• Aucun résultat trouvé

La construction de soi à travers l’activité religieuse

Cadre théorique

Section 1 : Proble matique

1.1. Les sens des conversions religieuses massives

1.1.4. La construction de soi à travers l’activité religieuse

La participation religieuse répond ainsi à d’autres desseins. Il s’agit, dorénavant, d’user de la religion comme moyen d’individuation et d’émancipation. Cette idée, loin de vouloir traduire une quelconque vision utilitariste de la religion, telle qu’il nous le sera, sans doute, reproché, permet de voir l’action religieuse comme un moyen d’accéder à une existence so- ciale reconnue et légitime. Dans une société dans laquelle la modernité prise comme une oc- cidentalisation, a eu comme conséquence la disparition des stratégies jadis mises en œuvre, pour permettre aux jeunes sénégalais d’accéder à un statut.

L’accession à un nouveau statut était régie par un cadre institutionnel qui se fondait sur des phases d’initiation. Ces dernières étaient formalisées par des rituels qui s’accompagnaient nécessairement d’épreuves physiques et mentales devant permettre aux jeunes qui les subis- saient, de prouver leur valeur et leur mérite à appartenir au groupe des socialement reconnus. Ces épreuves symbolisaient la fin d’un cycle et le début d’une vie nouvelle, celle de per- sonnes adultes306 reconnue comme telles. La déstructuration de la société traditionnelle a con-

duit à un profond malaise qui est celui de l’allongement de la condition de « jeune », au sens de personnes sans statut particulier307. Les jeunes sont, à ce titre, en lutte pour une plus impor-

306 Adulte au sens d’homme fini. La notion d’adulte recouvre plus celle de personne.

307

Ces pratiques se symbolisaient par des rituels ou épreuves que le jeune, en quête de statut dans sa société, devrait subir afin de prouver ses aptitudes à être membre à part entière du groupe. Ici, il s'agit de se montrer comme digne d'appartenir à la société des hommes. Il fallait donc en donner la preuve ; montrer que l'on était assez fort, courageux, endurent et valeureux pour appartenir aux hommes et aux « vrais » ; assez intelligent, sage et vertueux pour appartenir à la phallocratie traditionnelle. Ces épreuves étaient dures, mais remplies de sym- boles. C'étaient des moments forts de sens qui devaient permettre à celui qui les subissaient et les réussissaient de prouver qu'il mérite sa place. Ces épreuves allaient généralement de la circoncision aux épreuves de recueil- lement qui s'en suivent (« leul »). Dans d'autres sociétés, s'étaient des épreuves physiques beaucoup plus dures et souvent dangereuses pour celui qui les subissaient. Dans tous les cas, il s'agissait d'un défi à relever. L'existence de ces pratiques ont assuré aux sociétés traditionnelles leur survie et la coexistence pacifique entre les groupes d'âges. Le jeune acceptait l'autorité et la domination des anciens parce que sachant qu'à un âge déterminé, lui aussi en fera partie. ; Qu’il n'avait pas beaucoup à attendre pour, lui aussi, accéder à ce statut. L'inscription de nos sociétés anciennes traditionnelles dans des sociétés de types moderne, avec de forts ancrages dans une ratio- nalité occidentale, créeront bien des conflits entre les générations. Cette inscription et la forte urbanité qui s'en suivirent créeront des situations conflictuelles qui commencent aujourd'hui à éclore. Enfin, ces situations liées, ont déstructuré nos types de sociétés, retirant aux jeunes tous moyens de pouvoir prétendre à une existence. En fait, les pratiques ou stratégies jadis mises en œuvre n'existent plus. Il n’y a plus de rituels, plus d'épreuves, mais le pouvoir gérontocratique est toujours en place et tend à s'éterniser, ne laissant nulle initiative aux jeunes. Ces pratiques étaient jadis les éléments régulateurs de nos sociétés. Aujourd’hui, elles prennent une connotation folklorique... La conséquence fut une confrontation sévère entre les anciens, détenteurs du pouvoir et des jeunes en quête de statut, impatients de prendre part aux activités de gestions de leur société. Le problème est qu'au-

68

tante visibilité et une meilleure reconnaissance. La participation religieuse semble, aujour- d'hui, être ce qui permet aux jeunes de trouver satisfaction à leurs aspirations en leur propo- sant des pratiques comme la tarbiya308 qui, à terme, permettrait à l’individu d’accéder à un

statut confortable et socialement reconnu.

Dans le principe, la tarbiya est un processus initiatique qui consacre la vie d’un néo- phyte. C’est un moment fort de sens et rempli de symboles, une période d’endurance et de méditation qui est sensée lui apporter, entre autres qualités, la maîtrise de soi vis-à-vis des appétits de la vie ainsi qu’une dévotion parfaite.

Pour Aliou :

La tarbiya est le moyen de faire accéder le taalibe à Dieu. C’est une mission que Dieu a assignée à Baay Niass. L’objectif de toute voie est de faire accé- der le taalibe à Dieu. Quelle que soit la voie, quelle que soit la tarixa. Et ce- ci passe par la tarbiya. On dit généralement, que c’est l’épopée de la re- cherche de la connaissance divine, c’est la façon dont Baay Niass éduque ses taalibe afin de les faire accéder à Dieu. Cependant, il y a des raccourcis pour y arriver. Et, Baay fait emprunter à ses taalibe un chemin raccourci

[…]

Durant cette épreuve, la moralité et l’endurance du taalibe sont mises à rude épreuve. In

fine, ce qui sera acquis, c’est le ngeerëm du marabout, la reconnaissance sociale et symbo-

lique de sa filiation maraboutique qui confère un statut légitime dans la société. En effet, une fois l’initiation achevée, le jeune se sentira apte et légitime à énoncer un discours sur sa foi. Il ressent le besoin de partager ses expériences, les résultats de ses méditations et de ses discus- sions avec son maître. Il pourra ainsi aider les autres qui n’ont pas eu cette expérience à faire une sorte de thérapie psychanalytique en trouvant des réponses à leurs angoisses existen- tielles. Selon Aliou : « […] Il y a des gens qui se posent des questions par rapport au sens de leur vie. Quel est le but de leur présence dans ce monde. Ils se posent des questions sur le sens de la vie, sur le but de la vie. La tarbiya offre des réponses à ces questions. ».

Une fois la foi et le savoir acquis, il est important, pour le jeune, d’être reconnu comme dépositaire. Pour ce faire, il lui faut être vu. Ce qui explique, le besoin presque vital d’investir les espaces publics, soit pour partager leurs expériences à travers des débats ou pour des

jourd'hui, la jeunesse tend à se prolonger dans notre société, l'individu est vu comme jeune jusqu'à un âge avan- cé, avec des répercussions sur la perception même de la classe d’âge.

308Forme d’éducation mystique dispensée dans les confréries. C’est durant cette phase que le taalibe acquiert les

69

séances ritueliques. Il s’agit, pour eux, d’occuper le maximum d’espaces communs et de poser leurs pratiques et religiosité en débat dans l’espace public.

Documents relatifs