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Cadre théorique

Chapitre 2 : Me thodologie et de roule ment de l’enque te

1.1. Société, religion et individu ?

1.1.4. L’approche constructiviste

L’approche constructiviste envisage la réalité sociale et les phénomènes sociaux comme étant « construits », c'est-à-dire créés, objectivés et institutionnalisés et, par la suite, transfor- més en traditions et légués inconsciemment aux générations suivantes. Nous nous sommes concentré, dans un premier temps, à la description des institutions (confréries : origine, orga- nisation, composantes). Par la suite, nous avons traité des actions et des interactions entrete- nues par les membres et le rôle, voire la signification socio-historique d’une tradition confré- rique. De plus, nous nous sommes interrogé sur la manière dont s’est construit le regard porté

360 N’oublions pas que l’Islam sûfi a été introduit par des marabouts maures qui servaient de conseillers dans les

cours des rois. Voyant les exactions que ces derniers commettaient à l’endroit du peuple (baadoolo : ceux qui n’avaient aucun statut et aucune légitimité à exercer un pouvoir), ils les abandonnèrent peu à peu. Ils ont toute- fois eu le temps de former des gens parmi le peuple et les ont initiés à leurs pratiques. Ces derniers sont devenus les premiers intellectuels autochtones de langues arabes et d’origine populaire. Ils officieront comme conseillers dans les cours, en remplacement de leurs maîtres. Et, durant le choc de la pénétration coloniale, tenteront de restructurer la société en réunissant les masses meurtries d’un côté par les Européens qui avaient mis à genoux la plupart des rois locaux et les violentes razzias des ceeddo. Ils trouveront en eux (les marabouts) des chefs et des protecteurs, au grand dam de l’administration coloniale.

361 Nous avons un réel intérêt pour l’analyse de l’histoire et notamment le comparatisme historique : au lieu de

procéder à un déplacement physique, nous optons pour un déplacement historique afin de voir si ce que nous remarquons dans la société contemporaine, l’orientation que nous voulons donner à l’action religieuse, avait existé dans une autre époque, dans un autre contexte sociopolitique.

362 Personnellement inspiré par Michel Foucault dans notre perception du constructivisme, nous faisons une

forme d’archéologie du savoir en montrant comment les vérités et la réalité sont construites et transmises, mais mieux, dans notre affaire, comment le sens conféré à l’action religieuse (l’engagement comme stratégie) a été formé depuis les débuts de la religion et « re-produit » (c’est-à-dire réorienté par des tiers d’un autre contexte sociopolitique) depuis lors par les générations suivantes.

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sur ces associations : d’où puisent-ils leur sacralité ? Pourquoi continuent-elles d’exister ? Aussi avons-nous cherché à décrire comment des cloisons et des règles sociales, « invisibles » et fortes de sens sont « re-créées », « re-pensées », et « ré-adaptées » dans le but de construire une société nouvelle qui mettrait, au-devant de la scène, des marabouts charismatiques et des jeunes en quête de sens (significations mais également pertinence de certaines traditions) et de référents symboliques.

Dans notre démarche, ce que le sociologue considérera généralement comme une réalité sociale immuable, une tradition, ou encore une vision du monde, sera, pour nous, analysé comme un « fait construit » qui devra être saisi et analysé comme un processus dynamique dans la mesure où c’est une « re-production » imposée et inconsciente. Dès lors, en quoi se- rait-il illégitime de penser le changement, de conférer une nouvelle orientation aux institutions existantes ? Sachant qu’une génération, à une étape de son histoire, a conféré des significa- tions à des symboles ,et pensé des règles « nouvelles » pour régir sa société, a œuvré pour la construction d’une nouvelle modernité et que le même principe semble être interdit aux jeunes actuels qui sont obligés de s’appuyer sur la religion, de l’instrumentaliser dans le but de légi- timer leurs actions, leurs quêtes et leurs aspirations. Cette instrumentalisation de la religion sera à saisir comme une forme de «remodélisation des actions du croire »363 dans la mesure

où, au-delà de la dimension sacrée, ils semblent conférer à la religion une nouvelle séman- tique, et en font une réponse à leurs besoins et aspirations du moment.

Si le constructivisme, en général, se rapproche fortement de la sociologie phénoméno-

logique de Schultz364, nous restons, quant à nous, fortement influencé par

la« phénoménographie anthropologique » d’Albert Piette365

(anthropologie du détail) dans la mesure où nous travaillons sur des éléments qui, à fortiori, pourraient être considérés comme insignifiants par les chercheurs, (disputes, controverses, discours de rééquilibrage des rap- ports, etc.) les détails du quotidien que nous réunirons comme un puzzle nous renseignent sur les aspirations profondes d’une jeunesse qui n’est pas, comme on le pense si souvent, en quête de Dieu, mais qui construit et oriente tout un monde social en conférant de nouvelles signifi- cations aux formes symboliques qui l’entourent. Ce qui ne nous éloigne pas d’une sociologie de la connaissance dans la mesure où nous travaillons à saisir les modes de pensées contem- poraines, les modes d’«intellectualisation» des acteurs dans la construction des idées, mais

363 Abel Kouvouama, « Les paradigmes des analyses socio-anthropologiques du religieux en Afriques franco-

phone », in La sociologie francophone en Afrique, État des lieux et enjeux, sous la direction de Monique Hirschhorn et Moustapha Tamba, Karthala, Paris, 2010, p. 287.

364 Voir Daniel Cefaï, Phénoménologie et sciences sociales : Alfred Schutz, naissance d’une anthropologie phi- losophique, Genève, Droz, 1998.

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également à saisir les stratégies de « ré-adaptation » au monde, voire à l’environnement une fois que la rupture a eu lieu. Les discours religieux ne servent plus à légitimer une domina- tion, mais à penser la « collaboration intergénérationnelle »366ou un « partenariat social »367.

Cette relecture des textes et l’analyse des rapports nous a également permis de revenir sur la différence entre autorité (ce qui a un caractère symbolique et atemporel) et pouvoir (temporel et relevant du réel) et comment la confusion entre ces deux termes a été la source du malaise sénégalais. Les parents agissant comme s’ils étaient détenteurs d’un pouvoir sur leurs enfants en déployant des manœuvres parfois violentes de persuasion ou de coercition (isolation, injures, destruction de la réputation du jeune qui ne souhaite pas régler son pas sur leurs traces…), tandis que l’autorité n’est autre que, comme le dit H. Arendt, « la capacité à pouvoir se faire obéir sans violence ». Les marabouts sont en train de faire revenir à cette idée en faisant comprendre aux jeunes, à travers des lectures originales des textes, qu’ils ne sont pas dans la contrainte mais dans le respect de l’autorité des parents conférée par Dieu. Ils font en sorte de les rapprocher de leurs parents, même si ces derniers les vouent aux gémonies, pensant qu’ils ont usé de magie pour les contrôler et les éloigner d’eux.

Tant d’éléments qui sont ressortis dans notre étude et que seule la mise en relation de ces deux modèles pouvait permettre de saisir, du fait de leur liberté de manœuvre et leur capa- cité à saisir le pertinent dans les différentes disciplines qui les inspirent : histoire, philosophie, psychologie.

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