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Le choix d’une sociologie méthodique et interprétative

JEUNESSE, RELIGION ET SOCIÉTÉ

5. Le choix d’une sociologie méthodique et interprétative

C’est un tableau assez sombre du Sénégal qui est ici présenté, mais pour comprendre les motivations religieuses de la jeunesse actuelle, il nous faut remonter à la source même du « problème ». En sociologie, comme nous le savons, il faut expliquer « le social par le so- cial »81

. Tout comportement social est la réponse à une réalité sociale vécue.

Tout fait social est, en vérité, une réponse, une stratégie de résolution d’un problème so- cial complexe. La réponse de tout problème énoncé, dans ou par la société, se trouve dans la réalité sociale vécue. Ainsi, le sociologue n’aura comme tâche que de rassembler des éléments assez épars dans la réalité sociale afin de construire une vérité scientifique tirée du contexte, de l’époque et du vécu des hommes.

C’est, sans doute, dans cet esprit que Lamine Ndiaye, écrivait, dans un tout autre re- gistre, que : « […] faire une analyse sociologique, c’est, en quelque sorte, se destiner à se li- vrer à une interprétation du social, c’est-à-dire de l’activité sociale fondatrice »82. Pour ce der-

nier, le sociologue, surtout celui qui souhaite étudier sa société, aura pour principale difficulté, de parvenir à :

Sentir la nécessité de dialoguer, en toute objectivité, avec [son] « terrain », c’est-à-dire un environnement pourvoyeur de discours, d’images, d’imageries, de symboles et de symbologie sociaux, de représentations cul- turellement sensées, d’hommes et de femmes, avec tout ce que cela comporte comme enjeux, qui pensent connaître leur société et nous la racontent en po- sant un de ses problèmes83.

Les temps de crise ou de fortes mutations sont difficiles à gérer. C’est ce qui fait que de nombreuses questions se posent parfois instinctivement au chercheur. Ces interrogations se- ront, comme le montre l’anthropologue sénégalais, posées à la société qui y répondra avec les moyens dont elle dispose. C’est ce qui explique la tournure philosophique que peut inspirer notre texte. Rappelons que cela ne relève en aucun cas d’un choix personnel. Nous n’avons fait que suivre les élans interprétatifs et argumentatifs, voire de construction de sens de nos enquêtés.

Sans le vouloir, nous sommes parfois amené, en tant que chercheur, à transformer l’acteur social en philosophe. En fait, dès l’instant que l’on propose à individu de nous parler

81 Jean-Claude Filloux, « Émile Durkheim : au nom du social », in Mil neuf cent, n° 11, 1993, pp. 27-30. 82 Culture, crime et violence : Socio-anthropologie de la déviance au Sénégal, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 19. 83 Ibid.

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de son condition, qu’on lui pose la question de savoir : quel sens donnez-vous à votre compor- tement ? On lui donne la possibilité d’argumenter et de théoriser sur sa pratique. Le chercheur aura, face à le cela, le choix entre s’appuyer sur ce que dit l’enquêté ou sur son interprétation personnelle. Dans notre cas, nous avons voulu rompre avec la présentation sociologique qui fait que le chercheur arrive sur le terrain avec l’idée que les acteurs sociaux sont tous détermi- nés par leurs habitus respectifs.

Il sera alors animé par la certitude que lui ne l’est pas et qu’il va leur prouver qu’ils ont un rapport utilitaire avec les institutions sociales. Même s’il a été difficile de le faire, notre ambition était de montrer que nous ne sommes en rien différents des acteurs sociaux. Nous sommes, malgré les étiquettes portées de chercheur et de scientifique, tout aussi déterminé par notre environnement et avons en partage la même capacité d’argumentation sur le vécu social et les problèmes de son époque. En tout état de cause, nous pouvons considérer avec l’anthropologue et psychanalyste français, Gérard Mendel que ce siècle, « c’est un bon siècle pour qui sait interroger »84.

Cette idée trouve bien son sens et sa pertinence dans le contexte actuel sénégalais, sa- chant que tout un chacun est capable d’énoncer un discours sur le sens des transformations vécues et ressenties dans sa société. De ce fait, notre rôle en tant que sociologue sera, non pas de produire un savoir nouveau sur l’activité religieuse au Sénégal, mais plutôt de débusquer les problèmes liés à ce comportement qui, dans bien des cas, peuvent paraître relever de l’évidence et du normal. Il nous faudra alors, avec toute la rigueur scientifique contenue dans notre discipline, déceler et interroger le processus, voire la construction de cette évidence, c’est-à-dire de toute stratégie de normalisation des comportements étudiés.

Il s’agira, de procéder, en quelque sorte, à une présentation du « réel » comme ce qui s’impose aux acteurs, à travers le jeu social et d’aborder la question de la réalité comme la construction qui en émane, c’est-à-dire sa production continue ou son extension dans une si- tuation différente ou jugée semblable85. Au Sénégal, se trouve, semble-t-il, une cohabitation

de crises86 : économiques ; culturelles, sociales, politiques, identitaires, entre autres formes.

84 Quand plus rien de va de soi, Paris, Éditions Robert Laffont, p.17.

85 Voir E. Durkheim Pragmatisme et sociologie, Cours inédit prononcé à La Sorbonne en 1913-1914 et restitué

par Armand Cuvillier d’après des notes d’étudiants, Paris, Vrin, 1955, pp. 33-40 [Édition électronique a été réali- sée par Gemma Paquet].

http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/pragmatisme_et_socio/pragmatisme_sociologie.pdf

Sur la question du sens et de la construction du réel. Il s’agit d’un texte critique sur le pragmatisme qui, in fine donne sens et objectivité à la quête effrénée de rationalisme.

86 Par crise, nous entendons : « une situation sociale qui amène les membres d’un groupe à prendre conscience

que les mécanismes de régulation et son identité sont soumis à une épreuve non prévue et d’issue incertaine. Le sens de cette épreuve reste caché et exige des décisions rapides entraînant souvent le recours à la violence, à une

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Ces émanations sont, la plupart du temps, accompagnées de leurs lots d’angoisses et de tour- ments pour des autochtones qui cherchent, désespérément, le moyen de s’en libérer totalement ou tout simplement une voie d’acceptation de ce qui est individuellement saisi comme rele- vant de l’histoire intime de la vie de la personne, son destin.

Ce qui est le propre d’une société individualiste, dans la mesure où le destin est perçu comme personnel, de même que le malheur, la joie, etc. Or, la volonté communautaire des associations de spiritualités religieuses veut que tout soit commun aux hommes.

Selon Frère Flavien :

La souffrance d’un homme est celle de toute l’humanité, nous avons un des- tin commun et nous devons nous montrer solidaire face à lui, qu’il soit de bon ou de mauvais présage. Rien n’est individuel, tout est collectif. Nous avons un destin commun qui a été scellé quand Adam a mangé le fruit et nous devons, par conséquent, nous montrer solidaires face à la douleur du renvoie d’Eden87

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