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Cadre théorique

Chapitre 2 : Me thodologie et de roule ment de l’enque te

1.2. Techniques de recherche

Il n’y a pas intérêt pour le chercheur, à vouloir saisir séparément l’individu de la société et de la religion. Il s’agit d’un ensemble, d’une association qui donne sens à la réalité. L’individu est à la fois pleinement social et religieux, et c’est ce qui donne effectivement sens à ses actions individuelles. Ce qui confirme notre idée stipulant que pour comprendre le sens, la signification du comportement religieux des jeunes, il est avant tout, important de com- prendre l’organisation qui l’a construit comme homme, la religion qui donne sens au type d’homme qui a été construit et le sens que ce dernier lui confère. Pour ce faire, nous avons choisi comme technique de recherche, celle qualitative dans la mesure où nous sommes dans

366 Edwy Plenel, Secrets de jeunesse, Paris, Stock, 2003.

367 Voir Emmanuel Leroueil, « Samir Amin et le" développement autocentré », (parties 1 et 2 », in L’Afrique des Idée.

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une optique compréhensive, nous recueillons les « re »-présentations368 que les acteurs se font

sur leur action religieuse afin d’en construire le sens. Parler en termes de construction de sens, comme ambition de la recherche, n’est certainement pas une simple expression.

La question qui se pose naturellement à nous et qui motive toute la réflexion sur le sens de l’activité religieuse des jeunes est de savoir si la religion comme activité ou comportement social, ne pourrait pas être saisie comme un objet « dialogique »369

. En effet, on s’intéresse toujours à la religion en tant qu’institution, mais rarement en tant que comportement cons- cient. Comment les gens pensent-ils leur religion ? Quel sens donnent-ils à leur foi ? À leur religiosité ? Ils sont religieux, ont-ils besoin que les différentes recherches en science sociales s’attachent toujours à leur dire ce qu’est la religion, ou devraient-elles, aujourd’hui, s’évertuer à leur dire pourquoi le sont-ils ? À quelle (s) logique (s) sociale (s) se conjuguerait leurs ac- tions et initiatives religieuses ? À eux, par la suite, de se faire une idée sur les caractéristiques générales de leur foi. Le sont-ils pour les raisons traditionnellement mis en avant (besoin spi- rituel, quête du divin, souci de bonification), ou y aurait-il d’autres logiques, d’autres intérêts qui tapissent l’affirmation d’une profonde religiosité ainsi que l’étalage de pratiques reli- gieuses dans l’espace commun ? Dans ce cas, serait-il toujours pertinent de laisser la réflexion sur le religieux s’emmurer dans le carcan du spinozisme ? Il est évident que la religion ne saurait plus être considérée comme « un asile pour l’ignorant », une sorte de refuge qui pren- drait en charge son ignorance du monde en lui proposant des réponses toutes faites et dogma- tiques sur les mystères scientifiques qui se posent à son esprit.

Dès lors, nous ne considérons plus la religion comme incitant au renoncement, mais comme suscitant l’engagement à tout point. S’engager dans la religion devient un engage- ment, non plus à ce qui est en dehors de la vie et de l’espace humain, mais plutôt le contraire. C’est en définitive s’engager à la vie et à ce qui s’y passe.

368 Découpage sémantique emprunté au sociologue marxiste Guy Débord. Dans l’usage, le terme traduit la façon

dont les acteurs se rendent présents, à l’esprit, les réalités qu’ils ont reçues en héritage et les réorganisent dans le but de les rendre conformes aux besoins de leur époque. On aurait tout aussi bien pu parler de reproduction au sens de Karl Marx, ou encore de Pierre Bourdieu. Cependant, ce qui nous importe, ce n’est pas de construire un savoir sur ce qui est reproduit et pourquoi, cela a été reproduit, mais de savoir comment s’opère cette reproduc- tion, comment les individus pensent l’héritage et en donne un sens nouveau, l’adapte à la satisfaction des besoins de leur époque ou mieux encore en donne un sens nouveau, voire une nouvelle fonction ou en font la réponse à un autre type de besoins.

369 Ce qui reviendrait à considérer que la pratique religieuse n’est pas seulement saisissable à partir d’une seule

logique, mais elle doit être comprise comme conjuguant des logiques à la fois concurrentes, antagonistes et com- plémentaires.

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C’est pour cette raison que nous parlerons de sens de l’engagement religieux des jeunes370. Il ne s’agit plus d’un sens construit par les jeunes mais plutôt, inscrit dans l’ordre

suprême des choses qu’ils reproduisent inconsciemment, pensant que c’est de leur propre ini- tiative ou volonté. La société pense un modèle d’homme et invente des instances de construc- tion d’un type idéal d’homme. Pour amener l’individu à devenir ce qu’elle souhaite qu’il soit, elle inspire des conflits et pense des structures et formes de régulations.

Dans la société sénégalaise, ces structures sont les confréries religieuses qui, avec l’action des marabouts, permettent de confiner les jeunes dans la reproduction et la perpétua- tion de valeurs telles la soumission à l’autorité, la préservation de la foi religieuse et de la sacralité des valeurs que l’on pensait disparues depuis bien longtemps sous l’effet de la mo- dernité. Cependant, les transformations sociales subies ont fait penser que les sociétés « tradi- tionnelles » comme celles sénégalaises ont rompu avec l’effet des différentes mutations, avec les instances traditionnelles de construction d’individu, générant une crise dans la transmis- sion. Pour ce faire, c’est dans les conflits et la régulation que le groupe arrive à rééquilibrer le jeu social et amener le jeune à se penser comme autonome et doté d’initiative alors qu’il n’est que dans la reproduction et la manipulation.

1.2.1. De l’engagement à la « visibilité » religieuse

Afin de désigner l’ampleur et le dynamisme de l’affirmation religieuse de la jeunesse dans les différents espaces de réalisation (consacrés ou auto-définis espaces d’accueil des ma- nifestations religieuses), nous parlerons de « visibilité ». Il est, en réalité, très peu fait cas de la question de la « visibilité »371 dans les différents travaux sociologiques ou anthropologiques

portant sur le fait religieux. C’est un concept que nous empruntons à la sociologie des migra- tions, notamment aux travaux de la sociologue espagnole Carmen Gómez Martín372 qui utilise

cette notion pour traiter des stratégies d’« invisibilisation » des migrants clandestins prove- nant d’Afrique sub-saharienne. Dans notre travail, nous traitons des processus sur-

370 Au sens des 20 / 35 ans, mais également au-delà, dans la mesure où il nous est, très souvent, arrivé

d’interroger des gens qui sortaient de cette tranche d’âge. Toutefois, le but de cette digression volontaire était de les voir se remémorer leur début et de confronter leurs expériences passées à celles des jeunes de notre temps.

371 Il est difficile et même impossible de traiter des usages de l’espace sans se fonder sur la notion de visibilité.

Voir et se faire voir, imposer un regard sur soi…

372 « L’importance de la visibilité dans les processus migratoires », in PAPERS, Revista de sociología de la Uni- versidad Autónoma de Barcelona, 2009, nº 91, pp. 151-169.

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visibilisation373 de leur religiosité dans l’espace public. Autrement dit, il nous est revenu la

délicate tâche d’interroger les profondeurs des convictions de nos pairs pour en saisir la signi- fication profonde.

Tout d’abord, il nous a fallu nous poser la question de savoir pourquoi le besoin de se montrer dans le vécu de son expérience religieuse. Quel est l’intérêt d’imposer sa foi au pu- blic ? Sachant qu’Emmanuel Kant disait de la foi qu’elle s’éprouve, mais ne se prouve pas. Pourquoi ce besoin de « publicité » dans l’espace public (pour reprendre Anna Arendt) ? Quand on parle de sur-visibilité, c’est qu’il y avait bien eu une visibilité auparavant. Les jeunes étaient déjà présents dans les espaces de réalisation du religieux. Mais c’était une pré- sence discrète, avec très peu d’initiatives prises, même concernant l’orientation de leur propre foi. Encore moins sur l’organisation des espaces et le déroulement des rituels, ou tout sim- plement, le fait de prendre part aux débats touchant les pratiques religieuses. Par contre, il est, aujourd’hui, fréquent de voir un jeune d’une vingtaine d’années ou même moins, égrainer à longueur de journée son chapelet en psalmodiant des bénédicités, ou autres attributs divins. Qu’est-ce qui expliquerait cet effort, voire cette volonté de se montrer et d’afficher sa foi dans les espaces communs, peut-être même de la prouver à tous ?

373 Nous percevons et analysons cet effort de sur-visibilisation de soi et de sa condition dans l’espace social, à

travers des pratiques religieuses ou comme une stratégie de domestication ou de captation du regard d’autrui sur soi.

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