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Cadre théorique

Section 2 : De roulement de l’enque te

1.2. L’entretien libre

Après le regard, vient l’écoute. Nous avons, dans ce cas, choisi l’entretien libre Comme outil de collecte auditif. Une fois le thème dégagé, nous encouragions les digressions et autres envolées anecdotiques, de la part de nos amis. Nous insistions fortement pour que l’enquêté nous livre des anecdotes qui, reconstruites, nous ont permis d’écrire l’histoire de leur expé- rience religieuse399. Mêlant ainsi écriture ethnographique et mise en scène romancée, nous

nous inscrivons dans la longue tradition des writtings cultures avec comme figure de proue B. Malinowski400, C. Geertz et Marc Augé401, dans une moindre mesure. Seulement, nous nous

sentons plus proche des plus jeunes, et moins puristes, comme Éric Chauvier402 ou encore Mi-

chel Renahy403.

De plus, très psychanalytique dans notre démarche, nous nous refusions de trop interve- nir dans les séances, sinon pour relancer l’enquêté sur certains points sombres. En situation, nous le laissions se livrer librement, de sorte que parfois, il en oubliait compétemment notre présence et celle de l’enregistreur abordant ainsi des questions liées à leur intimité, la relation avec la famille, regard sur la société, intellectualisation de leur religiosité, etc. Aussi, avons-

397 Milton Yinger, Religion, Société, Personne, Paris, Les Éditions Universitaires, 1964, p. 12. 398 Ibid.

399 De petits récits que l’on retrouvera tout au long du texte, dans lesquels sont mis en scène quelques acteurs,

dans des rubriques différentes : « rencontre avec la confrérie », etc.

400 Journal d’ethnographe, Paris, Le Seuil, 1985.

401 La Traversée du Luxembourg : Ethno-roman d’une journée française considérée sous l’angle des mœurs, de la théorie et du bonheur, Paris, Hachette, 1985.

402 « Anthropologie littéraire », ce qu’il présente comme : « son anthropologie à lui » ou « anthropologie de

l’ordinaire ». Il s’agit de procéder à une étude anthropologique qui ne recherche pas la distance épistémologique, une anthropologie qui pose ses acteurs comme ce qu’ils sont : des acteurs tout cours à mettre en scène, tout comme lui se présente comme acteur dans ce que ses détracteurs appelleront des « terrains imaginés ». Par exemple, de la rupture, il se met en scène avec une mendiante pour traiter de l’impossibilité d’une interaction entre gens de conditions éloignées ; les fuites du regard qu’il traitera comme une « impression de familiarité rompue ».

403 Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, Paris, La Découverte, 2006.

Il traite, dans cet ouvrage, des difficultés que rencontrent les jeunes des classes prolétaires, paysannes, pour trou- ver un travail et s’insérer dans la vie active, tandis que la seule usine du village vient d’être fermée. Alcool, drogue et accident seront abordés à travers des récits et l’analyse des réactions des concernés qui, par moment, semblent donner l’impression d’une banalisation de la mort.

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nous beaucoup dans une optique lacanienne, travaillé sur les imagos, ces images mentales sur soi émanant d’une « autorité » que l’individu ancre et dont il ne se séparera jamais. Ici, il s’agit des imagos parentales404

.

1.2.1. L’approche ethnobiographique

Si nous en revenons aux entretiens, notre façon de les mener peut laisser penser au récit de vie, or nous sommes dans l’optique d’une démarche ethnobiographique. Afin de déceler ces stratégies, il nous a fallu dégager l’itinéraire des enquêtés. Tenter de remonter aux ori- gines de leur engagement afin d’en saisir les motivations réelles. Il s’est agi, dans cette dé- marche, de partir du point de vue des personnes enquêtées. Celles-ci ne pouvaient être abor- dées qu’à partir des « ancrages » en un point particulier de la structure des interactions so- ciales (famille) et en dehors.

Il ne s’agissait donc pas ici de procéder à une interprétation de chercheur distancié de son objet de recherche, mais plutôt de nous engager dans une posture de recueil et d’illustration de témoignages de jeunes « confré-risés » sur leur vie d’avant et dans la confré- rie. Leurs propos ont été, dans cette démarche, illustrés à travers des récits regroupant les dif- férents éléments recueillis durant leurs entretiens. Cela, dans l’unique but de reproduire et de raconter l’histoire de leur vie. Une histoire qu’ils auront eux-mêmes validée comme proposée en avant-propos avec Bachir.

Notre démarche a supposé, qu’après avoir recueilli directement par entretien les élé- ments, de les replacer dans une logique narrative suivant un ordre chronologique. C’est-à-dire dans un premier temps, identifier dans leurs propos les trois temps qui nous intéresse : décou- verte de la confrérie ; entrée dans la confrérie (condition dans laquelle se trouvait le sujet avant et durant sa phase de « conversion ») et actualité dans la confrérie (comment il vit au quotidien sa « confréri-sation ») ; l’impact que cela a dans sa vie actuelle, sa manière penser et de saisir le quotidien, impact dans sa relation aux autres, entre autres. Cela nous a, par la suite, permis de reconstituer de manière fidèle l’histoire de l’existence de l’enquêté.

Il serait important, après cette présentation de notre démarche, de préciser qu’elle n’a rien à voir avec le récit de vie, comme cela pourrait le laisser penser. Dans la mesure où con- trairement au récit de vie, la démarche ethnobiographique suppose avant tout un dépassement

404 Les parents qui honnissent leur progéniture pour une raison ou pour une autre. Ce qui amènera le jeune à

vouloir, pour se « re » -construire, aller vers un marabout et voir, à travers lui, l’image d’un père symbolique. Il sera pour lui un protecteur qui l’aidera à effacer ces images négatives qu’il porte par devers lui et qui lui interdi- sent tout épanouissement. De la sorte, l’action des marabouts sera saisie comme un effort de rééquilibrage autant psychique que social.

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du récit de vie qui demeure une illustration non vérifiée se fondant généralement sur une ren- contre unique qui sera disséquée par le chercheur lui-même, en une fois. Par contre, la dé- marche ethnobiographique suppose un dialogue continuel avec l’informateur405 de manière à

relativiser l’information ainsi fournie et à lui conférer une dimension critique406

. Dans cette perspective, le récit, une fois terminé, a été soumis à son auteur, après écoulement d’un cer- tain délai de manière à ce qu’il puisse susciter, chez lui, des critiques, des compléments et une véritable relativisation407

.

La démarche ethnobiographique suppose, d’autre part, que le récit porte, non seulement sur les différents avatars de l’existence de l’intéressé, mais aussi sur les membres du groupe et, de plus, sur les modèles culturels régissant la société dans laquelle a vécu l’informateur408.

Le récit se présente, dès lors, comme une véritable enquête ethnologique qui vise à présenter, à travers un exemple vécu, l’image fidèle de l’existence collective du groupe. En cela, il sup- pose que l’on élabore une méthode de recoupement en utilisant les procédés classiques (nou- vel entretien avec l’informateur), mais également en provoquant des « discussions de groupe » mettant en présence l’informateur et quelques-uns de ses co-expérienceurs, dans l’espoir de mieux approfondir et enrichir les récits. De toute façon, il aurait été difficile de faire autrement, car les enquêtés nous recevaient la plupart du temps dans les lieux collectifs où se tenaient leurs offices.

C’était, à chaque fois, après les offices, qu’ils se prêtaient à notre requête, en optant pour des entretiens ouverts sans entrer dans le formalisme des focus groupes. Ce qui facilitait l’observation des expressions et l’analyse de leur propos, car ce qu’ils révélaient, durant les entretiens de groupes, était repris durant les entretiens individuels, après avoir fait notre con- naissance. D’autre part, nous avons, à chaque fois que cela fut possible, utilisé la méthode des « récits de vies croisées »409

. Il s’agit de cerner la réalité vivante de l’histoire d’une expérience par une confrontation des souvenirs des différentes personnes ayant une communauté de foi en partage.

Les observations de situation ont été d’une grande utilité dans ce travail. Il faut dire que même si l’observation participante devient, aujourd’hui, pour les chercheurs en sociologie ou anthropologie, une méthode passe-partout quand on ne sait plus comment aborder son terrain,

405 C’est à chaque fois le producteur du récit, car c’est lui qui découpe lui-même les phases et étapes de son,

histoire qu’il juge intéressantes et pertinentes à aborder.

406 Lire Jean Poirier, « Ethnobiographies océaniennes, la sauvegarde du patrimoine culturel océanien », in Jour- nal de la Société des océanistes, n° 74-75, Tome 38, 1982.

407 Jean Poirier, art. cit., p. 120.

408 Voir Patrick Bruneteaux, « Les politiques de l’urgence à l’épreuve d’une ethnobiographie d’un SDF », in Revue française de science politique, 2007/1, Vol. 57, pp. 47-67.

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il a, dans notre cas, permis de saisir un objet particulier. Un objet qui, dès lors, qu’il se cons- tate en acte, s’observe en pratique. Donner un sens à un comportement, lui trouver une expli- cation, une signification rationnelle et objective ne peut se faire qu’en privilégiant le point de vue des acteurs sur le sens qu’ils donnent eux-mêmes, dans un premier temps à leur pratique, avant d’en chercher la signification réelle dans leur réalité sociale vécue. Les conversations engagées, parfois de façon informelle, ont également été particulièrement utiles pour saisir les enjeux symboliques de l’engagement religieux des jeunes sénégalais.

En effet, une fois les entretiens individuels réalisés et retranscrit, nous saisissions les thèmes abordés410 . Ainsi, les points de vue de chacun étaient rangés dans des cases. Une fois

ce travail achevé, nous convoquions des entretiens collectifs dans lesquels nous sortions, for- tement, des conventions traditionnelles qui régissent le focus-groupe. En effet, on réunissait les acteurs, par petits groupes, dans des endroits neutres. Nous les tenions souvent dans des locaux prêtés pour l’occasion (bureau) ou terrasses de chez des connaissances.

Il pouvait, par moment, être difficile de réunir certains qui pouvaient avoir du mal à se déplacer. Dans ce cas, nous les assainirons d’appels et de messages écrits durant la semaine, pour que le dimanche ils puissent être présents. Certains d’entre eux été raccompagnés en voitures tandis que d’autres qui ont commencé à manifester une certaine forme de dépendance à nos rencontres se sentaient redevable du fait de l’écoute et de la considération qu’ils trou- vaient que nous leur témoignions. Nous les réunissions pour des séances d’entretiens collec- tifs, parfois sans les prévenir qu’il y aurait d’autres présents.

Nous réunissions très souvent des membres de confréries différentes pour confronter leur expérience et voir si tous reviendraient sur ce qu’ils nous avaient révélé durant leur inter- view. Une façon de croiser les données et en choisir les plus fiables. Trois rencontres de ce type ont été organisées, deux avec des garçons et une avec des filles. Nous choisissions, après retranscription et mettons dans une case, les sujets les plus prolixes durant leur interview et les confrontions ainsi avec d’autres qui vont parfois livrer leurs expériences, la spécificité de leur organisation, leur regard sur la religion, sur la société, sur les rapports et interactions so- ciales entres autres. Très peu d’entre eux ont osé aller au-delà de la pudeur qui enveloppe leur expérience religieuse et se livrer lors de ces expériences collectives. Ceux qui le feront seront conservés pour le reste du travail, bien que les données des autres soient utilisées dans cer- taines parties du travail.

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Notre rôle était celui d’arbitre, nous procédions comme dans un groupe de parole. Nous nous limitions à l’organisation du débat, la distribution de la parole et à relancer certains, plus timides que d’autres. Pour terminer, il est important de préciser que les filles sont apparues moins timides à se révéler, en public, que les garçons.

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