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Cadre théorique

Section 1 : Proble matique

1.1. Choix et construction de l’objet

1.1.1. Regard sociologique sur la religion

La religion a toujours bénéficié d’un statut particulier dans le champ de la sociologie. Il serait même légitime de dire que c’est par et à travers elle que cette discipline naquit et prit forme. Étonnant donc de voir, qu’à la suite des travaux de Gabriel Lebras, Max Weber, Karl Marx ou Émile Durkheim, que la sociologie des religions soit, un tant soit peu, reléguée au dernier plan des productions dans cette discipline des sciences sociales. La raison de ce relâ- chement réside dans le fait qu’il semble difficile à aborder de façon neutre. En effet, elle est un objet qui suppose, de l’auteur qui l’aborde, la manifestation d’un certain engagement de sa part, voire d’une posture particulière qu’il lui faudra assumer et définir. Seulement deux pos- tures sont possibles avec cet objet si particulier : soit il est abordé à la manière d’un chercheur croyant, soit à celle d’un chercheur usant du paradigme « a-théologique ».

Dans tous les cas, l’analyse du religieux suggère une position même de la part du cher- cheur, qu’il soit du « dehors » ou du « dedans ». Cette posture manifestera une adhésion ou pas à un système de référence particulier. Nombreux ont donc été les auteurs qui se sont inté- ressés à la religion, selon des orientations et des perceptions particulières. Ainsi, ils l’abordent chacun avec une certaine philosophie, à travers une posture qui aura comme volonté de justi- fier les faits observés, les résultats obtenus ainsi que le type d’interprétation choisie174. Émile

Durkheim, considéré comme chantre dans les études sociologiques portant sur le sens du reli- gieux dans les sociétés modernes, l’abordait comme un fait éminemment social. Il proposait en cela, de l’étudier d’un point de vue social, c’est-à-dire comme une chose créée par le groupe qui lui donne un sens et une fonction.

Marx Weber175, dans une optique économique et compréhensive recherchait, l’origine, le

sens, voire les fondements de la modernité à travers l’éthique religieuse. Toute sa recherche, sur la question, se résumera autour de la volonté énoncée de trouver : « De quelle façon cer- taines croyances religieuses déterminent-elles l’apparition d’une "mentalité économique", autrement dit l’ethos d’une forme d’économie ? »176

. Il a donc, pour se faire, « […] pris pour exemple les relations de l’esprit de la vie économique moderne avec l’éthique rationnelle du protestantisme ascétique »177.

174 Il s’agit, pour le chercheur, une fois avoir défini le sens qu’il donne à la religion, d’essayer, à travers son

argumentation, de prouver que la religion répond, bel et bien, à l’orientation qu’il lui confère et du rôle qu’elle joue dans l’organisation sociale.

175 L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964. 176 Max Weber, op. cit., p. 26

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Wilhelm Schmidt178 portait, quant à lui, un regard de croyant179. Comme l’écrit Laubier,

son travail se différencie des deux premiers par sa croyance et son adhésion à une religion. Pour l’auteur :

Durkheim, qui est athée, écarte systématiquement ceux qui ne partagent pas son incroyance. Schmidt privilégie une approche qui se réfère à la croyance en Dieu et son catholicisme oriente souvent ses recherches. Weber, en ag- nostique d’inspiration Kantienne refuse d’aborder les questions religieuses fondamentales180.

Il existe alors, comme nous pouvons le lire avec P. Laubier, « différents niveaux d’études du fait religieux »181.

Comme nous le verrons dans le prochain chapitre qui visera à analyser la religion en tant qu’objet d’étude socio-anthropologique, il y a plusieurs façons d’aborder le religieux qui appellent à des postures qui émanent d’un engagement, voire de la reconnaissance de son rap- port personnel avec la religion. Ce qui, en plus, nous permettra de saisir le sens véritable de la sociologie religieuse en la mettant en lien avec la façon dont nous percevons l’activité reli- gieuse dans la société sénégalaise contemporaine. Parmi les différentes tendances en vigueur dans l’analyse du fait religieux, nous ferons donc la différence entre celles de types sociolo- giques dans lesquelles nous mettons les précurseurs à savoir Durkheim et Weber. Leur mé- thode s’appuie essentiellement sur l’observation empirique de réalités saisissables, c’est-à- dire les formes et expressions, voire des manifestations de l’activité religieuse dans un groupe donné. Ce qui aura tendance à en faire une activité collective qui n’a d’intérêt que dans une réalisation du même type.

Ainsi,

La sociologie religieuse se situe au niveau empirique et phénoménologique, mais elle n’est pas autonome parce qu’elle s’en tient aux apparences, et les objets, les actions et les idées qu’elle considère ne trouve toute leur intelligi- bilité que si on les rattache à des intentions et des causes qui échappent à l’analyse sociologique. Le sociologisme de Durkheim hérité d’Auguste

178 Origine et évolution de la religion. Les théories et les faits, Paris, Grasset, 1931.

179 Patrick De Laubier, Le phénomène religieux, Paris, Collection Aurore, Pierre Tequi, éditeur, p. 142. 180 Patrick De Laubier, op. cit., p. 64.

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Compte consiste précisément à nier la spécificité du religieux pour la rame- ner à un phénomène purement social182.

De ce fait, il faudra, pour celui qui s’inscrit dans ce type d’étude, parvenir à « […] cher- cher à un niveau supérieur, ce qui ne peut pas être perçu au plan purement empirique et de proche en proche, aborder les différents niveaux de la réalité pour mieux comprendre la reli- gion. ». Comme l’écrit Makhtar Diouf, il s’agit d’« étudier l’influence exercée par la religion sur les individus dans leurs comportements, donc la société »183

. S’intéressant particulièrement

à la sociologie religieuse de Karl Marx, l’économiste sénégalais affirme que ce dernier, « bien qu’ayant émis l’une des plus acerbes sentences contre la religion, contribua également à l’édification d’une sociologie analytique de la religion au vingtième siècle en levant le voile sur ses accointances avec l’économie »184.

Il semble, en effet, que l’ensemble de ses écrits posant les bases de son paradigme que ses exégètes regroupent sous l’appellation les « Écrits de jeunesse »185 ont été un modèle

d’analyse et d’appréhension de la religion en sciences sociales. S’inscrivant dans la pure tradi- tion marxiste, il consigne la religion, tout comme l’appareil d’État (institution et idéologie), dans ce que Marx appelait la « superstructure », tout en la faisant également déterminer par l’infrastructure c’est-à-dire les déterminants socio-économiques d’existence. Selon lui, « l’esprit religieux n’est rien d’autre qu’un produit social, et toutes les représentations juri- diques, politiques, philosophiques, religieuses, etc. des hommes dérivent en dernière instance de leurs conditions de vie économique »186.

Aussi, reconnaît-il que même si les deux idéologues du communisme refusent d’assimiler leur approche à un déterminisme économique, ils admettent néanmoins, le primat de l’infrastructure sur la superstructure. Ce qui aurait tendance à réduire la religion au rang de facteur déterminé. Refusant ce réductionnisme de l’action religieuse dans sa Lettre à Joseph

Bloch que cite Diouf, Engels écrivait que :

D’après la conception matérialiste de l’histoire, le facteur déterminant de l’histoire est en dernière instance la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx ni moi n’avons jamais affirmé davantage. Si ensuite,

182 Patrick De Laubier, Le phénomène religieux, Collection Aurore, Pierre Tequi, éditeur, p. 11.

183 Makhtar Diouf, Islam et développement. Économie politique et Charî’a. Le Coran et la Sunna, Max Weber et les autres, Dakar, Les Presses Universitaires de Dakar, 2008, p. 27.

184 Ibid.

185 F. Engels & K. Marx, Écrits de jeunesse, Paris, Broché, 1994

186 Karl Marx & F. Engels, Études philosophiques, Paris, Éditions sociales, Œuvres T.1, 1974, p. 58.

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quelqu’un torture cette opposition pour lui faire dire que le facteur écono- mique est le seul déterminant, il le transforme en une phrase vide, abstraite, absurde187.

Cependant, la donne est aujourd’hui toute autre. Les récentes études portant sur « le re- tour du religieux » ou encore le « réenchantement du monde » se sont accompagnées d’un regain d’intérêt pour les études de la religion. Des milliers de pages ont été noircies dans ce cadre, avec différentes méthodes, grilles d’analyses et différentes disciplines : sociologie, phi- losophie, psychologie, anthropologie, économie, histoires, entre autres. De plus en plus, l’analyse du sens de la religiosité se présente essentielle comme un besoin de compréhension des réalités et des réalisations humaines contemporaines.

Toutefois, il faudrait faire attention à la distinction faite par Milton Yinger entre « so- ciologie de la religion » et « l’analyse sociologique d’une religion ». Le premier vise, selon lui, « à découvrir les principes généraux concernant la place de la religion dans la société »188.

Tandis que « la seconde cherche à appliquer ces principes à des situations données »189. Toutes

deux se complètent et aucune ne peut être développée sans l’autre. Notre étude recherche, quant à elle, des principes généraux afin de comprendre le sens de l’action religieuse ainsi que le besoin de recourir à la spiritualité confessionnelle. Il ne sera donc pas question de dévelop- per une analyse sociologique complète des différentes religions ou même d’une seule d’entre elles. Les matériaux historiques dont on dotera notre argument ne sont là qu’à titres illustratifs afin de légitimer le sens et l’utilité des principes généraux ainsi dégagés.

Nous inscrivant dans une perspective anthropologique qui, contrairement à la sociolo- gie, aborde l’objet religieux en se focalisant essentiellement sur les regards « divers »190

que des acteurs de différentes aires culturelles portent sur le fait religieux. De la sorte, comme pour la sociologie, nous constatons, dans le champ de l’anthropologie, différentes manières d’aborder la religion comme activité sociale ou culturelle. Historiquement, elle repose sur la pure tradition ethnologique qui est à l’origine de la posture anthropologique. Cette tendance se fonde essentiellement sur une dichotomie, voire une opposition entre une perception occi- dentale de la religion et une autre conférée aux primitifs à qui ils attribuent des formes peu évoluées d’organisations religieuses. C’est sans doute dans cet esprit que Tylor définissait la religion comme « la croyance aux être surnaturels ».

187 Makhtar Diouf, op. cit., p. 27.

188 Religion, Société, Personne, trad. par Jean-Marie Jammes, Paris, Les Éditions Universitaires, 1964. 189 Ibid.

190 Quand nous parlons de regards divers nous avons à l’idée le sens particulier que chaque individu, chaque

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Le sens de cette définition de la religion porte aussi tout l’intérêt de ce travail qui était, au début, de découvrir le sens des croyances surnaturelles dans les sociétés anciennement considérées comme primitives. De ce fait, en nous inscrivant dans une posture essentiellement anthropologique, nous adhérons à la prétention de Paul Gosselin pour qui :

On s'intéresse désormais à la religion en tant que forme culturelle et à l'idée que la religion constitue un système créateur et manipulateur de sens. L'école de pensée fonctionnaliste en anthropologie sociale, qui s'intéresse évidemment aux fonctions remplies par la religion commence aussi à s'inter- roger sur la question du sens. Aujourd'hui, pour la majorité des anthropo- logues, la question du sens occupe une place centrale dans l'étude du phé- nomène religieux. Qu'il y soit question ou non, dans la religion, de croyances aux êtres ou aux forces surnaturelles tends à prendre de moins en moins d'importance. De l'avis de l'auteur, le fait qu'on ait remis en question la pertinence de l'opposition naturel/surnaturel n'est pas étranger à cette perte d'intérêt pour ces vieilles définitions. On est devenu plus sensible à l'ethnocentrisme et aux limites des catégories de pensée occidentales191.

Enfin, et c’est peut-être par-là que nous aurions dû commencer, les réponses que vous trouverez dans ce travail ne sont que les fruits de discussions formelles et informelles que nous avons tenues avec des membres des différentes confréries (jeunes et moins jeunes), mais également avec des musulmans et croyants d’autres confessions et allégeances. Il s’agit essen- tiellement d’une étude à visée compréhensive qui, s’appuyant sur les arguments des enquêtés, tentent de rendre compte de leur sens et de leurs représentations, si ce ne sont leurs plus in- times convictions.

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