction d’une modernité. En effet, la religion renvoie à la tradition, à des connaissances et pratiques statiques, immuables qui ne sont, en aucun cas, vouées au changement ou à la transformation.

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