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Du pouvoir politique des confréries religieuses au Sénégal

Cadre théorique

Section 1 : Proble matique

1.3. Particularité de « l’islam sénégalais »

1.3.3. Du pouvoir politique des confréries religieuses au Sénégal

Il faut reconnaître que ce qui manque souvent dans les travaux de sociologie, c’est l’inscription temporelle, chronologique de la pensée, voire de la vision du chercheur. Il est évident que les marabouts actuels de 2013249

ne sont pas les mêmes, n’ont pas les mêmes attentes et préoccupations que les marabouts d’il y a vingt ou trente ans. Notre quête, face à ce travail, est de procéder à une analyse qui tienne compte des réalités contemporaines (politique, économique et sociale). L’analyse en profondeur de la contemporanéité nous permettra de mieux saisir le rôle et l’importance des marabouts dans la société sénégalaise. Le comparatisme historique s’impose comme méthode d’analyse. Il s’agit de comparer la situation (économique, sociale, politique) des générations passées pour y saisir le rôle qu’y ont joué les marabouts. Le but étant de nous fonder en partie sur le passé pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui.

Ainsi, est-il opportun, dans cette quête, telle que la présentait A. B. Diop, « d’examiner les conditions historiques ayant rendu possible l’établissement de ce système : l’expansion de l’Islam dans la société, au cours des siècles, les formes de cette diffusion, les relations des marabouts avec le pouvoir politique »250. Analyser une situation revient à tenter de saisir les

mutations en cours dans un secteur. Ces transformations sont très souvent la conséquence d’exigences internes conduisant à des changements d’ordre politiques, économiques et sociaux. Durant notre master deux, nous avions tenté, sans les matériaux théoriques actuels, le même principe. En fait, nous nous étions rendu compte que le pouvoir des marabouts dans la société wolof, autant dans la société pulaar, arrivait suite à des exigences sociales qui eurent comme conséquences des mutations (autant sociales, politiques qu’économiques) qui allaient mettre les marabouts au-devant de ces sphères.

Sur le plan social, la société d’alors était une société monarchique, avec une idéologie de caste. Tout le monde sait ce à quoi renvoie une idéologie de castes et des fractures qu’elle cause dans une société. Pour cela, il serait intéressant, pour une meilleure vision de la caste et de son impact social, de se référer à l’ouvrage de Célestin Bouglé251 qui fait office de

classique dans l’étude des sociétés stratifiées Indiennes. Cependant, ce qui ne manquera pas

249 Année de réalisation du terrain.

250 A. B. Diop, La société wolof, tradition et changement : Les systèmes d’inégalité et de domination, Paris,

Karthala, 1981, p. 214.

251 Essais sur le régime des castes, Paris, Alcan, 1908.

Une édition électronique réalisée du livre publié en 1935, Essais sur le régime des castes. Première édition, 1908. 3e édition, 1935, Paris, P.U.F., 4e édition, 1968, 216 pages. Collection : Bibliothèque de sociologie contempo- raine.

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de heurter le lecteur de ce travail, c’est que nous nous rangeons dans la vision de Louis Dumont252 pour qui, l’idéologie de caste participe au maintien de l’ordre social dans un

groupe. La combattre reviendrait à déstabiliser l’ordre déjà établi. Dans notre affaire, les marabouts ont profité de la situation politique pour repenser un nouvel ordre social.

Sur le plan politique, la pénétration occidentale avait bouleversé l’ordre politique, en mettant à genoux la plupart des rois locaux. Annexant ces royaumes, les occidentaux vont soit contrôler eux-mêmes ces zones, soit y placer des hommes de confiance. L’ordre de caste qui trouvait son socle dans la monarchie (parce que fournissant au royaume ses principaux chefs) s’en retrouva fort déstabilisé. Les marabouts pulaar venant de leur contrée du nord, profiteront de cette situation (instabilité politique, défection du pouvoir local) sociale (l’idéologie de caste n’ayant plus de socle), économique (les occidentaux ont pris le contrôle de l’économie (agriculture, avec la confiscation des terres aux laman et aux royalistes).

De l’autre côté, les paysans subissaient perpétuellement les affres des razzias ceeddo. Cette situation donnera un peuple déstabilisé, ayant perdu ses repères et en quête de protection. Plutôt que de se soumettre à l’administration coloniale qu’ils voyaient comme un envahisseur, la plupart des petites gens (entendre le peuple et les « castés ») iront se réfugier auprès de ces marabouts qui, même s’ils étaient pour la plupart d’ethnies étrangères (pulaar) leur inspiraient la confiance et la sérénité dont ils avaient besoin. En fait, ils n’avaient pas vraiment le choix. Ils étaient pris entre deux feux : d’un côté, les occidentaux qui ne leur accordaient pas de statut (ils étaient corvéables à merci), et de l’autre, les ceeddo qui les pillaient sans cesse. La seule alternative fut les marabouts. Ils avaient en plus l’habitude de les voir aux côtés des rois. Ils servaient à ces derniers de conseillers et d’émissaires. La raison fut qu’ils détenaient un pouvoir, celui de l’écriture. Ils savaient fixer les événements, ils avaient le pouvoir de figer le temps et de voyager à travers lui253

. Ces marabouts leur offrirent un nouveau modèle de société fondé sur l’égalité, la justice, le respect de la vie et les idéaux islamiques.

Les marabouts de l’époque, en plus de l’enseignement de la religion, présentaient une vision de l’Islam dérivant de leur école de pensée, la voie de la connaissance de Dieu. Voilà ce qu’ils proposèrent aux gens qui venaient trouver refuge auprès d’eux. Ce furent d’abord la

Qadiriyya et la Tidjaniyya et bien après le Layeen et la Mouridiyya. Voyant le nombre, ils

252 Louis Dumont, Homo Hierarchicus. Essai sur le système des castes, Paris, Gallimard, 1971.

253 Prédire et lire ce qui venait d’ailleurs. Nous reviendrons sur ce point avec Donald Cruise O’Brien sur le pou-

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s’organisèrent en communauté autour des marabouts. Et bientôt tenteront, favorisées par leur nombre grandissant, de conquérir le pouvoir au nom de la foi (djihad).

Après avoir situé et analysé le contexte d’apparition du pouvoir politique des marabouts à l’époque de la pénétration coloniale, il convient d’en faire de même pour la deuxième étape qui est celle de la période coloniale en tant que telle. Ici nous scindons cette période en deux : l’époque de la pénétration avec les guerres de pouvoir contre les marabouts tijaan et l’époque après les djihad.

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