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Cadre théorique

Section 1 : Proble matique

1.1. Autour de la notion d’objectivation

1.1.1. Objectifs et motivations

Ce travail s’articule autour de deux axes. Dans un premier temps, il s’agit, à partir d’éléments récoltés auprès de jeunes dakarois, membres de divers mouvements religieux, de travailler à saisir le sens de la participation religieuse de ces derniers, en relation aux réalités socioculturelles de l’époque. Il va de soi que les réalités sociales, culturelles, et peut-être même, économiques qui expliquaient, il y a vingt ou trente ans, l’engagement religieux, ne sauraient être les mêmes que celles de ceux qui s’inscrivent dans la temporalité de notre re- cherche329

. Les aspirations et les attentes semblent être en lien direct avec les réalités et les relations entretenues entre différents acteurs au sein de l’espace social. Il est, par la suite, question de présenter les voies et moyens mis en œuvre par les jeunes, pour investir, voire domestiquer l’espace social.

Comme nous l’avons énoncé, la forte représentativité de la jeunesse dans l’espace reli- gieux est un enjeu de taille dans la lutte pour le contrôle des espaces entendus en termes de

329 Nous avons réalisé notre terrain entre 2013 et 2014. Même si, nous avions commencé à réfléchir sur la ques-

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publics ou communs330. Cette représentativité se mesure à travers la capacité de mobilisation331

du groupe étudié332 autour de cérémonies ou rituels communs organisés dans le cadre de

mouvements de masse inhérents aux confréries mères333. Aussi, parlerons-nous en termes de

« visibilité » afin de désigner l’ampleur et le dynamisme de l’affirmation religieuse de la jeu- nesse334

dans les différents espaces de réalisation (consacrés ou auto-définis espaces d’accueil des manifestations religieuses).

Il est en réalité très peu fait cas de la question de la « visibilité » dans les différents tra- vaux sociologiques, ou anthropologiques portant sur le fait religieux. C’est un concept que nous empruntons à la sociologie des migrations, notamment aux travaux de la sociologue es- pagnol Carmen Gómez Martín335 qui utilise cette notion pour traiter des stratégies d’« invisibi-

lisation » des migrants clandestins provenant d’Afrique sub-saharienne. Dans notre travail, nous traiterons des processus sur-visibilisation336 de leur religiosité dans l’espace public. Au-

trement dit, il nous est revenu la délicate tâche d’interroger les profondeurs des convictions de nos pairs. Tout d’abord, il s’agissait de se poser la question de savoir, pourquoi le besoin de se montrer dans le vécu de son expérience religieuse. Quel est l’intérêt d’imposer sa foi au pu- blic ? Sachant qu’Emmanuel Kant disait de la foi qu’elle « s’éprouve, mais ne se prouve pas ». Pourquoi ce besoin de « publicité » dans l’espace public, pour reprendre H. Arendt ?

Quand on parle de sur-visibilité, c’est qu’il y avait bien eu une visibilité auparavant. Les jeunes étaient déjà présents dans les espaces de réalisation du religieux. Mais, c’était une pré- sence discrète, avec très peu d’initiatives prises, même concernant l’orientation de leur propre

330 Selon Philippe Chanial, l’espace public se particularise par une articulation entre espace de visibilité et espace

de mise en commun.

Voir « Espaces publics, sciences sociales et démocratie », in Quaderni, n° 18, Automne 1992. pp. 63-73.

331 Fabienne Samson Ndaw, « Dynamiques religieuses et mobilisations sociales en Afrique », in Alternatives Sud, Vol. 17-2010 / 235.

332 Quand nous parlons de jeunes, nous faisons moins allusion à un groupe uniquement défini par un âge. Nous

avons à l’esprit un groupe plus large intégrant également des sujets qui, parfois, ont atteint la trentaine, mais par improductivité, sont inclus ou considérés comme xalé. Karl Marx écrivait, in Critique de l'Économie politique,

La pléiade, Œuvres, t.1, p. 272. « Dans les sociétés capitalistes, l'individu développe ou acquiert son existence sociale par sa force productive matérielle » ; cela quel que soit l’âge biologique du sujet concerné.

333 Il existe au Sénégal quatre grandes confréries religieuses, la Qadiriyya, la Tidjaniyya, le Layeen et la Mouri- diyya. Il arrive que les groupes mère laissent échapper de leur flanc des ramifications qui parfois rivalisent de

succès avec elles.

334 Au sens des 20/35 ans, mais également, au-delà, dans la mesure où il nous est, très souvent, arrivé

d’interroger des gens qui sortaient de cette tranche d’âge. Toutefois, le but de cette digression volontaire était de les voir se remémorer leur début et de confronter leurs expériences passées à celles des jeunes de notre temps.

335 « L’importance de la visibilité dans les processus migratoires », PAPERS, Revista de sociología de la Univer- sidad Autónoma de Barcelona, 2009, nº 91, pp. 151-169.

« La visibilité : un nouvel outil conceptuel pour l’étude des migrations », in Ideahumanities, 2011.

336 Nous percevons et analysons cet effort de sur-visibilisation de soi et de sa condition dans l’espace social à

travers des pratiques religieuses ou comme une stratégie de domestication ou de captation du regard d’autrui sur soi.

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foi. Encore moins sur l’organisation des espaces ou le déroulement des rituels ou tout sim- plement de prendre part aux débats touchant les pratiques religieuses. Par contre, il est au- jourd’hui fréquent de voir un jeune, d’une vingtaine d’année ou même moins, égrainer, à lon- gueur de journée, son chapelet en psalmodiant des bénédicités, ou autres attributs divins. Qu’est-ce qui expliquerait cet effort, voire cette volonté de se montrer et d’afficher sa foi dans les espaces communs, peut-être même de la prouver à tous ?

Ce travail est une contribution à la connaissance du champ religieux dans le Sénégal ac- tuel. Il se veut également être un éclairage, d’une part, des relations de pouvoir et de domina- tion qui sont, de façon subreptice, mises en œuvre dans notre société. Il s’agit, en effet, de déceler et de montrer leur moyen de légitimation et de perpétuation au sein du groupe. D’autre part, ce travail est l’occasion de traiter des changements en cours dans la société, en général, souvent par l’action du religieux337. Il nous reviendra, dans ce travail, de montrer

comment s’opère ce changement, quels en sont les acteurs et par quels moyens ils arrivent à des changements et pourquoi le souci de changer les choses. Quelle est la nature de ces chan- gements ? Dans quels domaines s’opèrent-ils ? Quels en sont les enjeux ? Au-delà de ces pré- occupations, il est question d’interroger le sens, voire la signification profonde de l’engagement confrérique dans ladite société. C’est-à-dire, de réfléchir sur le sens historique justifiant l’existence d’une tradition confrérique au Sénégal. Nos questionnements sont abor- dés dans une approche se réclamant à la fois de la sociopsychanalyse de Gérard Mendel et de l’anthropologie marxiste d’Ernesto de Martino. Il nous incombe, du reste, suivant les deux angles d’approches, en partant des récits retraçant le parcours, voire l’itinéraire spirituel de nos enquêtés, de travailler à saisir le sens ainsi que les aspirations inconscientes de ce qui est, dans ce travail, présenté en termes de visibilité religieuse.

La question de fond reste, toutefois, de trouver le lien entre inscription dans une moder- nité et implication religieuse. Autrement dit, quel rôle semble jouer ces organisations reli- gieuses et l’implication des jeunes dans la vision contemporaine de la religion ? En quoi, cela participe-t-il, à une redéfinition de la religion, en générale ?

Pour ce faire, nous nous intéressons au processus de conversion des jeunes. En effet, une réflexion sur la conversion est, sans doute, nécessaire pour comprendre, dans un premier temps, ce qu’implique de se convertir, et ce qu’il faudra attendre d’une bonne conversion.

337 Il s’agit des questions de l’individuation et de l’autonomisation abordées dans les lignes précédentes. Ces

deux dernières ont été présentées comme étant la conséquence de l’engagement religieux de la jeunesse qui a conduit à une redéfinition de la mission du marabout dans l’éducation du taalibe. Sa tâche étant, aujourd’hui, de l’amener à se libérer de l’entrave des pesanteurs sociales, voire des prédestinations familiales et sociales, en générale.

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Nous nous baserons sur les expériences d’enquêtés choisis principalement dans le mouvement

ñaseen. Même si nous nous plairons à recueillir des points de vue d’autres jeunes, membres

d’autres confréries ou mouvements religieux, mais également d’autres religions. Cependant, tous ont comme point commun le même groupe d’âge et la participation à un groupe religieux particulier. Comprendre les causes et la signification de la visibilité des jeunes dans l’espace religieux actuel, c’est, à la fois, s’attacher à expliquer comment ces jeunes perçoivent ces as- sociations et le sens qu’ils donnent à leur implication, sachant que ce phénomène s’empare d’eux, dans un contexte national comme étranger338.

À partir des discours de nos enquêtés, il s’agit d’expliquer cette vaste frénésie religieuse qui semble, aujourd’hui, s’emparer de la jeunesse sénégalaise, ou qu’elle se trouve. De plus, il nous a été fort utile de recueillir l’avis des anciens (parents et autres doctes des principales confréries) sur ce comportement. Il est, enfin, important de montrer, à la lueur de nos analyses et expériences recueillies, comment caractériser et analyser ce fait en lien avec la dynamique interne de la société sénégalaise entière ? Quels sont les changements en vue dans la société qui peuvent être imputés à ce fait ? Si cela participe à une transformation de la société sénéga- laise. Et comment ?

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