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L’Islam au Sénégal : « cet essentiel qui fait vivre »

JEUNESSE, RELIGION ET SOCIÉTÉ

11. L’Islam au Sénégal : « cet essentiel qui fait vivre »

En faisant le tour de la littérature consacrée à l’Islam au Sénégal, nous pouvons considé- rer, dans une moindre mesure, que nous savons énormément de choses sur lui, ses particulari- tés, ses spécificités, ses points forts et faibles. Mais, que savons-nous vraiment des musulmans sénégalais ? Qui sont-ils ? Quelle est leur histoire ? Quel est leur quotidien ? Quelle relation entretiennent-ils avec leur histoire religieuse et les interprétations qui en sont faites au- jourd’hui ? Quel regard portent-ils aujourd’hui sur les organisations confessionnelles qui les accueillent ? Quels sens donnent-ils aux enseignements religieux et valeurs qui y sont véhicu- lés ?

Notre ambition en ce sens est réconfortée par René-Luc Moreau qui remarque que :

126 Bachir entretien réalisé en mars 2012. 127 Bachir entretien.

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À l’époque coloniale, on a eu souvent tendance à présenter la vie musul- mane africaine comme figée. On a parlé ̎ d’islam noir ̎, comme si cet islam n’était pas authentique, comme s’il s’agissait d’un fait sociologique pitto- resque mais plutôt étrange, voire d’une curiosité aberrante. On en recon- naissait la force sociale, mais on percevait celle-ci comme malléable – on l’a effectivement manipulé – et on négligeait la vie intérieure des commu- nautés, leurs convictions, leur spiritualité, leurs aspirations128

.

Notons, en ce sens, que la plupart des travaux de sociologie, sur cette question, se con- tentent uniquement de fournir des informations sur le contexte socio-politique ou écono- mique, sans véritablement se soucier de la participation, voire de l’implication des individus dans leur communauté de foi.

Il faut dire que la vie religieuse, dans ses modes de réalisations quotidiennes, constitue, pour chacun de nous, une dimension capitale de notre existence. D’où l’intérêt de chercher à la connaître, à comprendre ses choix, les raisons de sa religiosité et comment on l’exerce quo- tidiennement. Il s’agit de s’intéresser à ce qui présenté par les enquêté comme un « essen- tiel »129. Pour Badara, un de nos enquêtés, « l’exercice religieux, la spiritualité profonde est

nécessaire à l’épanouissement de tout individu »130. Comment alors accéder à une compréhen-

sion de cet « essentiel » qui fait vivre ? Comment le saisir et en rendre compte ? En tout cas, il paraît clair que, ce qui est, par bien des enquêtés, considéré comme « essentiel » traduit une sorte d’estime et de respect de soi. Il semble marquer la fierté de ce à quoi il aspire à être et du type de société dans laquelle il souhaite vivre.

Nous avons trouvé cette idée intéressante et en avons fait l’élément directeur de ce tra- vail. Ainsi, nous pensons que la « sur-visibilité » religieuse de la jeunesse au Sénégal s’est opérée à un moment où la religion avait cessé d’intéresser. Nous prenons comme repère les événements de Mai 1968 qui conduisirent à une certaine « dé-religiosité » des masses. En- suite, vers la fin des années 1980, on assiste à l’amoncellement d’une campagne de recompo- sition avec le religieux qui se matérialisme par le succès de certains jeunes marabouts et de leurs mouvements. C’est le cas de sëriñ Moustapha Sy avec le mouvement Moustarchidini131.

128 Africains musulmans, Paris, Présence Africaine, 1682, p. 5. 129 Entretien Badara.

130 Entretien Badara.

131 Voir Fabienne Samson, Les marabouts de l'islam politique : le Dahiratoul Moustarchidina wal Moustarchi- daty, un mouvement néo-confrérique sénégalais, Paris, L’Harmattan, 2005 ; Makhary Mbaye, « Naissance et

évolution du Dahiratoul Moustarchidine (1979-2002) », Dakar, U.C.A.D., Faculté des Lettres et sciences Hu- maines, Département d’Arabe, mémoire de Maîtrise, 2001.

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À cette époque, nous sortions de la période de la redécouverte de l’héritage des « Lu- mières anti-confessionnelles » portées par leurs aînés soixante-huitards qui leur avaient transmis une certaine forme de répulsion envers la religion et surtout les confréries. L’image d’organisations parasites, avec des chefs exploitant la crédulité des âmes faibles, leur était généralement accolée. Ils n’accordaient pas une grande importance à la religion, tout comme leurs pairs Occidentaux qui se plaisent à s’amuser avec la formule, « la religion, c’est pour les enfants et les vieux ».

À un moment donné de notre travail, et il a été important de poser la question, nous nous sommes demandé si nous ne faisons pas de transfert, au sens psychologique du terme. Autrement dit, un déplacement de nos préoccupations sur nos pairs. D’une part, l’expérience d’un ailleurs, d’une autre culture où il est souvent malhabile de parler, voire de faire preuve de religiosité, a fait que, de retour au Sénégal, après quelques années, nous avons été, pour ainsi dire, quelque peu troublé par toute cette agitation dévotionnelle.

D’autre part, l’origine familiale qui nous situe entre les différentes religions et confré- ries existantes, même si nous reconnaissons pour chacune des parties, une certaine discrétion dans l’exercice du culte choisi. Plusieurs fois, nous avons failli abandonner ce travail car beaucoup, dès l’instant que nous acceptions de nous ouvrir sur notre objet de recherche, nous manifestaient, ouvertement, leur étonnement en ces termes : « qu’y a-t-il de vraiment extraor- dinaire dans cela ? » ; « la foi a toujours été présente au Sénégal, elle n’en est jamais partie ». Ils ne comprenaient pas toujours que ce que nous voulions tout simplement amorcer une ré- flexion sur la nature de cette foi, sur ses tenants, sur ses références et son actualité.

INTRODUCTION

L’ENGAGEMENT RELIGIEUX AU PRISME DE L’ANTHROPOLOGIE

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