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Significations socio-historiques de la tradition confrérique au Sénégal

Cadre théorique

Section 1 : Proble matique

1.3. Particularité de « l’islam sénégalais »

1.3.2. Significations socio-historiques de la tradition confrérique au Sénégal

L’engouement observé des jeunes pour la tarixa, nous a conduit à nous interroger sur la signification socio-historique des confréries dans la société sénégalaise. Ce qui a permis de constater que l’organisation confrérique a, depuis son apparition, joué un rôle important dans la transformation de la société sénégalaise. C’est par son biais que la société traditionnelle s’est réformée avec les idées nouvelles véhiculées par les initiateurs de confréries.

Comme le montre Aliou :

La confrérie joue un rôle important au Sénégal. Beaucoup sont entrés dans cette religion par l’intermédiaire d’une voie. Parce qu’ils ont vu un mara- bout qui les a plus, ça arrive. À notre époque, beaucoup de ceux qui sont en- trés dans la religion, l’ont faite par la tarixa. Tous ceux que Baay a fait en- trer dans la religion l’ont été par la tarixa. Tout ce que faisait l’Islam, le djihad et tout, aujourd’hui. Et puis, en plus, elles imposent une forme d’organisation à la société. Il est vrai qu’avant c’était aux rois d’assurer ce rôle, mais aujourd’hui, ce sont les marabouts. Baay Niass a dit que les poli- tiques s’occupent de tout ce qui est du monde des hommes, mais tout ce qui relève du spirituel leur incombe. Parce que dans la vie, il n’y a que ces deux choses. Le zaahir et le baatin, ce que tu fais dans ta vie de tous les jours, comme par exemple ton travail. Et ce qui relève de ta foi. Que tu l’as ou que tu ne l’as pas, ce qui est important, c’est que c’est une autre partie… Mais, nous n’avons que ces deux dans notre vie. Donc, eux s’occupent de tout ce qui relève de la vie et les autres s’occupent de ce qui est de l’autre côté […]

Nous allons montrer comment les confréries religieuses ont, dans le passé, contribué à la transformation de la société traditionnelle. Nous restons ainsi fidèle à la remarque d’Abel Kouvouama pour qui :

Instruire une réflexion sur le fait religieux dans l’espace francophone, par- ticulièrement celui d’Afrique subsaharienne où s’est produite la rencontre entre les religions venues d’ailleurs et les religions autochtones, est une en- treprise délicate ; car elle invite le sociologue et l’anthropologue à prendre en considération ces deux observations majeures : premièrement, la religion est toujours partie prenante des dynamiques socio-politiques des sociétés passées et présentes. Elle occupe une place non négligeable au sein des acti- vités quotidiennes des individus. De plus, les mutations accélérées des socié-

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tés et a « connexion » des territoires à différentes échelles locales et glo- bales interpellent davantage le sociologue ; celui-ci se doit d’accorder da- vantage une plus grande attention à la conjonction des dynamismes « in- ternes » et « externes ». Deuxièmement, les religions se recomposent sans cesse en fonction des transformations institutionnelles, sociales économiques et des luttes symboliques. Ainsi, les individus croyants sélectionnent les mes- sages religieux, empruntent et modifient dans le travail de conversion les produits culturels que les circonstances historiques leur imposent quotidien- nement244.

Dans cette optique, il nous faut revenir sur l’histoire sociale du Sénégal préislamique pour ensuite, tenter de comprendre les mécanismes de perpétuation de la tradition confrérique en cherchant à comprendre les motivations profondes qui ont conduit nos enquêtés à y adhé- rer. Il a été nécessaire de travailler à comprendre le contexte d’apparition des confréries et le rôle qu’elles ont joué dans l’organisation et la réorganisation de la société wolof tradition- nelle.

Nous sommes, en cela, convaincu que l’être humain, quelle que soit sa condition so- ciale, son statut ou son niveau d’instruction ressent toujours le besoin de se retrouver en groupes ou en sociétés d’intérêts245. Avec Balandier, on adhère à une autre vision de l’action

des confréries, dans les « sociétés traditionnelles ». Dans son travail chez les Fangs du Gabon et du Bas-Congo, les confréries ont, selon l’auteur, permis aux sociétés perturbées par la colo- nisation de survivre246.

À travers ces lignes, nous pouvons comprendre que, lorsqu’une société, quelle que soit l’époque, est altérée par des éléments internes ou externes à elle, conséquence de tout proces- sus de modernité qui s’enclenche, les confréries, quels que soient leurs types, ordres ou obé- diences, tendent à « maintenir la force et l’équilibre d’une appartenance sacrée ou mythique. Cependant, il ne faudrait pas confondre la confrérie avec la « secte magique ». Car, la confré- rie, dans sa pure tradition religieuse, s’empare d’un élément positif de la vie religieuse et pré- tend en exprimer l’expérience dans son intensité maximale247. Toutefois, les confréries ne

jouent pas partout le même rôle. Au Maghreb, elles se sont développées à la période mara-

244 Abel Kouvouama, « Les paradigmes des analyses socio-anthropologiques du religieux en Afrique franco-

phone », in La sociologie francophone en Afrique, État des lieux et enjeux, sous la direction de Monique Hirschhorn et Moustapha Tamba, Paris, Karthala, 2010, p. 287.

245 Pensons aux sociétés détentrices d’une vérité commune ou les groupes de chasseurs africains partageant un

même goût et les secrets et savoirs conformes à la pratique de leur activité.

246 Georges Balandier, Sociologie actuelle de l’Afrique noire, Paris, P.U. F., 1963.

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boutique durant laquelle s’est répandu le culte des saints dans l’Islam. Elles ont, par ailleurs, favorisé la pénétration occidentale. Dans d’autres zones islamisées, comme l’Irak où l’Afghanistan, les confréries ont conservé et perpétué des traditions jadis qualifiées d’« hérésies » tel le soufisme. Cela, en développant un véritable culte magico-religieux.

Au Sénégal, territoire largement islamisé depuis le dix-huitième siècle selon le modèle

sûfi, les confréries occupent une place importante dans l’histoire générale du pays. Elles

« s’imposent » comme des « instances de contrôle » et de diffusion de l’islam avec une orga- nisation hiérarchique pyramidale sur laquelle nous reviendrons dans les détails. Pour l’heure, retenons que leur présence a été déterminante dans l’évolution sociale, politique et historique du pays. Au-delà du lien historique étroit qui a toujours existé entre confrérie religieuse et pouvoir, dans le Sénégal colonial et post colonial, il se trouve que la forte implication reli- gieuse des jeunes qui se traduit par la redécouverte des pratiques religieuses et des rituels con- frériques, a comme principale conséquence, un confortable repositionnement des leaders des instances religieuses. Ces derniers se retrouvent, aujourd’hui, encore au-devant de la scène publique et politique, par la même occasion. Cette idée remet à jour le débat sur la laïcité et la séparation entre le pouvoir spirituel et celui temporel. L’implication des leaders religieux dans le champ politique nous amène à réfléchir sur la nature des relations qui unissaient le temporel et le spirituel. Il s’avère, aujourd’hui, que le pouvoir spirituel est, avec un succès extraordi- naire, en train de se substituer au temporel. Les leaders religieux ne se limitent plus à l’orientation de leurs taalibe par des ndigël électoraux. Ils s’investissent directement dans un combat politique en devenant des acteurs politiques en quête d’éligibilité.

Ainsi, le religieux ne se présente plus comme il l’était de coutume, c’est-à-dire comme une « béquille sur laquelle s’appuie le temporel pour exister »248 ou légitimer son discours et

ses actions, encore moins, de tenir un rôle d’écran entre le politique et la population afin de parer à d’éventuels heurts. Cette situation incite à une relecture de la laïcité, car bien que sous les oripeaux de la sacralité religieuse, les acteurs « politisés » tentent de se présenter avant tout comme des citoyens sénégalais libres de prendre part à l’action politique. Aujourd’hui, la laïcité n’est plus à analyser en termes séculaire effectif, mais plutôt, comme un effort d’accommodation entre les deux types de pouvoirs.

248 Quotidien Le Soleil du vendredi 2 octobre 2009, « Dossier Décodages », « Religion et Politique, Mariage

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