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d'approvisionnement des villes en venaison sont soumises à des contraintes fortes qu

1.1 Définition et analyse du vocabulaire utilisé

1.1.1 Les différents types de chasse

La chasse est considérée comme l'action de poursuivre les animaux pour les prendre ou les tuer. Le piégeage consiste à prendre un animal avec un piège. Ces définitions très générales nécessitent de distinguer, en Afrique centrale, différents types de chasse en fonction des acteurs impliqués, des animaux recherchés, des méthodes utilisées et des produits récoltés (Hudson, Drew et al.) . Ils sont résumés dans le Tableau 10.

Tableau 10 : Les différents types de chasse en Afrique centrale

Acteurs Animaux

recherchés Méthodes utilisées Produits récoltés

Chasse de subsistance

Populations autochtones et isolées

Tous les animaux abondants

Toutes les méthodes efficaces techniquement

Venaison et divers sous- produits pour l'autoconsommation

Chasse

commerciale Villageois

Tous les animaux abondants

Toutes les méthodes efficaces et rentables

financièrement

Venaison et divers sous- produits pour la commercialisation

Chasse erratique Populations mobiles La grande faune

Toutes les méthodes efficaces et rentables

financièrement

Produits à forte valeur ajoutée (ivoire, corne de

rhinocéros)

Chasse sportive Touristes (étrangers

essentiellement)

Les grands animaux porteurs de trophées

(mâles généralement)

Le fusil (L’arc

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1.1.1.1 La chasse de subsistance

La chasse de subsistance est mise en œuvre par les populations autochtones (Pygmées de la grande forêt, bushmen d'Afrique australe), ou les populations villageoises vivant en circuit fermé. Elles subsistent en autarcie, dans une économie d'autosubsistance, avec des échanges avec l'extérieur limités au troc de quelques fournitures indispensables, comme le fer ou le sel.

Sous la dénomination de chasse traditionnelle, chasse d'autoconsommation ou chasse coutumière, elle est reconnue par les législations cynégétiques en Afrique centrale, qui reprennent, dans l'esprit, les dispositions de l'article 11 du décret du 27 mars 1944, réglementant la chasse en AEF. Avec le vocabulaire de l'époque, il reconnaît « le droit naturel des indigènes de chasser pour leur

subsistance, dans les limites… des zones de chasse fixée par la coutume pour leur groupement les animaux non protégés et les singes colobes au moyen d'armes de fabrication locale (sagaies, arcs, etc.) ». En RCA, elle fait l'objet des articles 35 à 39 de l'ordonnance n° 84.045, portant protection de la

faune sauvage et réglementant l'exercice de la chasse.

Photo 1 : Le "garden hunting" : un piège dans la clôture d'un champ en forêt

Ce mode d'utilisation de la faune sauvage, en périphérie des aires protégées, est apparu dans le vocabulaire de la conservation au début des années 2000 (Brockington and Igoe 2006), sous l'influence de deux facteurs :

la médiatisation de plus en plus importante, par les ONG de développement et de défense des droits de l'homme, des problèmes posés aux populations proches des aires protégées par le modèle dominant de la « conservation-forteresse » et, en particulier, leur exclusion de leurs territoires de vie, ce qui est clairement apparu lors du Congrès Mondial des Parcs de Durban, en 2003, et

le nouveau positionnement prioritaire des institutions de Bretton-Woods, Banque Mondiale et FMI, à la suite de leur gestion calamiteuse de la crise financière asiatique de 1998, qui passe de la gestion des grands équilibres macro-économiques à un nouveau paradigme en faveur du développement humain et de la lutte contre la pauvreté.

La prise de conscience de l'impopularité des aires protégées a été un choc dans le milieu des grandes ONG de conservation, en particulier anglo-saxonnes, dont les membres se considéraient

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comme les consciences morales de la planète. Cette image négative antisociale leur pose également des problèmes sérieux dans la collecte de fonds auprès du grand public.

Dans ce contexte, la chasse de subsistance est apparue comme la pratique durable du « noble sauvage écologiste » (Redford 1991), vivant en équilibre avec la Nature, au sein des formations végétales climaciques, loin de la civilisation occidentale, de son besoin de croissance économique et de sa priorité pernicieuse à l'échange et au commerce (Schwartzman, Nepstad et al. 2000). Cette vision rejoint le mythe du « bon sauvage » cher à Jean-Jacques Rousseau et s'inscrit également dans la tradition de l'Indien des forêts et des grandes plaines, vivant heureux au sein de la wilderness. C’est une des bases du mouvement de conservation, aux États-Unis (Thornton 2005), où ce mythe participe également de la mauvaise conscience collective du peuple américain face à l’attitude de ses ancêtres, vis-à-vis des Indiens, lors de la conquête de l’Ouest (Hames 2007).

La chasse de subsistance, dans sa définition stricte, devient acceptable pour la mouvance de la conservation et permettrait ainsi de résoudre l'antagonisme entre le respect des conditions de vie des populations locales et la présence d'une aire protégée. Elle s’inscrit dans la logique de la théorie de la cueillette (« foraging theory »), élaborée par les anthropologues pour analyser la vie des peuples chasseurs-cueilleurs (Milner-Gulland 2001). Dans l’économie villageoise, lorsque la chasse participe à une protection des cultures vivrières contre les prédateurs (rongeurs, singes, suidés), avec des aménagements pour assurer la récolte de ces animaux, elle forme un système de production complet, le « garden hunting », bien décrit en Amérique latine (Linares 1976) ; les cultures fournissent ainsi aux familles les hydrates de carbone et le piégeage des ravageurs les protéines animales.

Contrairement à une idée reçue, cette forme de chasse a subsisté dans la France d’Ancien Régime, jusqu’à la Révolution. Les paysans ne pouvaient utiliser les armes à feu, ni entretenir des meutes de chasse, mais ils pouvaient pratiquer la « chasse ménagère », pour la capture des petits gibiers à l’aide des moyens traditionnels (Charlez 1998).

1.1.1.2 La chasse commerciale

Dans le monde actuel, en dehors de quelques très rares communautés de villageois ou de pygmées semi-nomades vivant dans des régions totalement enclavées, la chasse se limite rarement à l'approvisionnement en protéines de la famille ou du village. Dès que l'occasion se présente, la venaison est commercialisée et devient souvent une source importante de revenus monétaires pour les populations locales. L'exportation de la viande de brousse, vers les marchés urbains ou les implantations industrielles en forêt (exploitation forestière, chantiers miniers, grandes plantations agricoles, chantiers routiers), qui s'effectue dans un cadre commercial, devient illégale lorsqu'elle s'exerce hors du cadre strict de la chasse officielle ; elle serait à l'origine de la « bushmeat crisis », décrite au § 0.1.2.

La chasse commerciale peut donc être définie comme une activité de capture des animaux sauvages, en vue d'en tirer un profit financier ; il peut s'agir de la vente de leur viande ou des différents sous-produits qu'il est possible d'en tirer : ivoire bien sûr, mais également peaux, trophées, plumes d'autruche, fourrures, ingrédients pour la médecine traditionnelle,… La chasse commerciale est dominée par la notion de rentabilité : les techniques utilisées, comme les espèces prélevées, doivent permettre au chasseur de tirer un revenu du temps qu'il consacre à cette activité. Cet élément est en totale opposition avec la philosophie de la législation officielle actuelle, qui tend au contraire à limiter les prélèvements et à favoriser la difficulté de la capture.

Cet aspect utilitaire de la chasse est très anciennement connoté négativement dans les mentalités et la littérature cynégétique occidentale. On y oppose la « grande » chasse (vénerie, chasse au vol,…) aux animaux prestigieux (cerf, sanglier, loup, chevreuil ou perdreau pour la chasse au vol) pratiquée par la noblesse aux chasses « cuisinière »(Liger and Bernier 1775), « nourricière » (Mauz 2005) ou « ménagère » des paysans, utilisant divers types de méthodes et de pièges en vue

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de récolter efficacement une faune banale (lapins, oiseaux migrateurs, sauvagine) pour améliorer leur ordinaire familial ou pour dégager des revenus (vente de la venaison ou des fourrures).

Il est très difficile de connaître l’importance de la chasse au petit gibier dans l’alimentation quotidienne de l’homme préhistorique ou des classes populaires du Moyen Age ou de l’époque moderne. En effet, des pratiques qui, en leur temps, devaient faire partie de la vie quotidienne, n’ont pas laissé de traces dans les archives et, d’autre part, les restes de cette petite faune sont beaucoup plus périssables que les os du gros gibier, dont la chasse est immortalisée sur les parois de Lascaux ou d’Altamira ou dont les restes sont retrouvés en abondance au pied des falaises de la Vézère ou de Solutré. Des travaux récents s’interrogent sur la part de la petite faune dans la diète alimentaire de nos ancêtres de la préhistoire (Cochard 2004). Des études sur ce thème seraient à mener en ce qui concerne l’histoire européenne, jusqu’au XIXéme

° siècle.

Nous reviendrons plus en détail, dans la quatrième partie de ce travail, sur les éléments disponibles sur les pratiques alimentaires courantes des ménages africains, durant le XXéme°siècle. Après une première période, durant le premier tiers du siècle, où cette chasse commerciale est organisée par des chasseurs européens, pour l'ivoire comme pour la viande de chasse, la législation et les mentalités vont évoluer, en conformité avec les mentalités actuelles dans les pays développés, pour marginaliser, socialement et économiquement, les activités de chasse commerciale. En fonction de l’évolution des mentalités, certaines pratiques courantes de collecte de la venaison sont réprouvées par les classes dominantes, adeptes de la chasse sportive ; elles sont alors interdites et deviennent du braconnage.

1.1.1.3 La chasse erratique et le grand braconnage

Par définition, le braconnage est l’action de chasser (ou de pêcher) sans respecter la loi ou les interdits. Les limites entre chasser et braconner sont donc liées directement aux évolutions de la législation cynégétique et des politiques et des mentalités qui la sous-tendent.

En Europe, certaines pratiques cynégétiques seront considérées par les uns comme un patrimoine à conserver (tendelles aux grives en Ardenne, chasse des ortolans aux matoles en Aquitaine) et, par d’autres, comme des actes hautement répréhensibles. De même, en Afrique, la chasse commerciale, même si elle se situe en dehors de la loi et si elle est rejetée par les ONG de conservation, continue à être pratiquée à large échelle et la commercialisation et la consommation de viande de brousse sont parfaitement intégrées socialement. L'essentiel de ce secteur est ravitaillé par une filière qui prend son origine dans la chasse villageoise, à partir de la faune petite à moyenne.

Par contre, une partie de la production de venaison et des autres produits animaux est assurée par un autre type de chasse, qui va prélever les animaux de très grande taille, de l'éléphant au buffle, avec un rythme saisonnier, dans les vastes espaces inhabités de l'Est centrafricain et dans les parcs nationaux. Cette chasse, qu'on qualifie souvent de grand braconnage, est pratiquée par des bandes lourdement armées, nomadisant à partir des frontières de la RCA, en provenance du Soudan ou du Tchad et reprenant les pistes traditionnelles des anciennes caravanes esclavagistes. Les prélèvements nécessitent cependant une excellente connaissance du terrain et un repérage des zones de concentration des grands animaux. C'est ainsi qu'à chaque relâchement de l'effort de protection des parcs nationaux, ces razzias aboutissent à des ponctions très fortes sur le cheptel d'éléphants concentré dans ces parcs. Ces opérations s'intéressent d'abord aux produits à forte valeur ajoutée, comme l'ivoire de nos jours et la corne de rhinocéros, jusque vers 1985, date de la disparition de cette espèce en RCA. Divers sous-produits, comme, par exemple, le cuir d'hippopotames ou les queues de girafe, seraient recherchés pour des utilisations locales et traditionnelles. La viande de brousse, qui est forcément boucanée, ne serait qu'une production marginale, parmi d'autres.

Il est difficile de connaître l'origine géographique et ethnique de ces braconniers. Remarquons simplement que les marches orientales de la RCA, si elles sont pratiquement vides d'hommes, sont

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par contre entourées, au Tchad, au Darfour et au Sud Soudan, par des zones beaucoup plus peuplées. Certaines populations frontalières, comme les Kreich du Sud Soudan, ont été chassées de leur territoire centrafricain d'origine, à la fin du XIXéme siècle, par les razzias esclavagistes de Rabah. Durant tout le XXéme siècle, les efforts de protection de la faune dans la région de la Haute Kotto ont été entravés par les prélèvements des Kreich centrafricano-soudanais (Kalck 1959). Il est également difficile de connaître les aires de transhumance, les droits fonciers traditionnels et les pratiques des pasteurs tchadiens et soudanais, occupant, en saison sèche, les plaines d'inondation de l'Aouk et de ses affluents (Manovo, Koumbala, Gounda) qui sont de remarquables pâturages.

Les pratiques du grand braconnage, illégales et fortement problématiques en matière de gestion de la faune, semblent difficiles à comprendre dans une logique territoriale. C'est de ce fait que nous qualifierons le grand braconnage, terme qui fait uniquement référence à des notions juridiques, de chasse erratique, par opposition aux pratiques des villageois ou à celles des chasseurs sportifs, beaucoup mieux spatialisées.

La chasse erratique est également le fait de chasseurs spécialistes, à la fois sur le plan technique (les prélèvements d’éléphants ne sont pas à la portée du premier venu et ont toujours nécessité un apprentissage spécifique) et sur le plan économique. En effet, ce type de chasse recherche des produits à forte valeur ajoutée, en particulier l’ivoire, en liaison avec le grand commerce international et ses circuits d’échange et de recyclage de l’argent. Comme pour les produits agricoles vivriers (Chaléard 2000), on peut ainsi voir apparaître deux circuits économiques distincts :

un circuit court, pour le commerce local des produits relativement pondéreux, c’est le cas de la venaison, et

un commerce lointain, pour des produits à forte valeur ajoutée, comme l’ivoire ou la corne de rhinocéros, empruntant éventuellement des filières et des routes d’échanges extrêmement anciennes.

1.1.1.4 La chasse sportive

La chasse sportive, telle qu'elle est conçue en Afrique, est définie par Pierre-Armand Roulet, dans sa thèse remarquable (Roulet 2004) comme « le mode d'exploitation de la faune sauvage ayant

pour finalité l'obtention d'un ou plusieurs trophées d'animaux sélectionnés, généralement pratiqué par des chasseurs touristes occidentaux accompagnés de guides de chasse et pisteurs professionnels, et répondant à des règles déontologiques propres au caractère prédateur et sportif de l'activité ». Elle est

également appelée chasse touristique, chasse safari ou safari tout court.

Les législations africaines distinguent généralement trois types de chasse sportive : la grande chasse, qui prélève les grands mammifères et, en particulier, les animaux prestigieux et dangereux,

la moyenne chasse, s'adressant principalement aux mammifères de taille moyenne qui correspondent en réalité au « grand gibier » européen (grandes antilopes vs cerf, phacochère vs sanglier, guib harnaché et grands céphalophes versus chevreuil). Leur moindre

dangerosité diminue le prestige de leur récolte ;

la petite chasse, comme en Europe, est tournée vers la capture des petits mammifères et, essentiellement, du gibier à plume.

Ce type de chasse est uniquement une activité de loisir, dans laquelle ne peut intervenir, à aucun moment, une notion de rentabilité. À l'inverse de la chasse commerciale, qui peut être analysée avec les instruments de l'économie classique, en particulier avec la loi de l’offre et de la demande, la chasse sportive, surtout en Afrique, compte tenu des coûts récurrents, s'intègre dans les logiques de l'économie du luxe. Ce qui est recherché par le chasseur sportif en Afrique, dans sa relation avec la Nature, c’est le superflu, la rareté et la qualité « artisanale » du travail de son guide et des pisteurs.

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Les guides de chasse, de leur coté, doivent organiser la pénurie, afin de maintenir l’attractivité et la rentabilité de leur activité.

Les trophées des espèces rares sont beaucoup plus cotés que ceux des espèces communes, ce qui oriente l’activité des sociétés de safari et qui peut avoir, à long terme, un effet sur la dynamique des populations de ces espèces peu abondantes. La recherche du risque et de l’exploit sportif contribue également à cibler les herbivores de grande taille (éléphant, buffle) et les grands prédateurs (lion, panthère), avec un renforcement éventuel d’effet Allee (Palazy, Bonenfant et al. 2011), entrainant, pour ces espèces, une diminution de la reproduction et du taux de survie. En contrepartie, la valorisation de la grande faune ainsi obtenue contribue à la protection des espèces et des milieux ; on peut ainsi remarquer que les concessions de chasse en périphérie des espaces protégés, mieux aménagées et mieux gardées que ces derniers, présentent souvent des densités animales bien supérieures (Mysterud 2012).

En Afrique centrale, seule la chasse aux grands animaux est pratiquée dans le cadre de la chasse touristique, mais, depuis quelques années, avec la diminution des prix du transport aérien, il se développe également, en Afrique de l’Ouest, une chasse touristique au petit gibier, du francolin et des gangas au phacochère.

En conclusion, il apparaît ainsi un continuum entre la chasse de subsistance, la chasse commerciale et la chasse erratique, en fonction croissante de l’ouverture des populations aux échanges économiques. Par contre, la chasse sportive relève d’une rupture sociologique ; elle ne s’inscrit plus dans une logique économique, mais dans des échelles de valeurs qualitatives purement sociales (réputation, courage, plaisir,…).