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L’ENGAGEMENT RELIGIEUX AU PRISME DE L’ANTHROPOLOGIE SYMBOLIQUE

1. L’engagement religieux comme objet de recherche

1.1. Sémantique de l’activité religieuse

Il s’agit, tout d’abord, de penser l’activité religieuse comme une « expérience » au cours de laquelle le sujet se construit un univers et une identité dans un processus de socialisation, d’effacement de l’ego et de construction d’un type d’homme particulier pour ne pas dire idéal. Cette ambition passe par l’intériorisation de règles sociales qui devraient permettre à l’individu d’acquérir une place et de s’inscrire dans un ordre de relations hiérarchiques, un rapport de domination et d’acceptation d’une soumission imposée. Il est question d’un schéma dans lequel, il n’existe aucune perspective de renversement dans la mesure où on se trouve dans le cas d’une autorité exercée et émanant du divin et point un pouvoir relevant d’une ins- titution d’inspiration humaine qui, en cas d’arbitraire, laisserait appel à la démocratie et à l’égalité des droits. C’est ce qui permettra au jeune de penser des stratégies de contournement

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quand l’autorité légitime incarnée par les parents, s’oppose à l’ambition de ce dernier de s’engager.

1.1.1. Sortir du Durkheimisme

L’intérêt porté à la religion comme source de « transformation sociale » et de « rééqui- librage » trouve sa légitimité dans la définition même du concept de « religion » : la caracté- ristique qui fait voir la religion comme religare en fait une pratique collective qui permet de la penser comme contenant des valeurs culturelles. Mais, la volonté de saisir l’« expérience » pour accéder aux significations sociales de l’activité, pose pourtant des problèmes sociolo- giques. Parmi ceux-ci, la plus importante pour nous, sera celui qui tendrait à assimiler l’activité religieuse individuelle ou collective à des règles sociales et non à la construction d’une nouvelle modernité comme nous en posons l’hypothèse. En effet, la sociologie s’est instituée, dès ses fondements durkheimiens, en réaction contre la confusion possible entre « subjectivité personnelle »138 et « extériorité des contraintes sociales »139.

L’œuvre du penseur insiste particulièrement sur la distinction à établir entre la nécessité de soumission à des règles sociales portées par une éducation et une socialisation formelle à travers des cadres établis dans le but unique de répondre à cette tâche140

. Il faut nécessairement qu’il y ait, dans une société, des cadres de coercition permettant à l’individu d’échapper à ses pulsions et de ne pas succomber à ses désirs de tous types. De plus, il prône l’adhésion à des règles extérieures à soi dont le caractère contraignant est perçu, par l’individu, comme légi- time parce qu’émanant du pouvoir social141

. L’objectivité d’un fait social réside, tel que l’écrit Durkheim lui-même, dans son « extériorité ».

Selon lui :

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Il s’agit pour Durkheim, d’expliquer le « social par le social » et d’éviter de tomber dans l’écueil d’une expli- cation psychologique même s’il admet, dans l’analyse sociologique, la prise en compte des « états de la cons- cience individuelle ».

139 Allusion faite aux critères d’ « extériorité » et de « coercition » du fait social. Les faits sociaux existent en

dehors de nous, sans que nous ne soyons conscients de leur autonomie. De plus, ils exercent sur nous, une con- trainte de sorte qu’ils dépassent les volontés de chacun et s’exercent sous forme de sanction. Dans ce cas, com- ment penser le fait agi comme « manière d’agir, de penser et de sentir… », si l’individu n’a aucune prise sur eux et aucune capacité d’orientation ?

140 La religion entre dans ce cadre dans la mesure où pour Durkheim, elle participe à la cohésion sociale en insti-

tuant un ensemble de croyances et des pratiques communes auxquelles doit se montrer fidèle tout individu sou- haitant vivre dans le groupe.

141 C’est, en plus, ce sur quoi se fonderont le sentiment d’appartenance au groupe et le respect de l’autorité et de

la domination de tiers sur la masse. Loin de tisser le fil du lien social, la religion est à voir, dans l’optique durkheimienne, comme la première source de légitimation et d’imposition d’une domination.

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[…] même si j’accomplis librement tout un ensemble d’activités sociales, il

n’empêche que la société me précède ; je ne choisis ni mes rôles sociaux, ni la langue que je parle, ni les règles de droit… c’est en ce sens que les faits sociaux sont objectifs extérieurs à moi et qu’ils exercent sur moi une « coer- cition », une « contrainte » que je découvre dès que je m’y oppose ou dès que je ne les respecte pas. Dans ce cas, je suis victime de blâmes ou de sanc- tions et, pour l’essentiel, je ne puis même pas agir142

.

Dans ce cas, comment penser la responsabilité de l’individu et le sens de son action si tout n’est, en définitive, qu’une réponse à ce que la société attend de nous et rien d’autre ? Pourtant, Dubet se refuse, quant à lui, à voir la coercition comme synonyme de contrainte ou encore de pression que la société exerce sur l’individu pour le voir agir conformément à la loi générale. Pour lui, c’est plutôt celui qui, de façon délibérée, « accomplit librement ce que la société attend de moi parce que c’est l’évidence des choses et parce que je trouve désirable de le faire »143. Si l’individu trouve désirable de se comporter tel que la société espère qu’il le

fasse, n’est-ce pas, alors, par crainte de rejet et parce qu’il y a une pression violente, un man- darinat social qui le pousserait à abandonner ses envies et désirs pour se conformer à des règles qu’il n’aura pas choisies ?

Ce renoncement à la liberté d’agir selon nos envies serait un fruit de la socialisation. Ce « sentiment » a été intériorisé et institué, en nous, depuis la prime enfance pour nous faire intégrer la nécessité de la soumission à une autorité pour le bon fonctionnement du groupe. Tout un nombre de stratégies concourent à cette fin éducative : des légendes religieuses dans lesquelles l’insoumis subit toujours les conséquences de son irrévérence ou des histoires valo- risant la réussite de ceux qui se seront toujours montrés « dociles », etc.

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