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d'approvisionnement des villes en venaison sont soumises à des contraintes fortes qu

1.2 Le cadre conceptuel

1.3.1 Une adaptation à l’économie informelle

La filière d'approvisionnement des villes en viande de chasse relève intégralement du secteur informel, tel que nous l'avons décrit au § 1.1.2.4 . A notre connaissance, en RCA, il n'existe aucune entreprise travaillant dans ce secteur et tenant une comptabilité normalisée et, en dehors du cas de la ferme de la SODEPAL, à Bakoumba, au Gabon (Dosimont 2006) et des filières périurbaines d’aulacodes, au Gabon et au Cameroun (Binot and Cornelis 2004), nous n'avons pas trouvé de traces dans la bibliographie de l'existence de telles entreprises en Afrique centrale. Ce n'est pas le cas en Afrique orientale et australe, où il existe, de longue date, des ranchs à gibier très actifs.

La chasse commerciale, pour sa part, est normalement une activité interdite, du fait d'une législation inadaptée ; en particulier, les principales méthodes de chasse pratiquées par les villageois (chasse de nuit, méthodes de piégeage,…) sont illégales et les armes à feu traditionnelles, très majoritairement utilisées, ne peuvent pas être immatriculées. Cette activité est cependant, nous le verrons, largement pratiquée dans les villages et c'est une source importante de revenus.

La filière venaison cumule donc les caractéristiques d'une activité à la fois informelle et illégale ; elle a cependant pignon sur rue, puisque la chasse se pratique ouvertement au village et, surtout, puisque chaque marché urbain présente un emplacement réservé au commerce de la venaison, sans obstruction des autorités. En étudiant la filière, nous ne sommes donc pas dans un environnement criminel ou mafieux.

Bien que les techniciens du développement et les institutions internationales aient pris conscience, de longue date, depuis les années 1980, du poids dans l'économie et de l'intérêt du secteur informel pour le développement, les études restent relativement rares et, surtout, les techniques d'investigation ne sont pas bien définies. À partir de la bibliographie (Bodson and Roy 2003) et, surtout, des premiers travaux réalisés à Bangui sur la filière (Diéval 2000), nous avons essayé de développer une approche combinant une volonté d'analyse directe et globale et les outils développés pour l'étude participative des milieux villageois (Tollenaere 2000), en les adaptant, au besoin, au contexte urbain. Ces techniques d'approche participative ont toutes en commun une volonté, pour les enquêteurs, de prendre en compte réellement les savoirs locaux des acteurs de base et de développer avec eux des relations de respect réciproque, en essayant de comprendre leurs motivations et en reconnaissant la validité de leurs connaissances techniques.

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Dans la pratique, il s'agit de répondre à deux questions principales : comment pénétrer la filière ? et, ensuite,

comment instaurer des relations de confiance avec les acteurs ?

L'approche empirique que nous avons suivie et, surtout, les erreurs commises permettent, a posteriori, de proposer différentes techniques, selon le milieu étudié, au village ou sur les marchés urbains.

1.3.1.1 Comment pénétrer la filière ?

Si la philosophie générale de notre approche reste la même, les caractéristiques du milieu humain sont très différentes dans les communautés villageoises, de taille réduite, et sur les marchés de venaison, largement ouverts à la circulation des individus et des idées.

1.3.1.1.1 Au village

Comme nous l'avons indiqué plus haut, si la chasse commerciale est interdite par la loi, cette activité est socialement reconnue au village et elle est pratiquée au vu et au su de tout le monde. Dans le cadre du projet, après analyse des caractéristiques ethniques de notre zone d'étude, nous voulions prendre en compte la diversité humaine et, donc, travailler dans un village Bofi, à l'est de la rivière Mbaéré, et dans un village Banda Yanguéré, à l'ouest. L'accessibilité des villages était bien sûr un facteur important, pour des raisons de coût en temps comme en argent, mais il était également impératif de travailler dans des communautés totalement insérées dans l'économie monétaire et pour lesquelles la commercialisation de la venaison était une source de revenus importante. Dans les deux villages, Banga en pays Bofi et Bounguélé en pays Banda Yanguéré, nous avons adapté les méthodes participatives issues du diagnostic rural rapide (DRR) ou de la MARP (Méthode Accélérée de Recherche Participative), en les adaptant au fait que nous nous inscrivions dans la durée, avec une présence quasi-permanente du personnel du projet sur place. La FAO propose une série de documents sur ces méthodes, ainsi que divers autres auteurs (FAO ; FAO ; FAO ; Gueye and Schoonmaker Freudenberger 1991; Curran, Wilkie et al. 2001; URD 2002; Jost Robinson, Daspit et al. 2011).

1.3.1.1.2 Dans la filière commerciale

En milieu urbain, Penouil (Penouil and Lachaud 1985) oppose les activités informelles visibles de l'extérieur à celles qui se déroulent à l'intérieur des concessions. Les activités extérieures peuvent faire l'objet d'un quadrillage systématique de la ville, permettant ainsi de localiser les zones d'échanges ; c'est le cas de la commercialisation de la venaison qui se déroule essentiellement sur les marchés urbains et, de façon plus anecdotique, sur les étals de pas de porte.

À Bangui, cette étape avait été réalisée, en 1999, par Diéval (Diéval 2000) . Elle avait permis d'identifier une hiérarchie dans les marchés, entre les marchés-portes (PK 12, PK 9 et PK 5), les marchés de détail et, comme indiqué ci-dessus, le micro-détail. À l'intérieur de chaque marché, il était possible d'identifier une organisation des marchandes de venaison, avec, à leur tête, une présidente et un bureau, qui assurent la représentation de la filière auprès des autorités municipales et administratives et, également, qui règlent, en première instance, les litiges commerciaux et assurent le maintien de l'ordre public, dans leur domaine. Ce type d’organisation semble assez général puisqu’il est également décrit au Cameroun (Ruiz Perez, Ndoye et al. 1999) ou au Ghana (Cowlishaw, Mendelson et al. 2005).

Après un « grand tour » de la situation et une observation rapide, à distance, lors de visites préliminaires, pour analyser les lieux, les acteurs et les situations à observer, une prise de contact

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avec cette structure d'encadrement a permis de présenter clairement le projet et ses objectifs et de déclencher une phase d'observation directe. La présidente et les membres du bureau ont souvent servi d'interlocuteurs-clés pour analyser les pratiques et les systèmes de contrôle et de paiement (Bodson and Roy 2003) ; ils ont généralement servi de point de départ pour échantillonner les commerçantes, selon la méthode de l'effet « boule de neige », un interlocuteur initial introduisant le projet auprès de son réseau de parents, d'amis ou de collègues liés par l'activité (Ellis and Mc Gaffrey 1997).

Ces contacts ont également permis de mettre en place un réseau d'observateurs, recrutés par le projet et chargés de récolter des échantillons des espèces animales, pour le volet biologique (appareils génitaux des céphalophes et des petits singes pour le suivi de la périodicité de la reproduction, mâchoires et globes oculaires pour la détermination des âges, contenus stomacaux pour l'étude du régime alimentaire) et, surtout, d'échantillonner les animaux présents sur les étals, pour déterminer les espèces consommées et leur poids relatif dans la consommation urbaine.

Ces échantillons, qu'il s'agisse d'animaux entiers ou de parties d'animaux, étaient achetés par le projet, selon un tarif négocié avec les marchandes, à l'aide d'un système de primes en nature, accordées aux agents du projet. Cet élément est très important, car il permet, d'une part, de défrayer les marchandes du temps passé avec le projet pour la récolte des données et de reconnaître ainsi leur statut d'agent économique et, d'autre part, il permet d'intégrer les agents dans la filière, sous une certaine forme d'observation participante. Le niveau des achats du projet restait cependant très marginal et ne risquait pas de perturber le fonctionnement de la filière.

Ce réseau a donné à nos observations une réelle profondeur temporelle puisque certains marchés ont été suivis pendant trois ans ; il va sans dire que nos observateurs étaient alors intégrés dans le milieu. Leur présence a ainsi grandement facilité les contacts ultérieurs entre les cadres du projet et les professionnels, pour la réalisation, en confiance, des entretiens qualitatifs nécessaires à la compréhension du fonctionnement de la filière et du mode de formation des prix.

À partir de ce point d'entrée, de proche en proche, selon une approche filière classique, facilitée par les relations humaines établies avec les grossistes, il est possible d'identifier les sources d'approvisionnement et de remonter la filière, en déterminant les acteurs, les circuits économiques, puis la structure des prix et des coûts (Mendoza 1998; Mendelson, Cowlishaw et al. 2003) .

1.3.1.2 Comment instaurer des relations de confiance ?

Dans de très nombreux travaux de sociologie, d'économie ou de géographie, portant sur la vie sociale, l'économie en réseau ou le territoire, la confiance apparaît comme un élément primordial et bien identifié ; en revanche, quels que soient les auteurs, il est bien difficile d’en comprendre le processus de formation. Dans notre part, au niveau du projet et avec un succès qui nous semble correct, nous pensons, avec notre équipe, avoir pu établir des relations de confiance avec nos interlocuteurs, qu'il s'agisse des chasseurs villageois ou des commerçantes, sur la base de trois éléments : le respect envers nos interlocuteurs, la clarté sur nos objectifs et la prise en compte de la durée.

Le respect est plus qu'une simple attitude de politesse vis-à-vis de ses interlocuteurs ; c'est surtout la prise en compte réelle des savoirs locaux dans la réflexion scientifique. Le savoir local peut être défini comme l'ensemble des expériences et des connaissances utilisées par un groupe social dans le processus de décision pour trouver des solutions opérationnelles aux problèmes et aux défis posés par l'existence (URD 2002) ; c'est l'aptitude des couches sociales populaires à trouver des solutions à des situations écologiques et économiques difficiles et complexes (Tollenaere 2000). Ceci suppose également un retour d'information de la part des enquêteurs.

La question centrale du projet, qui s'interroge sur les pratiques de chasse et de consommation des populations rurales et urbaines et sur leur impact réel sur la faune, en dehors de toute idée

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préconçue, implique bien d'intégrer et de valoriser ces savoirs locaux. Pour le projet, cette forme de respect est réellement fondamentale dans sa méthodologie et l'empathie qui en découle a certainement été appréciée des différents interlocuteurs.

Pour travailler sur une filière informelle et illégale, même si elle est socialement acceptée, il importe, de la part d'une organisation comme un projet de développement, qui est vécue, par la population, comme une émanation de l'État, d'être parfaitement clair sur ses moyens et sur ses objectifs. Sur ce plan, deux points principaux doivent être soulignés :

dès les premières prises de contact, quel que soit l'interlocuteur, le projet n'a jamais caché qu’il était sous la tutelle du Ministère des Eaux et Forêts, malgré la mauvaise réputation, quelquefois méritée, de ses agents et les réticences liées à la répression menée par ce Ministère. Cette attitude était importante au niveau des marchés urbains, mais elle était surtout indispensable pour les contacts avec les villageois. En effet, plusieurs cadres nationaux du projet avaient travaillé précédemment pour le projet ECOFAC et nous-même, avant d'assurer la direction du projet, nous avions travaillé plusieurs années comme conseiller technique du Ministère et, dans ce cadre, nous avions souvent participé à des réunions et à des missions sur le terrain, avec ECOFAC. Nous avions rencontré, à ces occasions, de nombreux notables locaux et, si nous n'étions pas forcément capables de les reconnaître, l'inverse était beaucoup plus probable. Effectivement, à plusieurs reprises, les chefs de village nous ont rappelé que nous nous étions rencontrés à diverses réunions, à Ngotto, au siège du projet ECOFAC.

D'autre part, le projet a toujours été clair sur les engagements qu'il prenait, sur la

confidentialité des informations qu'il pourrait recueillir en matière de chasse et sur le contrat moral qu'il passait, en matière de pratiques cynégétiques, avec les villages. Une convention tripartite village-projet-Ministère a ainsi été signée et validée par le Ministère des Eaux et Forêts, plaçant le territoire des villages pilotes en zone expérimentale, dans laquelle les dispositions législatives et réglementaires concernant la chasse commerciale étaient suspendues, ce qui a mis fin, pour la durée du projet, aux opérations de soi-disant lutte anti- braconnage (LAB) des écogardes d’ECOFAC. En contrepartie, les villageois s'engageaient à protéger effectivement la grande faune emblématique, en particulier le gorille et l'éléphant. Au niveau de la filière, les engagements du projet ont surtout porté sur la confidentialité des informations et ils ont toujours été scrupuleusement respectés.

La clarté est également nécessaire au niveau de la finalité du projet. Notre financement n'était pas prévu dans un objectif de développement local, mais pour une phase de recherche-action, devant permettre de réfléchir à une réforme de la politique nationale de gestion de la faune. Il n'était bien sûr pas question pour nous de rétribuer les informations nécessaires et nous n'avons jamais caché aux villageois comme aux commerçants que, pour eux, les retombées pratiques du projet seraient limitées. Ceci étant, il fallait également reconnaître que les enquêtes menées, qui se sont étalées dans la durée, étaient une certaine charge, en particulier en matière de temps de travail, pour nos interlocuteurs. Nous avons signalé plus haut la pratique des achats de venaison auprès des commerçantes ; pour les villageois, les agents de terrain se sont vu attribuer un petit budget leur permettant de faire quelques cadeaux ponctuels et de faible valeur (savon, cigarettes, sel) aux chasseurs et aux familles qui collaboraient avec eux, sans changer significativement leur budget.

De manière peut-être plus originale, le projet s'est équipé d'un projecteur vidéo qui a permis, à chaque passage des cadres du projet dans les villages, de faire, le soir, des séances cinéma gratuites et appréciées par toute la population ; cette innovation a contribué à valoriser socialement les villages dans lesquels le projet intervenait.

Le projet s'est également inscrit dans la durée, dans ses relations avec ses interlocuteurs. Un agent de terrain, d'un niveau technicien supérieur d'agronomie, a été positionné en permanence, pendant deux ans, au niveau de chacun des villages pilotes. Ils ont ainsi assuré toute une série

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d'enquêtes auprès des ménages et des chasseurs. D'autre part, les cadres du projet, qu'il s'agisse des cadres nationaux ou des volontaires expatriés, ont régulièrement séjourné, pour des durées de l'ordre d'une semaine, dans les villages ou ont accompagné des équipes de chasseurs en forêt. Ceci a créé des liens personnels avec les villageois et permis d'approfondir les relations.

Au niveau des marchés urbains de venaison de Bangui, comme cela a été indiqué plus haut, des agents du projet ont également assuré, pendant toute la durée du projet, des suivis de la commercialisation, des relevés de prix et des prélèvements biologiques. Un cadre national assurait la coordination de ces opérations, tout en s'impliquant dans des entretiens semi-directifs avec divers opérateurs de la filière.