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La religion se meurt non faute de croyants, mais par manque d’objet. Tout se passe à ce niveau comme si le processus religieux tournait quelque part dans le vide, à vide. Les croyants continuent de croire. Mais leur croyance est comme disloquée, faute d’objet précis à investir. Or que peut signifier une croyance qui n’a pas de contenu précis à croire ?

Yves Ledure, La détermination de soi. An-

thropologie et religion, Paris, Desclée de

Brouwer, 1997, p. 9.

La religion connaît un statut particulier dans l’étude sociologique. Ce type d’étude, par des méthodes de recherches spécifiques à la discipline, se fixe comme but de produire un dis- cours, un savoir objectif sur les usages de la religion dans une société donnée. Il s’agit pour le chercheur, de définir une logique sociale à potée universaliste permettant d’élucider le sens, l’intérêt social et sociologique de la dévotion religieuse, par un type particulier d’homme, à une époque particulière et dans un contexte social et culturel, politique et économique bien déterminé. Sa démarche n’a rien à voir avec celle du croyant qui ne cherche pas à se départir de sa subjectivité de croyant et qui tend à passer sous silence certaines questions auxquelles il sera confronté. De plus, son interprétation ne portera que sur les actes de foi, de dévotion et sur l’interprétation symbolique du divin. Cependant, si telle que nous le montrions à l’instant, la religion comme objet de recherche apparaît sous deux formes, il n’en demeure pas moins qu’elle s’appréhende de diverses façons, ce qui en fait un objet assez complexe. En effet, parmi les façons d’appréhender le religieux, les deux principales employées appellent à des positions. D’une part, il s’agit d’une vision du dehors et de l’autre, une vision du dedans. Toutes les deux répondent, selon l’orientation que le chercheur souhaite donner à son objet, à un besoin d’éclaircissement et d’élucidation des implications du religieux. Nous restons con- forme à Ernesto de Martino qui trouvait dans l’étude de la religion, une réponse lumineuse sur les aspirations profondes de la frange observée. Elle est également le moyen de saisir tout ce qui se joue dans un groupe social, dans ses cloisonnements les plus privés.

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Section 1: La religion comme objet

d’e tude sociologique

1. Introduction

La religion connaît une importance capitale dans le champ des sciences sociales. La preuve, les plus grands auteurs des différentes disciplines abordant les aspects de la réalité se sont tous « confronté à l’analyse du religieux et cette analyse occupe souvent une place non négligeable dans l’ensemble de leur œuvre »449. Nous n’en voulons pour preuve que le fait que

l’érection de la sociologie comme discipline scientifique autonome se soit trouvée liée à un intérêt grandissant pour les tournures que prend le religieux dans une société en proie à di- verses mutations. Elle fut, en définitive, pour elle, un moyen d’interroger la modernité dans toutes ses dimensions (politique, culturelle, sociale et bien entendu économique). Cet intérêt naît, sans doute, d’une volonté de rupture avec le passé et les traditions, dans le but de rendre compte du nouveau qui s’écrit et s’analyse dans le comportement social des individus d’une époque. Ainsi, serait-il, dans ce cas, possible de témoigner du nouveau qui s’organise sans porter une attention particulière au fait religieux.

Si alors, la religion s’appréhende dans cette discipline en termes de « faits », d’actions ponctuelles comportant en elles, des réalités, des motivations conscientes et inconscientes à révéler, des lois générales à édifier, il n’en demeure pas moins que la religion, dans un sens large, doit être perçue et analysée comme une institution porteuse de tradition, inspiratrice de modernité connue dans une rationalité sacrée et profonde, pourvoyeuse d’espoir et de volonté à ceux qui en portent la foi. Face à cela, nous resterons, quant à nous, convaincu que la rela- tion particulière qu’il y a entre société et fait religieux, est en elle seule une importante source d’analyse et d’interprétation d’une réalité sociale, des aspirations de ses acteurs ainsi que de la nature des interactions, cela quelle que soit l’époque et les générations. Nous restons con- formes à la volonté des pères fondateurs de la sociologie qui était d’élucider les lois et régula- rités qui régissent la vie sociale.

Émile Durkheim écrivait qu’il fallait expliquer la vie sociale, « non par la conception que s’en font ceux qui y participent, mais par des causes profondes qui échappent à la cons-

449 Danièle Hervieu-Léger et Jean Paul Willaime, Sociologie et religion. Approche classique, Paris, P.U.F., 2001,

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cience »450. Comprenons par-là que l’attitude sociologique appelle essentiellement une dé-

construction systématique des interprétations que les acteurs donnent de leurs actions et de leur « situation ». Cela, dans le but d’éviter de tomber dans l’écueil des interprétations « naïves »451

et partisanes. La religion apparaîtra sous deux formes aux yeux du chercheur, toutes deux présentant des spécificités d’analyses et d’interprétations des actions communes ou individuelles des porteurs de foi.

Dans un premier temps, elle se présente comme une construction sociale de la réalité, un système de références auquel les acteurs recourent spontanément pour penser leur condition et leur avenir. Elle se présentera essentiellement à travers des textes inspirés et des modèles d’hommes l’ayant également été par une divinité, comme un guide du bien vivre, avec un ensemble de lois et de codes de conduites. Ce qui amène au deuxième aspect qui veut qu’elle se présente aux yeux du chercheur comme la formalisation savante d’une explication du monde. Elle devient un moyen de donner un sens à l’existence de trouver un but à la vie ter- restre, posant toujours la volonté d’un esprit divin, supérieur comme unique source de signifi- cation et raison d’exister.

1.1. Polysémie et ambigüité du concept de religion en sciences sociales

On ne saurait aller plus en profondeur dans ce travail, sans pour autant définir ce que nous entendons par religion. Il faudra avant tout attester du caractère polysémique du concept. Ce caractère tient du fait que le terme connaît deux orientations dans les tentatives de défini- tions. Hormis les orientations disciplinaires qui font que chacune propose une définition par- tant de ses centres d’intérêts, de ce qui lui paraît important dans le sujet. Mais, les deux tenta- tives sont d’une part celle du croyant qui se plaira à définir « une religion » et non la « reli- gion », en insistant sur une description de ce qu’il perçoit comme la « vraie nature »452de la

religion. Dans ce cas, la religion sera pour lui, cette « instance qui nous permettrait de nous rapprocher de l’essence divine et de vivre conformément à sa volonté »453

.

Ainsi, Lamine présente la religion en insistant sur sa fonctionnalité essentielle qui est de raccorder l’humain au divin. Ce qui en fait naturellement une définition de l’intérieur, dans la

450 Les Règles de la méthode sociologique, collection Quadrige, Paris, P. U. F., 2007. 451 Didier Eribon, Retour à Reims, Paris, Flammarion, p. 52.

(Sur la nécessité d’aller au-delà des propos des enquêtés en procédant à une « rupture épistémologique avec la manière dont les individus se pensent eux-mêmes spontanément ».

452

Karl Marx & Friedrich Engels, Sur la Religion, Textes choisis, traduits et annotés par (G.) Badia, (P.) Bange et Émile Bottigelli, Paris, Les Éditions sociale, 1968, p. 13.

https://www.marxists.org/francais/marx/works/00/religion/Marx_Engels_sur_la_religion.pdf

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mesure où cette définition dégage les caractéristiques générales qui, selon lui, permet de dire que telle type de pensée est une religion et telle autre n’en est pas une. Il faudrait signaler en passant, que la religion a été source de débats, surtout dans le champ anthropologique. En effet, elle a surtout beaucoup souffert de l’ethnocentrisme qui caractérise les travaux anthro- pologiques du dix-neuvième siècle.

Les chercheurs occidentaux de cette époque avaient érigé une dichotomie entre, ce qu’ils considéraient comme la religion véritable (celle des européens) et celle des non- occidentaux considérée comme des « superstitions ». À ce titre, ils considéraient que les occi- dentaux avaient le seul vrai Dieu, et que, par conséquent, les autres en adoraient des faux. Ce qui fut à la base des missions d’évangélisations. Tylor définissait, quant à lui, la religion comme la croyance aux êtres surnaturels. Cette définition fit l’unanimité jusqu’au vingtième siècle. Cette dernière nous a amené à un deuxième type de définition qui se particularise par son empreinte « irréligieuse ». En effet, elle ne saisit dans la religion que son caractère surna- turel (croyance en un Dieu superpuissant). Ce qui nous paraît être une restriction interpréta- tive et abusive de la religion et de toutes ses dimensions. Cette position tend à faire voir la religion comme la réalisation fantasmagorique de l’individu sur ce qu’il ne saurait être, sur ses limites face au déterminisme naturel. Il faudra attendre pratiquement la fin de la deuxième moitié du vingtième siècle pour voir l’opinion changer sur la définition et donc le regard porté sur la religion.

En 1966, Clifford Geertz va publier un article novateur sur la question religieuse454. Il y

prendra ses distances par rapport aux précédentes idées véhiculées depuis Tylor et P.W. Schmidt455, pour défendre l’idée selon laquelle, la question religieuse devrait être abordée à

partir d’un contenu culturel particulier, c’est-à-dire que cette religion-ci consiste en la croyance en telle divinité ou encore que la religion constitue en une croyance dans le surnatu- rel. Ainsi, la religion sera considérée comme une forme culturelle, c’est-à-dire un système créateur de sens. Dès lors, on sort de ce que Milton Yinger appelait la « définition de valeur », c’est-à-dire décrire ce que « devrait être » à ses yeux la religion, telle que nous l’a précédem- ment proposé Lamine.

La définition de Tylor, quant à elle, met l’accent sur la religion en tant que système cul- turel, en insistant sur les doctrines, les rites, les textes sacrés, évidemment en comparaison par rapport aux autres. Geertz par contre, invitera à s’intéresser aux fonctions remplies par la reli-

454 Clifford Geertz, “Religion as a cultural system” in the interpretation of cultures: Selected Essays, pp. 87-125,

Fontana Press, 1993.

https://isites.harvard.edu/fs/docs/icb.topic152604.files/Week_4/Geertz_Religon_as_a_Cultural_System_.pdf

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