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d'approvisionnement des villes en venaison sont soumises à des contraintes fortes qu

1.2 Le cadre conceptuel

1.2.3 Les apports de la géographie

1.2.3.4 Conclusion : une vision humaniste et un guide pour l’action

La géographie, science de l'homme et de la terre, permet au chercheur, grâce aux changements permanents d'échelle, d'acquérir une vision à la fois globale et précise des logiques naturelles et sociales de l'utilisation des ressources naturelles par les groupes humains. Elle permet de comprendre que la terre habitée par l'homme est, avant tout, un immense agrosystème, un jardin à entretenir et à cultiver.

Comme l'indique S. Brunel, dans sa Géographie amoureuse du monde (Brunel 2011), en prenant en compte le temps long et en mettant en perspective les situations diverses de l'humanité, des pays les moins avancés jusqu'aux grandes puissances postindustrielles, la géographie situe l'aventure humaine comme une lutte permanente, difficile et quotidienne pour la survie, face à l'insécurité et à la vulnérabilité. Les compagnons de l'humanité restent les quatre cavaliers de l'Apocalypse : l'épée, la faim, la peste et les fauves de la terre. Nous retrouvons, bien réels, ces quatre fléaux dans la problématique de la commercialisation de la venaison en Afrique.

Depuis le début des années 1990, l'Afrique centrale a traversé une période très difficile de troubles politiques et de guerres civiles, qu'il s'agisse de la république démocratique du Congo, du Congo Brazzaville, de la République Centrafricaine ou du Tchad. Même les pays épargnés par les troubles politiques violents connaissent une croissance très importante de l’insécurité intérieure. Ces situations pèsent lourdement, dans bien des cas, sur les circuits d'approvisionnement des villes en viande de chasse et sur la mise en œuvre de politiques dynamiques de gestion de la faune.

Si la famine, en Afrique tropicale humide, ne frappe pas les populations fragiles comme dans les zones sahéliennes, la malnutrition, surtout chez les groupes à risque, est toujours un problème grave, particulièrement en milieu urbain. Le rôle de la venaison pour la fourniture de protéines à des coûts acceptables reste considérable.

Si, de nos jours, la peste ne fait plus partie des menaces identifiées dans notre imaginaire collectif, les maladies émergentes, comme le SIDA ou les fièvres hémorragiques virales, font renaître des craintes ancestrales. La relation entre ces maladies et la faune sauvage, en particulier par le biais de la consommation de venaison, semble maintenant établie ; cependant, il convient d'analyser ces phénomènes dans toutes leurs dimensions, écologiques, économiques ou sociales, avec rigueur et sang-froid, avant de prendre des décisions politiques, par exemple l’interdiction du commerce de la viande de chasse, qui seraient dictées par l'urgence ou par des pressions étrangères.

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L'urbanisation des sociétés, dans le tiers monde comme dans les pays développés, fait perdre de vue la prégnance de la compétition entre l'homme et la faune sauvage, pour l'accès à la nourriture. Dans les pays européens, les dégâts du grand gibier, principalement des ongulés (sanglier, cerf, chevreuil), restent un problème agricole important, comme le retour des grands prédateurs (ours, loup, lynx) affecte gravement l'économie pastorale des régions de montagne. En Afrique tropicale, les conflits entre l'homme et la faune sont très importants, mais ils restent généralement largement sous- évalués par les gouvernements et par les institutions internationales. Les situations peuvent être extrêmement variées ; par exemple, si, dans certaines régions du Zimbabwe, les éléphants causent des dégâts aux cultures importants, dans d'autres pays de l'Afrique centrale, les battues administratives sont plutôt des couvertures à un braconnage administratif. Par contre, la faune petite et moyenne, en particulier les gros rongeurs, peut avoir un impact important sur les rendements agricoles, même dans des régions fortement anthropisées. Il faut également prendre conscience que l'impact des dégâts de gibier doit être évalué, sur le plan économique, dans un raisonnement marginaliste ; en effet, la perte du paysan ne doit pas être calculée en proportion du rendement global de la parcelle, mais en pourcentage de la perte de revenu effectif, donc uniquement sur le bénéfice.

En intégrant les données issues de la biologie et l'écologie d'une part et, d'autre part, les éléments fournis par les sciences sociales, en leur donnant, de plus, une dimension spatiale, la géographie permet ainsi une analyse complète de la filière de commercialisation de la venaison, du chasseur villageois au consommateur urbain ; à l’encontre des déclarations culpabilisantes de certaines ONG internationales, l’approche géographique est positive et résolument humaniste et nous aidera à proposer de nouvelles modalités de gestion de la faune sauvage, susceptibles d'améliorer la durabilité de cette ressource.

1.3 La méthodologie

La mise en œuvre du projet de gestion des terroirs de chasse villageoise (PGTCV), qui a servi de cadre à nos recherches, s'est heurté, au démarrage, à un certain nombre de difficultés d'origines diverses.

Le premier et le principal écueil rencontré se situe au niveau du personnel d'encadrement : qu'il s'agisse des cadres locaux, des jeunes volontaires expatriés ou des stagiaires en formation, tous les agents, quels que soient leur niveau de formation, leur expérience professionnelle et leurs qualités personnelles, se retrouvaient dans un même carcan idéologique, issu des représentations de la préservation de la nature, dans la logique de Muir et de Thoreau et véhiculé par les médias et les ONG anglo-saxons. On peut résumer cette idéologie, dans sa version médiatisée, de la façon suivante : « l'homme est intrinsèquement mauvais pour la nature, tous les prélèvements qu’il y effectue sont de fait des dégradations » ; cette approche ne coïncidait donc pas avec celle du projet et de notre recherche et il a fallu réaliser un travail de déconstruction sur la chasse commerciale et la commercialisation du gibier, avant de pouvoir entamer les travaux de terrain, dans les villages, et d'approfondir les premiers contacts au niveau de la filière économique.

Ce travail de déconstruction a été compliqué par le biais de politesse, bien connu de toutes les personnes qui étudient les rapports sociaux en Afrique. Par notre position de chef de projet, d'ancien conseiller technique du Ministre des Eaux et Forêts et, également, d'homme d'un âge certain, nous cumulions les handicaps, surtout, vis-à-vis de nos collègues centrafricains ; notre position scientifique n'était pas remise en question, mais elle n'était pas réellement appropriée par nos collaborateurs ou par nos stagiaires, ce qui était extrêmement gênant de la part de personnes dont le truchement était indispensable pour assurer la communication avec les différents acteurs de la filière. Au démarrage du programme, les travaux sont donc concentrés sur les aspects biologiques de l’étude, qui ont permis à nos agents de découvrir, petit à petit, les réalités de la filière économique de

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la venaison et de s'approprier ainsi, réellement, la problématique et les hypothèses de travail du projet.

Notre projet, financé au titre de l'appui au Ministère des Eaux et Forêts, présentait un volet d'études biologiques important, ce qui nous a conduit, dans la pratique, à privilégier, localement, les contacts avec l'Institut Supérieur du Développement Rural (ISDR), qui assure la formation des ingénieurs forestiers, et à recruter également des volontaires internationaux, initialement formés en biologie. Ce passage d'une formation axée sur les sciences dures vers un travail basé en partie sur les sciences humaines a été difficile, sur le plan des concepts et des méthodes, pour ces jeunes collaborateurs, même si l'on peut espérer qu'il ait été très formateur pour eux.

Sur le terrain, le montage technico-financier du PGTCV prévoyait une association étroite avec le projet européen régional ECOFAC, qui intervient dans la zone d'action prévue, depuis près de 20 ans, au départ, en vue d'organiser durablement l'exploitation forestière. Ce projet a ensuite évolué, depuis 1997, dans sa partie centrafricaine, vers une approche de préservation, avec la création du Parc National Mbaéré-Bodingué. Cette évolution, pour les villageois de la région, s'est traduite concrètement par une répression de toutes les activités de chasse et, de ce fait, par une diminution de leurs ressources financières, déjà affectées par la chute des cours mondiaux du café. Le PGTCV, qui s'inscrit dans une logique de gestion de la faune complètement différente, a eu la chance de démarrer au moment où ECOFAC était quasiment suspendu, entre deux cycles de financement. Après quelques difficultés initiales, dans les villages, notre projet avait réussi son intégration, avant le redémarrage d’ECOFAC. Nous avions également pu obtenir le soutien du Ministère des Eaux et Forêts qui a accepté de placer en zone expérimentale les territoires de chasse de nos villages pilotes, en y limitant les dispositions législatives de protection de la faune aux animaux intégralement protégés et en y suspendant la réglementation en matière de techniques de chasse et de commercialisation de la faune commune. Cette disposition, accordée pour la durée du PGTCV, nous a permis de continuer à travailler sereinement avec les populations villageoises, lorsque ECOFAC a pu reprendre ses activités en périphérie du parc national.

Au niveau de l'étude de la filière, les difficultés relevées sont plutôt d'ordre technique. Les animaux, dès que leur poids sur pied dépasse une vingtaine de kilogrammes, sont vendus dépouillés et par morceaux ; d'autre part, quelle que soit leur taille, les animaux, entiers ou découpés, sont souvent boucanés pour pouvoir être conservés. Dans les deux cas, la détermination scientifique des espèces est très compliquée, sinon impossible. La seule solution envisageable, pour assurer le suivi des marchés, est de s'appuyer sur les déclarations des commerçants, qui sont censés connaître l'origine de la marchandise. L'identification des espèces animales s'appuie alors sur le sango, la langue véhiculaire, ou, dans certains cas, sur les langues vernaculaires, par exemple, le bofi sur le marché de Boda.

Cette identification n'est donc pas précise et la rigueur scientifique impose des regroupements d'espèces, en fonction des catégories retenues par les commerçants et les consommateurs. Ainsi,

les gros rongeurs peuvent être identifiés au niveau du genre, voire de l'espèce ; le céphalophe bleu est identifié à part des autres espèces de ce genre qui, elles, sont regroupées sous le vocable de céphalophes rouges ;

toutes les espèces de petits singes, cercocèbes et cercopithèques, doivent, de même, être rassemblées dans une même catégorie.

La précision de ce travail dépend bien sûr de la collaboration des marchandes, mais ces regroupements, pour le gibier petit et moyen, se sont révélés opérationnels sur le terrain. Pour le gros gibier, la comparaison entre l’identification par les chasseurs et les commerçantes et l’information apportée par les analyses génétiques montre bien les limites de la méthodologie ; par exemple, Bitanyi et al, au Kenya, font apparaître un taux d’erreur d’identification des espèces supérieur à 40 % (Bitanyi, Bjornstad et al. 2012).

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Le suivi de la filière venaison présente également, comme les analyses-filière des autres produits vivriers, un problème technique sérieux, pour distinguer les stocks et les flux de marchandises (Godoy, Lubowski et al. 1993). Dans bien des cas, nous avons constaté, sur le terrain, que la filière fonctionnait pratiquement en flux tendu, avec des stocks très limités, ce qui facilite l'évaluation des quantités mobilisées. Cette évaluation reste délicate, dans la mesure où les achats et les prix de la venaison ne s'établissent pas sur la base du Système International de mesures (Mendoza 1998), mais à partir des unités pratiques traditionnelles, par exemple la carcasse entière dans le cas du céphalophe bleu, des gros rongeurs et des petits singes ou le quartier ou la demi- carcasse pour le guib harnaché ou les gros céphalophes. Il a cependant été possible d'établir une concordance statistique correcte entre les unités de mesure pratiquées dans le commerce et les poids réels correspondant.

Les recherches, au niveau du village comme à celui de la filière, nous ont amené, dans la tradition de l'école géographique française de Vidal de la Blache (Claval 1998), à appréhender les phénomènes observés selon des échelles différentes. La dimension explicative s'acquiert en passant alternativement du local au régional, puis du général au particulier, en matière géographique comme en matière sociologique. En particulier, dans bien des cas, pour comprendre le fonctionnement du territoire ou de la filière, il n'est pas possible de rester au niveau de la communauté, mais il importe de descendre au niveau du ménage et, éventuellement, de l'individu.