• Aucun résultat trouvé

Penser la modernité religieuse à travers l’islam

Cadre théorique

Section 1 : Proble matique

1.1. Choix et construction de l’objet

1.1.3. Penser la modernité religieuse à travers l’islam

Ce qui est dans la religion demeure et traversera le temps et sera transmis tel quel aux différentes générations qui la pratiqueront comme à ses premières heures. Or, l’idée de modernité renvoie au nouveau, le modernus. Cette idée implique nécessairement celle de rupture avec un passé jugé obsolète ou caduc et un à partir d’un instant précis sur lequel s’appuiera une idée ou une vision universelle devant servir de progrès. C’est là une inspiration de la philosophie cartésienne. En effet, en instaurant sa fameuse dichotomie dans le champ

197 L’appartenance confrérique se manifeste de différentes manières chez les jeunes murid : il y a le port des

photos de marabouts autour du cou. Pour les jeunes tijaan, c’est l’usage quotidien du chapelet. Dans certains cas, il ne s’agit même plus d’usage, mais d’un port esthétique dans la mesure où il est toujours enroulé autour du poignet comme, pour prouver, au besoin, son appartenance au groupe.

29

philosophique, Descartes a inspiré l’idée de rupture dans la compréhension de la construction de la modernité. En imposant un avant lui jugé incertain avec son doute méthodique et un à partir de lui correspondant à la modernité philosophique, avec la découverte de l’action de la raison qui fonde le concept de rationalité, il rompt avec le passé considéré comme traditionnel. Or, dans notre vision, la modernité se construit non pas par une rupture, mais plutôt à travers une volonté de réadaptation de ce qui existait déjà, c’est-à-dire des traditions et des coutumes dans le but de les rendre conformes avec les exigences ou les réalités de notre époque.

Il y a un ordre établi et inscrit dans la mentalité collective. Les individus, quelle que soit leur époque le reproduisent. Ils usent des mêmes stratégies pour trouver des solutions aux conflits ou angoisses auxquels ils sont confrontés. L’action religieuse pourra être perçue dans ce contexte. Nous restons convaincus que l’action religieuse joue un rôle fondamental dans l’organisation socio-politique des sociétés africaines, en particulier. C’est à travers elle qu’elles se construisent, pensent et orientent leur modernité.

Pour Jean-Louis Triaud :

La "nouvelle modernité sénégalaise" ne passe plus par une relégation du religieux dans le domaine privé ou dans le périmètre réservé aux organisations religieuses, mais, au contraire, par l’irruption de celui-ci dans la sphère publique, cet élargissement de l’espace religieux ne s’accompagnant d’ailleurs ni d’une surenchère d’orthodoxie, ni d’une rupture de type islamique198.

Toutefois, nous restons convaincu que le lien que nous tentons de dégager entre action religieuse et construction d’une modernité, pose des questions profondes. Tout d’abord, celle du degré de motivation religieuse ou dévotionnelle de cette action. Il ne s’agit pas de mesurer la foi de nos enquêtés, ce n’est pas ce qui nous importe. Seulement, il serait important de travailler à savoir si ces conversions seraient la manifestation d’une profonde conviction religieuse ou si c’est juste la réponse à un besoin statutaire de la part des concernés ?

L’ambition nourrie reste de comprendre les motivations qui conduisent ces jeunes à adhérer à ces groupes religieux et le sens qu’ils donnent eux-mêmes à ce que nous considérons comme une manifestation de visibilité religieuse. De la sorte, orienter notre analyse dans le sens de la construction, voire dans un procédé visant à déceler des éléments

30

d’élaboration d’une nouvelle modernité à partir du religieux s’inscrit, comme le note Abdourahmane Seck,

[…] dans le sillage de cette quête critique et tente de rendre compte d’un redéploiement de sens des canons de la parole dans la société sénégalaise de ces vingt-cinq dernières années. On a fait remarquer, combien de façon significative, ce « vivre au monde concret » prolongeait ici ses racines dans les références des vies et œuvres des propagateurs et leaders charismatiques des confréries, des héros politiques panafricains, des enseignements de la sagesse populaire, mais aussi de volontés ou d’aspirations citoyennes très marquées. L’idée, par ailleurs, d’une modernité à l’œuvre dans les sociétés musulmanes a été à la mode dans la décennie 1990 pour indiquer que ces dernières, en dépit du caractère chaotique de leur évolution récente, étaient en train d’inventer leur propre modernité politique. Il est utile de préciser, dans ces conditions, que cette notion de « nouvelle « accolée ici au mot « modernité sénégalaise » ne reste pas enfermée dans le champ lexical de la « nouveauté », comparativement à ce qui est ancien. Elle fait d’avantage signe, comme le dit Georges Balandier à propos du postcolonial, pour « une approche, une manière de poser les problèmes, un démarche critique qui s’intéresse aux conditions de la production des savoirs sur Soi et sur l’Autre

[…]199.

De plus, il ne manquera pas de rajouter, sur la question du sens et de l’intérêt scientifique de cette nouvelle modernité en construction dans les sociétés islamisées :

Cette nouvelle modernité sénégalaise représente donc moins un objet désigné qu’une perspective d’étude susceptible de conférer à des situations diverses relevant de traditions et de projets intellectuels et politiques divergents, une logique d’ensemble. Toutefois, le détour par les tensions qui affectent le mythe de l’État-nation, tout en interrogeant parallèlement le sens des négociations qu’elles provoquent, permet, dans une certaine mesure, de dégager quelques contours de ce concept. On pourrait qualifier ces tensions en parlant de ratures dans la rhétorique de légitimation historique que l’État-nation s’est octroyée, en se posant comme le lieu et l’instrument de la réalisation ultime du destin d’un pays promis à une modernité (occidentale).

199 Abdourahmane Seck, La question musulmane au Sénégal. Essai anthropologique d’une nouvelle modernité,

31

Ce qui a été mis en jeu dans cette modernité (première), qu’on a pu considérer comme extravertie ou d’importation, c’était la promesse d’une double transformation, ambigüe par ailleurs. Au plan politique et social, il s’est agi de construire un espace public, sur la base d’une exigence égalitariste, devant seul garantir la conservation du sujet communautaire en citoyen. En d’autres termes, de construire un périmètre d’existence et d’expression à un nouveau lien social : la citoyenneté. Une citoyenneté qui serait définissable alors comme l’opportunité d’une émancipation des tutelles traditionnelles et portée par une temporalité ignorante des structures d’ordre qui, jusque-là, réglementaient les statuts primaires et secondaires présidant à la vie privée comme publique200.

En fin de compte il s’agira, de fonder comme prétexte à travers ce concept et cette volonté extraordinaire de saisir la modernité à travers une institution qui a toujours été considérée comme confinant l’individu dans le passé et les traditions, et de respect, sans condition, d’un ordre « pré-établi ». Il s’agit, pour le chercheur, de partir « à la recherche de l’identité psychologique, historique, culturelle [du Sénégalais] d’hier et d’aujourd’hui »201

. Ce qui reviendrait, à la manière d’Octavio Paz202, de travailler à établir « un mode d’être et

d’habiter le monde, une manière personnelle d’être en prise sur la réalité historique passée et présente, sur destin actuel et futur […] »203. De la sorte, le jeune actuel, aux prises avec la

modernité, nous apparaîtra comme le « pachuco » dans l’œuvre de Paz, c’est-à-dire, cet être qui :

a perdu son héritage spirituel […] (croyances, religion, langues, etc. à mais au fond de lui vit encore quelque chose de son pays d’origine. Il ne peut s’identifier ni à la société nord-américaine qui le rejette ni à la société mexicaine qui ne l’a pas vu naître et grandir. Il ne revendique pas son origine et ne veut pas se fondre dans la société nord-américaine. Son accoutrement, son langage, le distinguent de ses concitoyens comme des descendants de ses aïeux. Si on ajoute à cela que le pachuco est jeune et qu’il s’entoure de compagnons de même âge que lui, on retombe sur les caractères habituels des héros mythiques. Carrefour e contradiction le

200 Abdourahmane Seck, op. cit., pp. 226-227.

201 El Hadji Amadou Ndoye, « Mythe et poésie dans le Labyrinthe de la solitude », in Annale de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Dakar, n° 10, 1980, p. 245.

202El laberinto de la soledad, Fondo de cultura Económica México, 1973. 203 El Hadji Amadou Ndoye, art. cit., p. 246.

32

pachuco est un être mal situé, un personnage dont on ne voit pas le centre. Il semble rebelle à toute compréhension204.

Ainsi, la religion devient, pour le jeune, qu’il soit dans ou en dehors du pays, le moyen de retrouver une origine et une histoire, mais également de s’inscrire dans une contemporanéité construite sur un fondement local. C’est ce qui nous autorise, dans ce travail, à aborder le sens du religieux en termes de « stratégie », qui n’est rien d’autre que le moyen de retrouver une identité et une histoire.

1.2. Le sens de la modernité religieuse dans la pensée de Muhammed Fethullah

Documents relatifs